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Le Liban s’enfonce dans la crise

Sabah Sabet avec agences, Lundi, 22 juin 2020

Avec l’amplification de la crise économique et la forte dépréciation de la monnaie locale, les manifestations ont repris de plus belle au Liban. Mais avec toujours en toile de fond les tiraillements politiques, notamment dus au confessionnalisme et à la domination du Hezbollah.

Le Liban s’enfonce dans la crise

Routes bloquées, pneus en flamme, magasins saccagés et volés, incendies, violences et heurts entre manifestants et forces de l’ordre: le Liban s’embrase à nouveau. Le mouvement de protestation a repris de plus belle cette semaine, et les Libanais, épuisés par la crise économique, sont descendus dans la rue pour exprimer leur mécontentement, non seule­ment à cause de la crise économique, mais aussi à cause de la crise politique qui frappent le pays. Dès jeudi 11 juin et quasiment tous les jours, le mouve­ment de protestation a regagné différentes villes du Liban contre les autorités accusées de corruption et contre les difficultés économiques croissantes. La semaine dernière, la livre libanaise s’était effon­drée, frôlant le seuil des 5000 livres pour un dollar dans les bureaux de change. Une crise monétaire qui va de pair avec celle de la Syrie voisine (voir encadré). La monnaie locale a ainsi perdu 70% de sa valeur depuis octobre dernier. Et la crise écono­mique, exacerbée par les effets de celle due au coronavirus, a alimenté le mouvement de contesta­tion et de remise en cause des élites, accusées de corruption. Il s’agit des rassemblements les plus importants depuis l’instauration mi-mars de mesures de confinement destinées à lutter contre le coronavirus.

A Beyrouth, les manifestants ont repris les slo­gans du mouvement déclenché le 17 octobre 2019 contre une classe dirigeante, tout comme à Tripoli, deuxième ville du pays, où des dizaines de per­sonnes ont été blessées.

Si la dépréciation de la livre a été le déclencheur de cette nouvelle vague de manifestations, la contestation commence à toucher à nouveau la classe politique. Au début, de nombreux manifes­tants réclamaient la démission du gouverneur de la Banque Centrale, Riad Salamé, l’accusant de collu­sion avec le pouvoir politique et d’inertie face à la dégringolade de la livre libanaise. Ensuite, le mécontentement a pris de l’ampleur avec des appels à la démission du gouvernement actuel, formé après la première vague de contestation avec l’objectif d’apporter des solutions à la crise; cer­tains manifestants appelant à la formation d’un nouveau cabinet provisoire chargé d’organiser des élections législatives anticipées pour permettre « l’émergence d’une nouvelle élite politique ».

Le premier ministre se défend

Face à l’ampleur du mouvement de ces derniers jours, et à l’issue d’une réunion urgente du Conseil des ministres tenue vendredi 12 juin, le gouverne­ment libanais a annoncé une série de mesures à mettre en place pour stabiliser la livre libanaise, venant s’ajouter à la décision d’injecter des dollars sur le marché, prise lors d’une première réunion gouvernementale organisée dans la matinée, le même jour. Des mesures qui n’ont pas de grands effets puisque les manifestations de colère se sont poursuivies les jours qui ont suivi.

Pour tenter de se justifier, le premier ministre libanais, Hassane Diab, a dénoncé, lors d’un dis­cours annoncé samedi 13 juin et retransmis par les chaînes de télévision, une « manipulation de la livre » et une « campagne orchestrée par des partis connus, qui visent à soumettre l’Etat et le peuple à un chantage ». Diab a aussi promis une lutte « féroce » contre la corruption et décrié un « coup d’Etat contre le soulèvement du 17 octobre ».

Faisant allusion aux violences qui ont émaillé les manifestations, Hassan Diab a évoqué l’échec d’une tentative de « coup d’Etat » fomenté par ceux qu’il a appelés les « gardiens du temple de la corruption ». Le premier ministre libanais estime ainsi que l’objectif est d’empêcher son cabinet de poursuivre son plan de réforme et de démasquer « ceux qui ont pillé les ressources de l’Etat » pendant des années. Une façon de se positionner au côté du peuple. Hassane Diab n’entend donc pas fléchir. Les campagnes de dénigrement qui le visent ainsi que son gouver­nement n’entameront pas sa détermination à reconstruire l’Etat détruit, selon lui, par ceux qui l’ont précédé, à qui il fait assumer la responsabi­lité de la situation qu’il qualifie de « catastro­phique ». Sans nommer personne, ses critiques étaient vraisemblablement dirigées contre son prédécesseur Saad Hariri, qui lui aussi ne ménage pas le gouvernement et son chef.

Or, selon les analystes, le gouvernement actuel, formé lui aussi sur une base partisane, « n’a pu rien faire pour résoudre la crise, pas même de parvenir à un accord avec le Fonds Monétaire International (FMI) », comme l’a expliqué l’expert libanais Bassel Al-Khatib, interrogé par la chaîne Une égyptienne. A l’instar de nombreux Libanais, ce dernier estime que la crise politique, qui va de pair avec la crise économique, ne peut prendre fin tant que le confessionnalisme perdure. « On a besoin d’un gouvernement formé de technocrates qui soit approuvé et soutenu par la communauté internatio­nale, ainsi que par les pays du Golfe. Ce genre de gouvernement formé en fonction des quotas, et qui vise à satisfaire les différents partis avec à leur tête le Hezbollah, ne peut rien résoudre », estime-t-il.

Retour à la case départ? Il semble que oui. Certes, le gouvernement n’a pas réussi à apporter des solutions au désastre économique– il négocie toujours avec le FMI pour débloquer des aides financières dont le pays dépend pour enclencher sa relance–, il n’en demeure pas moins que la ques­tion du confessionnalisme, et celle de la domina­tion du Hezbollah de la vie politique, restent au centre de l’imbroglio libanais .

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