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Iraq: Le plus dur reste à faire

Maha Salem avec agences, Lundi, 11 mai 2020

Après des mois de crise, le premier ministre iraqien, Moustafa Al-Kazimi, est parvenu à former un gouvernement et à créer un consensus autour de lui. Il lui reste de trouver les réformes susceptibles de redresser l’économie et désamorcer la crise politique. Une lourde tâche.

Iraq

Quelques jours à peine après la formation, surve­nue après d’intenses et difficiles tractations et après des mois de crise, d’un gouvernement en Iraq, des manifestations émaillées de brefs heurts avec la police ont eu lieu dimanche 10 mai dans plusieurs villes d’Iraq, dont Bagdad. Même si elles étaient de petite ampleur et qu’elles n’avaient rien à voir avec le mouvement de contestation déclenché en octobre dernier, ces manifestations sont venues rappeler au premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, que la crise n’est pas finie. Pourtant, la formation, mercredi 6 mai, du gou­vernement de Moustafa Al-Kazimi doit permettre, assurent les respon­sables politiques, de tourner la page et d’enclencher les réformes nécessaires au redressement poli­tique et économique. Et pour faire preuve de bonne volonté, Kazimi a tendu la main aux contestataires, promettant, samedi 9 mai, la libé­ration de tous les protestataires emprisonnés, ainsi que des élec­tions anticipées et la justice pour les morts et les blessés. Des pro­messes qui n’ont pas empêché que les manifestations se déclenchent le lendemain. Car les Iraqiens souffrent de la corruption qui gan­grène leur pays, de la crise écono­mique et des conditions de vie difficiles, mais ils estiment aussi que le système politique de répar­tition des postes en fonction des ethnies et des confessions, imposé par les Américains après leur inva­sion en 2003, est arrivé à bout de souffle.

Or, ce système semble avoir la peau dure. Dans les négociations acharnées pour la formation de l’exécutif, les partis chiites, sun­nites et kurdes n’ont laissé à Kazimi aucune marge de manoeuvre pour composer le « cabinet de solutions » qu’il appelait de ses voeux face à la conjonction des crises. S’accrochant bec et ongles au sys­tème de répartition confessionnelle et ethnique des postes, chaque camp et parti a défendu sa quote-part de portefeuilles ministériels et ses candidats.

Face à cette situation, les défis qui attendent Kazimi et son gou­vernement sont énormes: instabi­lité, économie à genoux touchée de plein fouet par la chute des prix du pétrole, relations diplomatiques au plus bas, menace terroriste persis­tante, la liste est longue, estime Dr Mona Solimane, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. « Les services sont en déliquescence, notamment l’élec­tricité, un vrai problème en Iraq qui ne peut être résolu sans une assistance étrangère », dit-elle.

Deux plaies: La corruption et le terrorisme

« Avant de parler de la recons­truction du pays, plusieurs obs­tacles doivent être surmontés », explique Dr Tarek Fahmy, politolo­gue et professeur de sciences poli­tiques à l’Université du Caire et à l’Université américaine (AUC). Selon cet expert, le nouveau gou­vernement doit avant tout lutter contre la corruption: « S’il y par­vient, plusieurs autres problèmes socioéconomiques vont être réso­lus par la suite, la vague de contes­tation va se calmer et l’image du pays sera améliorée, ce qui facili­tera l’obtention d’aides étran­gères. Le premier pas doit donc être des réformes pour affronter la corruption ».

Or, bien que la corruption soit endémique en Iraq, les autorités doivent aussi faire face à un autre défi de taille qui constitue leur priorité: la stabilité et la sécurité. En effet, des cellules dormantes profitent du vide politique pour mener des attaques contre des ins­titutions étatiques et des forces de sécurité. Au lendemain de la for­mation du gouvernement, Daech a mené son attaque la plus sanglante depuis des mois contre les troupes iraqiennes, et surtout la plus com­plexe en termes d’organisation. D’après des experts, plusieurs cel­lules djihadistes se sont coordon­nées pour attaquer un check-point, puis faire exploser le convoi venu en renfort. Bilan: 10 morts parmi les forces régulières. Certes, depuis que l’Iraq a déclaré fin 2017 la « victoire », l’organisation terroriste — au terme de plus de trois années de combats acharnés pour lui reprendre le tiers du pays —, des cellules clandestines terrées dans des zones monta­gneuses ou désertiques et cachées dans des tunnels n’ont cessé de mener des attaques. Mais, depuis début avril, les opérations terro­ristes ont repris. « Daech essaie de renaître de ses cendres, il profite du vide politique pour prouver qu’il existe toujours. Le groupe a certainement reçu des aides et des renforts matériels et humains pour pouvoir mener ces attaques. Mais, malgré cela, Daech ne peut pas retrouver sa force », explique Dr Mona Solimane.

Autre volet important, les rela­tions étrangères. Le nouveau pre­mier ministre iraqien doit entre­prendre de difficiles pourparlers avec les Américains pour discuter de leur présence dans son pays. Une rencontre doit se tenir en juin pro­chain pour mener un « dialogue stratégique » à Bagdad avec une délégation américaine. « Au niveau de la diplomatie, c’est une lourde tâche qui l’attend, il doit satisfaire à la fois les Iraniens et les Américains. L’Iraq est coincé entre ces deux rivaux et il doit maintenir un diffi­cile équilibre. Certes, Kazimi est considéré comme l’homme des Américains, mais il a aussi de bonnes relations avec les Iraniens », conclut Mona Solimane.

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