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Tunisie : Le blocage

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 18 février 2020

Plus de quatre mois après les législatives, la Tunisie peine toujours à avoir un gouvernement. Après le refus d'Ennahda de cautionner le cabinet proposé par le premier ministre Elyes Fakhfakh, le pays est face à l'inconnu.

Tunisie : Le blocage

Jours décisifs en Tunisie. Elyes Fakhfakh, le premier ministre désigné le 20 janvier dernier, après l’échec de son prédéces­seur Habib Jemli, pour former un gouvernement, n’a plus qu’une dizaine de jours pour modifier le gouvernement proposé. Ce dernier a déjà annoncé la liste du cabinet samedi 15 février, mais le parti isla­miste Ennahda, première force poli­tique au parlement (54 députés), l’a rejeté, tout comme Qalb Tounès (au coeur de la Tunisie), parti de Nabil Qaroui (candidat à la dernière prési­dentielle) et deuxième force à l’as­semblée (38 députés) et la coalition Karama (19 élus d’obédiences isla­mistes et révolutionnaires). A eux trois, ils forment de facto une majo­rité. Ce qui a obligé le premier ministre désigné à déclarer que les négociations se poursuivront. Car en l’état actuel des lieux, il est impos­sible que ce gouvernement soit approuvé par le parlement. « La décision d’Ennahda met le pays dans une situation difficile qui nous oblige à étudier les possibilités juri­diques et constitutionnelles », a déclaré le premier ministre désigné. « Nous avons décidé avec le prési­dent de la République de profiter de ce qui reste de durée constitution­nelle » pour chercher une issue, a-t-il ajouté, laissant entendre que la liste pourrait notamment être modi­fiée.

La liste, présentée samedi 15 février, compte pour moitié des per­sonnalités présentées comme indé­pendantes, notamment chargée des ministères régaliens. Or, parmi les portefeuilles qui devaient revenir à des membres d’Ennahda figurent la Santé, le Transport ou encore l’En­seignement supérieur. Le parti isla­miste réclame en outre la formation d’un gouvernement d’unité nationale incluant Qalb Tounès, mais son chef, Nabil Karoui, poursuivi pour fraude fiscale, avait été écarté des négocia­tions. « Ennahda n'a décidé ni de participer ni de voter la confiance à un gouvernement qui aurait été trop faible » (sans la participation de Qalb Tounès), a déclaré à l’Agence France-Presse (AFP) Abdelkarim Harouni, président du conseil de la choura d’Ennahda, l’organe consul­tatif du parti. Or, Fakhfakh continue de refuser d’associer des personnali­tés proposées par Nabil Karoui à son gouvernement, alors qu’Ennahda entendait rééditer la grande alliance islamiste-moderniste, constituée en 2014 avec le parti du président décé­dé Beji Caïd Essebsi.

Aussi, le litige entre Ennahda et Fakhfakh portait sur un autre point : le ministère des Technologies de la communication et de l’Economie numérique, tenu par l’islamiste Anouar Maaref, que le chef du gou­vernement veut attribuer à un indé­pendant. Fakhfakh considère que ce département doit sortir des mains des partis.

Imbroglio politique

Selon les analystes, derrière le bras de fer entre le premier ministre dési­gné et le parti islamiste se cache une tension plus profonde : si la Constitution accorde au président le droit de nommer le chef du gouver­nement, en 2e chance, suite à l’échec du premier nominé à obtenir la confiance du parlement (Habib Jemli avait été choisi par Ennahda à la suite des législatives d’octobre der­nier), cela ne veut nullement dire, selon les islamistes, que le président dicte ses choix à la personnalité nominée. Pour Ennahda, le rôle du président doit se limiter au choix de la personnalité à même de former un gouvernement. D’où les déclarations d’Abdelkarim Harouni : « Kaïs Saïed a choisi Monsieur Fakhfakh, il considérait que c’était l’homme de la situation, manifestement, ça n’a pas été le cas ». Et d’ajouter : « M. Fakhfakh doit rendre sa mission au président de la République et céder la place à quelqu’un d’autre ».

« M. Fakfakh peut encore négo­cier, mais il ne lui reste plus beau­coup de jours », a également souli­gné M. Harouni. En effet, la volte-face d’Ennahda met le premier ministre désigné, mais aussi le prési­dent tunisien, Kaïs Saïed, dans une position délicate. C’est à ce dernier de décider de la suite des événe­ments. Si Elyes Fakhfakh renonce à présenter un cabinet, Kaïs Saïed peut encore choisir un nouveau chef de gouvernement. Mais à défaut de gouvernement d’ici au 15 mars, le président tunisien aura la possibilité de dissoudre le parlement et déclen­cher des élections anticipées.

A défaut d’une improbable alliance nouée dans les jours à venir, les scé­narios qui restent sont tous épineux. Une situation critique face à l’ur­gence de remettre le pays sur des rails alors que l’administration et l’économie sont au ralenti, si ce n’est à l’arrêt.

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