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Un pays ingouvernable ?

Abir Taleb avec agences, Mardi, 15 octobre 2019

Kais Saied a longuement affirmé qu’il n’avait pas de programme, mais un projet pour la Tunisie avec pour base le renversement de la pyramide des pouvoirs. Un projet difficilement applicable. Explications.

Durant sa modeste et discrète campagne électo­rale, Kais Saied n’a pas publié de programme. Mais il a insisté sur un seul point : renverser la pyramide des pouvoirs. Il a dit vouloir supprimer l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) telle qu’elle existe aujourd’hui, proposant de revoir de fond en comble le système de représen­tativité. Et, in fine, de mettre un terme à la forma­tion d’un parlement élu directement par les citoyens. Il veut que les députés soient désormais élus par des conseils d’élus locaux afin de rap­procher le peuple du pouvoir. Mais comment ? Cela ne peut se faire sans un amendement de la Constitution, pilier de son projet, celui d’une gouvernance par le bas et non de la manière conventionnelle en cours. Et tout amendement doit passer par le parlement. Mais le parlement est fragmenté et le président élu n’y a pas de représentativité. Kais Saied l’a d’ailleurs dit et redit lui-même : cet amendement sera difficile, sinon impossible.

La tâche s’annonce donc difficile. Si sa straté­gie d’homme qui ne demande rien, ne veut rien, se méfie de la classe politique s’est avérée payante pour emporter l’élection, dès sa presta­tion de serment, il devra faire de la politique, composer avec les autres forces. Car, en Tunisie, le président de la République a des pouvoirs limi­tés. Et s’il a toujours défendu des prérogatives de chef d’Etat plus larges que décrites dans la Constitution, ce n’est pas encore le cas. Comment va-t-il donc présider la Tunisie ? Et comment la Tunisie vivra-t-elle ses prochains jours avec un président qui veut chambouler le système, et un système qui ne lui octroie pas tous les pouvoirs ? Les réponses sont difficiles à donner à l’heure qu’il est.

Un régime semi-parlementaire

Adoptés trois ans après la chute du régime de Zine El Abidine Ben Ali en 2011, la Constitution de 2014 et son régime semi-parlementaire étaient censés sceller la stabilité et immuniser le pays contre tout retour de l’autoritarisme. Mais les ins­titutions de la jeune démocratie tunisienne sont loin d’être solidement implantées, et nombreux sont ceux qui estiment que les statuts et missions des différents organes mettent à jour un déséqui­libre dans le partage des pouvoirs entre le parle­ment, le chef du gouvernement et le président.

Comme partout, le parlement représente le pou­voir législatif, il exerce le pouvoir d’adopter les lois, choisit le chef du gouvernement et donne sa confiance au gouvernement une fois constitué. Il continue de contrôler son activité à travers les techniques parlementaires qui peuvent aller jusqu’à voter une motion de censure l’obligeant à démissionner.

L’exécutif est divisé entre le premier ministre et le président de la République. Le premier ministre, dénommé président du gouvernement, est le titu­laire de la quasi-totalité du pouvoir exécutif. Il fixe la politique de l’Etat, il a droit à l’initiative légis­lative et bénéficie du pouvoir réglementaire géné­ral. Il préside les conseils des ministres. Le prési­dent de la République tient entre ses mains le pouvoir conditionné de dissoudre le parlement. Il signe les projets de loi et bénéficie du droit de veto. Il peut être démis par le parlement malgré sa légitimité populaire, quand il viole la Constitution après accord de la Cour constitutionnelle.

Il y a donc une prédominance de l’organe légis­latif sur l’exécutif. Ceci n’est pas sans consé­quence sur l’équilibre de la vie politique, d’autant plus que l’on est face à un parlement marqué par un paysage politique en mutation. Les résultats des législatives du 6 octobre le prouvent : la dis­persion des suffrages annoncés a bien eu lieu. Avec 52 sièges, le parti islamo-conservateur Ennahda de Rached Ghannouchi devance la for­mation Qalb Tounès, du candidat perdant à la présidentielle Nabil Karoui, qui récolte 38 sièges. Mais Ennahda est très loin de la majorité requise de 109 voix pour former un gouvernement seul. Or, Nabil Karoui a affirmé que son parti « n’entre­rait jamais dans un gouvernement d’Ennahda » qui « n’a rien fait pour les Tunisiens » depuis 2011.

L’émiettement du parlement, entre des forma­tions profondément divergentes, augure de négo­ciations ardues pour former un gouvernement puis légiférer. Un résultat auquel on s’attendait.

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