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Iraq: Des législatives aux enjeux régionaux

Abir Taleb avec agences, Lundi, 23 avril 2018

Les Iraqiens se préparent à voter, le 12 mai, pour les premières élections législatives depuis la défaite de Daech. Un scrutin qui s’inscrit dans une dynamique de reconstruction du pays et de remodelage des relations avec les pays de la région.

Iraq  : Des législatives aux enjeux régionaux
3 candidats s'affrontent pour le poste du premier ministre en Iraq. (Photo:AP)

Depuis avril 2014, date des der­nières élections législatives, bien des choses ont changé en Iraq, un pays qui a traversé de dures épreuves au cours des quatre dernières années. Le groupe terroriste Daech a occupé, l’été 2014, près du tiers du pays puis a été vaincu fin 2017, au prix d’une guerre ayant frôlé le conflit civil, une guerre coûteuse, qui a vu l’intervention d’autres pays et qui a poussé des millions de civils à l’exode. La crise kurde a atteint son apogée, lorsqu’en septembre 2017, le Kurdistan iraqien a organisé un référendum d’indépen­dance. Un référendum qui s’est soldé par un « oui » massif mais aussi, paradoxalement, par un affaiblissement du pouvoir autonome du Kurdistan. Seul au monde, le Kurdistan iraqien n’a pas pu transformer ce « oui » en démarches conduisant à une indépendance, mais au contraire, a perdu de larges pans de territoires disputés dont il s’était accaparé au fil des années et que Bagdad a repris suite au référendum, comme mesure de rétorsion.

Et ce, en raison du coût de la guerre anti-Daech ainsi que de la chute faramineuse des cours du pétrole au cours de ces dernières années, principale source en devise de l’Iraq, le pays a frisé la banqueroute grâce à une politique d’austérité très sévère, certainement pas du goût de la population. Pendant ce temps, l’affaire Daech a créé de nouvelles donnes internes et régionales: la lutte contre l’organisation terroriste s’est faite notam­ment grâce à l’action du Hachd Al-Chaabi, ces milices chiites soutenues et formées par Téhéran, de quoi exacerber les tensions sunnites-chiites à l’intérieur de l’Iraq, et surtout exaspérer d’autres voisins de l’Iraq, avec à leur tête l’Arabie saou­dite, qui voient d’un mauvais oeil le rôle régional grandissant de l’Iran.

Abadi favori

Autant d’enjeux qui pèsent sur les prochaines législatives. Un contexte pour le moins que l’on puisse dire délicat pour ce scrutin du 12 mai prochain, dans lequel près de 7000 candi­dats se disputent les 329 sièges du parlement iraqien. Quant au poste de premier ministre — qui selon la Constitution est réservé à un chiite, courant majoritaire dans le pays—, 3 candidats s’affrontent. Parmi eux, l’actuel pre­mier ministre, Haïdar Al-Abadi, est donné favori, malgré un bilan si pesant. Et ce, pour différentes raisons. D’abord, Abadi peut se targuer d’être l’auteur de la victoire contre Daech. Fort de cette victoire, sa liste électorale fait partie des favorites, notamment dans les territoires et villes repris au groupe terroriste.

Ensuite, sur le plan de la politique étrangère, l’actuel premier ministre a su entretenir des liens étroits avec des puissances aux intérêts parfois antagonistes, comme l’Iran, mais aussi les Etats-Unis, l’Arabie saoudite et la Turquie. Considéré comme le candidat le moins influen­cé par l’Iran, Abadi est le candidat préféré des pays occidentaux, qui craignent notamment une trop grande influence de l’Iran si quelqu’un d’autre accède au poste. Abadi a aussi très bien géré la question des milices chiites — un sujet très délicat pour les autres pays arabes sun­nites— en les intégrant comme forces de sécurité dans l’armée iraqienne. Enfin, Abadi se présente comme le représentant de tous les Iraqiens, toutes confessions confondues. D’ailleurs, sa liste électorale est la seule pré­sente dans toutes les provinces, y compris dans le Kurdistan autonome.

Face à lui, deux autres concurrents plus proches de Téhéran: Hadi Al-Ameri, leader de Badr, une milice chiite soutenue par l’Iran, et Nouri Al-Maliki, prédécesseur de Haïdar Al-Abadi. Accusé par certains Iraqiens de porter la responsabilité de l’effondrement du pays face à l’assaut de Daech en 2014, voire de la nais­sance du groupe à cause de la frustration engen­drée par sa politique antisunnite, Maliki conserve cependant une relative influence politique dans certaines zones à majorité chiite. A eux s’ajoute l’influent leader chiite Moqtada Al-Sadr, guide spirituel du mouvement sadriste, qui joint islam chiite puritain et action sociale, et qui s’est allié, pour ces législatives, au Parti Communiste Iraqien (PCI), la formation la plus éloignée des clivages confessionnels. Une alliance contre nature, mais par laquelle Sadr entend mettre l’accent sur le concept de « nation iraqienne ». Un bon filon électoral au regard des manifesta­tions populaires dont il est l’un des initiateurs, et qui, depuis 2015, réclament la fin du système confessionnel et de la corruption.

La relation avec Téhéran, un facteur-clé

Mais si Abadi est favori du scrutin, il a tout de même besoin d’un des trois poids lourds poli­tiques chiites pour gouverner. Et ce, ni l’option Maliki, qui désire le poste de premier ministre pour lui-même, ni celle des leaders soutenus par l’Iran, ne lui seraient bénéfiques. Restent les sadristes et leurs alliés communistes, une alliance qui envoie un message nationaliste à l’électorat, loin des traditionnels clivages sun­nites-chiites. Des clivages qui n’ont fait que compliquer la vie politique en Iraq, et même ses relations avec ses voisins.

Ainsi, l’un des enjeux-clés de cette élection, aussi bien pour la politique intérieure que pour la politique étrangère, est donc la relation avec l’Iran. Pour le futur premier ministre iraqien, le tout sera de savoir garder ce difficile équilibre : de bonnes relations avec Téhéran, mais aussi avec le reste du monde arabe, car Bagdad l’a compris, il n’est plus question aujourd’hui d’incarner le clash entre les camps pro et anti-iraniens, un clash porteur de danger et d’instabilité. Dans le même temps, certains pays arabes, qui s’étaient distanciés des affaires iraqiennes ces dernières années, tentent aujourd’hui d’améliorer leurs relations avec Bagdad. C’est le cas notamment de l’Arabie saoudite, avec laquelle un rapprochement a été opéré ces derniers mois. En effet, dans leur politique visant à contrer l’influence de Téhéran dans la région, les voisins arabes de l’Iraq entendent revenir sur la scène iraqienne, devenue ces dernières années une arène exclusivement iranienne. Parallèlement, pour Bagdad, une amélioration des relations avec les voisins arabes est de nature à paver le chemin à un retour de l’influence iraqienne au sein du monde arabe, voire de la région .

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