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La paix en danger

Maha Salem avec agences, Mercredi, 24 janvier 2018

Au terme de sa tournée dans la région, le vice-président américain, Mike Pence, a annoncé la date d'ouverture de l'ambassade américaine à Jérusalem. Une annone qui tue tout espoir d'une reprise des négociations de paix.

La paix en danger
Mike Pence lors de son passage à la Knesset. (Photo : AFP)

Comme prévu, le vice-président amé­ricain, Mike Pence, a annoncé lundi devant le parlement israélien que l’ambassade des Etats-Unis ouvrirait à Jérusalem avant fin 2019. Une déclaration reçue par un tonnerre d’applaudissements israé­lien, une réprobation internationale et avec colère dans les rangs des Palestiniens. Signe de l’émoi et de la division que continue à semer la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par les Etats-Unis, une douzaine de députés arabes israéliens (sur 120 parlemen­taires) ont été expulsés de la Knesset dans un grand brouhaha.

En première réaction, l’Autorité palestinienne a dénoncé le « discours messianique » de Pence, un « cadeau fait aux extrémistes ». « Cette déclaration était prévue. On sait déjà que l’ob­jectif essentiel de la visite du vice-président américain à Jérusalem était l’annonce de la date exacte du transfert de l’ambassade améri­caine. C’est pour cela que cette visite a été reportée plusieurs fois, les Américains et les Israéliens ont voulu d’abord mesurer les réac­tions palestiniennes, arabes et musulmanes », explique Sameh Rachad, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.

Pour la dernière étape de sa première tournée dans la région, Pence est arrivé dimanche à Jérusalem pour un séjour de moins de 48 heures, placé sous le signe de la décision annoncée le 6 décembre par le président Donald Trump sur Jérusalem. Campant toujours sur cette décision, Pence a affirmé que le président américain « avait corrigé le 6 décembre une injustice vieille de 70 ans, et l’ambassade des Etats-Unis ouvrira avant la fin de l’année prochaine à Jérusalem ». Cette rupture avec des décennies de diplomatie américaine et avec le consensus international a provoqué le courroux des Palestiniens et des manifestations dans le monde arabe et musulman. Dix-huit Palestiniens et un Israélien ont été tués dans des violences. Dans un discours dénué de toute évocation de l’occu­pation ou de la colonisation israélienne des Territoires palestiniens, Pence a réaffirmé la volonté de Trump de parvenir à un accord entre Israéliens et Palestiniens, y compris si cela passe par la création d’un Etat palestinien, à condition que les deux parties soient d’accord. « Nous pressons fortement la direction palestinienne de revenir à la table des négociations », a affirmé Pence. « Quelles négociations ? Le vice-prési­dent sait bien qu’il a tué tous les espoirs d’une reprise des négociations. Israéliens et Palestiniens n’ont plus eu de négociations depuis 2014 et l’horizon est plus sombre que jamais pour la paix. Le statut de Jérusalem est une ligne rouge pour les Palestiniens, personne ne peut céder ou présenter des concessions », pense Sameh Rachad.

Le statut de Jérusalem est l’une des questions les plus épineuses du conflit israélo-palestinien. Israël, qui s’est emparé de Jérusalem-Est par la force en 1967, l’a annexée et proclamé toute la ville comme sa capitale indivisible. L’annexion est illégale pour l’Onu. Les Palestiniens revendi­quent Jérusalem-Est comme la capitale de l’Etat auquel ils aspirent.

Les dirigeants palestiniens ont refusé de rece­voir M. Pence qui, fait exceptionnel, ne rencon­trera aucun d’entre eux au cours de cette visite.

Abbas cherche l’appui de l’Union européenne

Essayant de trouver une issue, le président palestinien, Mahmoud Abbas, a appelé lundi à Bruxelles les 28 Etats membres de l’UE à recon­naître rapidement la Palestine comme un Etat indépendant. « Nous considérons vraiment l’Union européenne comme une véritable parte­naire et amie et pour cette raison, nous appelons ses Etats membres à reconnaître rapidement l’Etat de Palestine », a plaidé Abbas, venu cher­cher le soutien des Européens. Pour le président de l’Autorité palestinienne, il n’y a pas de contradiction entre une reconnaissance et la reprise des négociations de paix avec Israël. Il a été reçu par la chef de la diplomatie de l’UE, Federica Mogherini, et les 28 ministres des Affaires étrangères en marge de leur réunion mensuelle, comme l’avait été le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, le 11 décembre. En l’accueillant, Mme Mogherini a redit l’enga­gement ferme de l’UE pour la solution à deux Etats (israélien et palestinien), avec Jérusalem comme capitale partagée. « Ce n’est pas le moment de se désengager du processus de paix », a lancé Mme Mogherini, alors que la direction palestinienne refuse désormais de considérer les Etats-Unis comme un médiateur légitime et que Mahmoud Abbas a accusé Israël d’avoir mis fin aux Accords de paix d’Oslo (1993), censés conduire à un règlement négocié du conflit israélo-palestinien. L’UE veut contri­buer à relancer les négociations de paix pour sauvegarder la solution à deux Etats, mais la reconnaissance d’un Etat palestinien n’est pas aujourd’hui sur la table. Certains Etats membres pourraient, cependant, bientôt franchir le pas, comme la Slovénie, selon des sources palesti­niennes.

Mais essayant d’aider les Palestiniens, les Européens envisagent de proposer la perspec­tive d’un accord d’association entre l’UE et l’Autorité palestinienne, comme il en existe un avec Israël. Mais l’idée n’a pas été discutée avec Abbas, selon Mme Mogherini, qui a pré­cisé que la discussion se poursuivrait entre les 28 dans les prochaines semaines. « Nous n’en sommes qu’à une étape très préliminaire », avait déjà prévenu un haut responsable euro­péen, expliquant qu’un accord d’association ne pourrait être signé qu’à condition que l’UE reconnaisse la Palestine comme un Etat indé­pendant. Malgré le rappel constant des posi­tions inchangées de l’UE (sur la solution à deux Etats dans les frontières de 1967, la colo­nisation israélienne ou le statut de Jérusalem), les 28 ne peuvent masquer des divergences de vue et des différences d’approche, reconnaît-on à Bruxelles.

Mme Mogherini a néanmoins promis que l’UE, premier bailleur de l’Autorité palesti­nienne, poursuivrait son aide financière après le gel partiel des fonds américains à l’Agence de l’Onu pour les réfugiés palestiniens (UNRWA). Une sanction qui, selon M. Abbas, revient à abandonner les réfugiés palestiniens. Une réu­nion du Groupe international des donateurs pour la Palestine est d’ailleurs programmée le 31 janvier à Bruxelles.

Mesures américaines injustifiées

Essayant d’exercer une forte pression sur les palestiniens, les Etats-Unis ont décidé de geler plus de la moitié de leurs versements prévus à l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés palestiniens. Un nouveau coup dur pour les Palestiniens. Sur les 125 millions de dollars de contribution volontaire américaine escomptée par cette agence, l’UNRWA, pour 2018, Washington a confirmé l’octroi d’une première tranche de 60 millions pour payer notamment les salaires dans les écoles et le système de santé en Jordanie, en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, a annoncé le Département d’Etat améri­cain. Mais les 65 millions restants vont être retenus jusqu’à nouvel ordre. « Ils sont gelés à ce stade, ils n’ont pas été annulés », a assuré la porte-parole du Département d’Etat, Heather Nauert.

La diplomatie américaine, qui ne cesse de critiquer l’Onu depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump il y a un an, réclame de revoir en profondeur la manière dont l’UNRWA fonc­tionne et son financement. Elle demande à d’autres pays de contribuer davantage, car les Etats-Unis ne veulent plus fournir à eux seuls 30% des fonds de cette agence.

Pour débloquer la seconde tranche, il faudra donc que des réformes soient engagées afin de faire en sorte que l’argent soit mieux dépensé. De son côté, Jan Egeland, secrétaire général de l’organisation Norwegian Refugee Council, a prévenu que « Priver l’UNRWA de ce montant aura des conséquences dévastatrices pour les réfugiés palestiniens vulnérables au Moyen-Orient ». Partageant le même avis, le chef de l’agence onusienne affectée, Pierre Krahenbuhl, a exprimé son inquiétude et appelé les autres membres de l’Onu à contribuer, soulignant que le montant était très inférieur aux 350 millions octroyés par les Etats-Unis en 2017. « Financer l’UNRWA ou une quelconque organisation humanitaire est à la discrétion de chaque Etat membre des Nations-Unies », a-t-il relevé dans un communiqué. Et de conclure: « Etant donné la longue et historique relation de confiance entre les Etats-Unis et l’UNRWA, cette contribu­tion réduite menace l’un de nos engagements en matière de développement parmi les plus nova­teurs et rencontrant le plus de réussite au Proche-Orient ».

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