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Le sort de la Syrie entre les mains des superpuissances

Inès Eissa avec agences, Mardi, 20 septembre 2016

La trêve en Syrie s'est achevée sans espoir d'être reconduite. Américains et Russes haussent le ton et s'accusent mutuellement d'être responsables de son échec.

Le sort de la Syrie entre les mains des superpuissances
La trêve avait déjà été mise à mal vendredi dernier avec de violents combats et des civils tués dans des bombardements. (Photo : AFP)

Alors que les différentes parties syriennes s’ap­prêtaient à la mise en oeuvre de l’accord entre la Russie et les Etats-Unis et d'une prolongation de la trêve, la frappe américaine contre les forces de Bachar Al-Assad à Deir Ezzor a bou­leversé la donne. La trêve entrée en vigueur il y a une semaine à l’initia­tive de la Russie et des Etats-Unis s’est achevée lundi soir. Fragile, cette trêve peut difficilement être reconduite. En effet, elle ne tenait qu’à un fil après les frappes de la coalition contre l’armée syrienne dans l’est et les premiers raids depuis une semaine à Alep, qui risquent de rallumer le principal front du conflit. Cette dégradation survient alors que le ton est brutalement monté entre les deux parrains de la trêve, la Russie et les Etats-Unis, qui s’accu­sent mutuellement de faire capoter le cessez-le-feu.

Dans cet état des lieux, la recherche d’un compromis devrait dominer les discussions qui doivent avoir lieu en marge de l’Assemblée générale de l’Onu, grand rendez-vous diploma­tique annuel qui s’est ouvert lundi dernier à New York. En effet, les ministres russe et américain des Affaires étrangères, Serguei Lavrov et John Kerry, doivent participer ce mercredi à une réunion du Conseil de sécurité sur la Syrie en marge de l’Assemblée générale de l’Onu.

Accusations et contre-accusations

La trêve avait déjà été mise à mal vendredi dernier avec de violents combats et des civils tués dans des bombardements, alors que l’aide humanitaire, qui devait être livrée à des villes assiégées, n’a pas pu être acheminée. Moscou et Washington se sont adressés, des reproches mutuels pour le non-respect des termes de l’accord de trêve. La Russie et son allié syrien ont accusé la coalition internationale d’avoir mené le raid meurtrier qui a fait au moins 90 morts près de l’aéroport de Deir Ezzor, dans l’est de la Syrie. « Des avions de la coalition améri­caine ont frappé l’une des positions de l’armée syrienne (...) près de l’aé­roport de Deir Ezzor », a indiqué l’armée syrienne dans un communi­qué relayé par la télévision d’Etat.

De son côté, la Russie a précisé que « des avions de la coalition internationale antidjihadistes ont mené quatre frappes aériennes contre les forces syriennes encer­clées par l’EI près de l’aérodrome de Deir Ezzor ». Moscou a ensuite porté l’affaire devant le Conseil de sécurité de l’Onu, qui s’est réuni en urgence samedi soir. Damas a de son côté exigé que « le Conseil de sécu­rité condamne l’agression améri­caine et force les Etats-Unis à ne pas recommencer et à respecter la sou­veraineté de la Syrie ». « Nous exi­geons de Washington des explica­tions complètes et détaillées, et elles doivent être données devant le Conseil de sécurité de l’Onu », avait déclaré samedi la porte-parole du ministère russe des Affaires étran­gères, Maria Zakharova.

Autant d’accusations et de contre-accusations qui ne risquent pas d’ar­ranger les choses. D’autant plus que la situation s’est transformée en une lutte entre Moscou et Washington, omettant presque les parties en conflit. Ainsi, l’impression ressentie cette semaine est que la trêve, qu’elle soit respectée ou non, est en fait une trêve entre les Russes et les Américains. En outre, « la scène politique en Syrie ne cesse de se compliquer d’autant plus que les objectifs de l’Administration améri­caine deviennent de plus en plus ambigus », selon un diplomate qui a requis l’anonymat.

En effet, la coalition a reconnu qu’elle avait bombardé ce qu’elle pensait être une position de l’EI avant de mettre fin à l’opération dès que Moscou l’a prévenue qu’il s’agissait peut-être de militaires syriens. « La coalition ne ciblerait jamais intentionnellement une unité militaire syrienne », a expliqué le commandement des forces améri­caines au Moyen-Orient. De son côté, l’ambassadrice américaine, Samatha Power, a réitéré les regrets de Washington pour la frappe de la coalition menée par les Etats-Unis contre une position militaire syrienne mais a accusé la Russie de vouloir « monter un coup » en convoquant le Conseil de sécurité. La frappe, qui a tué des dizaines de soldats syriens, « n’était pas intentionnelle et nous regrettons bien sûr les pertes en vies humaines », a affirmé Mme Power à la presse. Mais elle s’est livrée ensuite à une violente critique contre Moscou qui a convoqué cette réu­nion, parlant de « moralisme », de « mise en scène » et de « cynisme ». Elle a fait valoir « que le régime syrien frappait volontairement des cibles civiles avec une régularité effrayante » et que la Russie ne fai­sait rien pour l’en empêcher. Le régime de Bachar Al-Assad « utilise souvent des armes chimiques (...) et a torturé des milliers de prison­niers », a-t-elle ajouté. « Et pourtant, face à tant d’atrocités, jamais la Russie n’a ni exprimé sa consterna­tion ni demandé une réunion d’ur­gence du Conseil ».

En guise de réponse, l’ambassa­deur russe auprès de l’Onu, Vitali Tchourkine, a accusé Washington d’avoir violé un engagement de ne pas viser les positions syriennes. Cet incident est « un mauvais présage » pour le maintien de l’accord améri­cano-russe en Syrie, a-t-il estimé, tout en se refusant cependant à déclarer cet accord caduc. « C’est un grand point d’interrogation », a-t-il affirmé. « J’espère qu’ils (les Etats-Unis) vont trouver un moyen de nous convaincre et de convaincre tout le monde qu’ils sont sérieux à propos d’un règlement politique en Syrie et à propos de la lutte contre les terro­ristes ».

Des termes durs, pour le moins qu’on puisse dire, et qui mettent Washington dans l’embarras, d’au­tant plus que sa politique en Syrie est de plus en plus ambiguë. Une ambi­guïté qui risque de perdurer encore jusqu’aux élections américaines et à la venue d’un nouveau président. Entre-temps, il semble que ce soit les Russes qui mènent la danse.

« Le dilemme pour les Américains, réside dans le fait que pour soutenir l’opposition, ils sont toujours ame­nés à soutenir d’une manière ou d’une autre des groupes islamistes extrémistes proches soit de l’Etat islamique soit d’Al-Qaëda », estime notre diplomate. Selon lui, ce facteur a rendu la politique américaine en Syrie stérile et sans but précis. « Par contre, les Russes, ayant des objec­tifs clairs, ont pu adopter une straté­gie facile à déchiffrer. Une contra­diction qui rend pour l’heure tout accord entre Russes et Américains irréaliste et difficile à appliquer », conclut-il.

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