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Syrie : Les enjeux de Hassaké

Abir Taleb avec agences, Mardi, 23 août 2016

Pour la première fois depuis le début du conflit en Syrie, l'armée de l'air syrienne a frappé des positions kurdes à Hassaké. Un tournant qui a poussé les Etats-Unis à intervenir directement contre le régime en dépêchant des avions pour protéger leurs forces spéciales.

Syrie : Les enjeux de Hassaké
L'aviation syrienne a massivement bombardé une ville à majorité kurde. (Photo : Reuters)

Les mises en garde des Etats-Unis n’y ont rien fait. L’aviation syrienne n’a pas cessé son survol de Hassaké, une ville du nord-est de la Syrie tenue majoritairement par les forces kurdes, en dépit des avertissements américains contre des frappes pouvant mettre en danger ses conseillers au sol. En effet, depuis jeudi dernier, un nouveau volet de la guerre qui fait rage depuis cinq ans en Syrie s’est ouvert, avec le bombardement pour la première fois par les avions du régime des positions kurdes sur cette ville du nord-est du pays. Les frappes du régime ont été déclenchées après le début, mercredi 17 août, de combats entre la milice pro-gouvernementale et les forces kurdes à Hassaké. C’est également la première fois que les avions de la coalition internationale, conduite par les Etats-Unis, ont fait face aux appareils syriens, sans pour autant donner lieu à des affrontements directs. Washington est en effet intervenu pour la première fois directement contre le régime syrien en envoyant dans le nord-est de la Syrie des avions pour protéger ses forces spéciales qui conseillent des combattants kurdes, visés deux jours d’affilée par des bombardements du pouvoir. « Cela a été fait pour protéger les forces de la coalition » anti-djihadiste, a précisé vendredi le capitaine Jeff Davis, porte-parole du Pentagone, à propos de l’envoi jeudi des avions, qui marque une nouvelle escalade dans le conflit syrien. « Nous avons clairement montré que les appareils américains défendraient les troupes au sol si elles étaient menacées », a ajouté M. Davis. Et d’ajouter : « Nous considérons ces situations qui mettent en danger la coalition comme très sérieuses et nous avons tout à fait le droit de nous défendre ».

Pourtant, selon l’analyste Sameh Rached, directeur du Centre des études arabes et africaines, ce n’est pas une vraie crise entre Washington et Damas. « Aucun bombardement ni mouvement militaire n’est fait sans que les Américains soient préalablement avertis. Le régime syrien ne peut pas se permettre d’entrer en confrontation directe avec les Etats-Unis et ne va sûrement pas prendre le risque de frapper des positions où il y a des conseillers américains ». Ce qui explique le fait qu’il n’y a pas eu d’affrontements directs.

En plus, sur le terrain, les forces kurdes ont réussi à avancer à Hassaké après l’échec d’une médiation russe samedi pour mettre fin aux combats qui les opposent aux forces loyales au président Bachar Al-Assad. Et, jusqu’à présent, à l’image du pays, la ville de Hassaké est morcelée : les deux tiers sont tenus par les forces kurdes et le reste est aux mains du régime. Après deux semaines de tensions à Hassaké, les Kurdes avaient récemment réclamé la dissolution des Forces de Défense Nationale (FDN, milices pro-régime) dans la ville mixte arabe et kurde. Jeudi dernier, une source gouvernementale locale avait affirmé à l’AFP que les bombardements syriens étaient « un message aux Kurdes pour qu’ils cessent de faire ce genre de revendications ».

Ankara se réjouit

Car Hassaké est un enjeu stratégique majeur autant pour les Kurdes que pour le régime, ce qui explique les vives tensions entre les deux parties. De même, ces derniers développements s’expliquent par le recul de l’Etat Islamique (EI) et la montée des Kurdes. « Il y a plusieurs raisons derrière ces récents développements, tout d’abord, la crainte du régime de voir les Kurdes prendre de plus en plus de pouvoir et de devenir incontournables dans un futur règlement », estime Rached. « Jusqu’à présent, les intérêts de Damas et ceux des Kurdes pouvaient coïncider ponctuellement, notamment dans la lutte anti-Daech. Ce ne sera plus le cas une fois Daech amenuisé », dit-il.

En effet, en Syrie, l’EI recule actuellement face aux Forces Démocratiques Syriennes (FDS), une coalition arabo-kurde (dominée par le PYD, principale formation politique kurde de Syrie). Depuis le début de la guerre en Syrie, les Kurdes instaurent des zones d’autonomie dans le nord du pays. Leurs progrès face aux djihadistes leur permettent désormais d’étendre ces territoires en espérant à terme les unifier, ce qui suscite l’hostilité de la Turquie voisine. Confronté à sa propre rébellion kurde, Ankara redoute de voir s’installer à sa frontière une région kurde autonome de Syrie. D’autant que le PYD syrien est organiquement lié au Parti des travailleurs du Kurdistan, le PKK turc. Beaucoup de militants kurdes de Turquie ont d’ailleurs passé la frontière ces dernières années pour se battre en Syrie. D’où la jubilation turque suite aux bombardements par Damas de positions kurdes. Damas a compris que les Kurdes deviennent « une menace pour la Syrie aussi », a ainsi déclaré samedi le premier ministre turc. « C’est une situation nouvelle » et « il est clair que le régime (syrien) a compris que la structure que les Kurdes tentent de former dans le nord (de la Syrie) a commencé à devenir une menace pour la Syrie aussi », a déclaré Binali Yildirim. A ce sujet, l’expert déclare : « A l’heure actuelle, il ne faut pas exclure un bouleversement des positions des uns et des autres. Le fait que Damas bombarde des positions kurdes n’est pas un acte fortuit. Il y aurait aujourd’hui une alliance secrète entre la Turquie et le régime syrien, certaines informations font même état de rencontres secrètes, les deux ayant un intérêt commun contre la partition de la Syrie et contre une entité kurde, d’où le changement de ton turc au sujet de la place de Bachar Al-Assad dans la période à venir ».

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