Quelles conséquences pourrait avoir la création d’une entité kurde syrienne à la frontière avec la Turquie ? Pourrait-on s’attendre à davantage de velléités indépendantistes chez les Kurdes turcs ? S’il est encore tôt pour parler de contagion, il est au moins sûr que ces questions inquiètent la Turquie, et que son président, Recep Tayyip Erdogan, est prêt à tout pour contrer cette initiative kurde, d’autant plus que son pays abrite la plus grande communauté kurde du monde (15 millions, soit 20 % de la population).
« C’est évidemment impensable pour la Turquie, qui déjà avait exigé que le parti kurde de Syrie, le PYD, soit exclu des négociations en cours à Genève. Parce qu’une entité kurde ayant une certaine autonomie en Syrie va faciliter l’échange des armes et des hommes à travers les frontières, de quoi renforcer les Kurdes de Turquie. Et les risques sont réels : Erdogan pourrait bombarder les Kurdes en Syrie comme il l’avait fait avec les Kurdes d’Iraq sans accorder la moindre importance à l’intégrité territoriale de ses voisins. Mais je pense qu’il va tenter d’éviter tout nouvel accrochage avec l’armée russe en Syrie pour ne pas répéter le drame de l’avion russe abattu par l’armée turque en novembre dernier. Désormais, Erdogan va accentuer son offensive contre les Kurdes de la région », prévoit Ossama Al-Gredly, conseiller au Centre régional des études stratégiques. Selon cet expert, Ankara a été également irrité par les récentes déclarations de Massoud Barzani, président du Kurdistan iraqien, qui a dit : « Un Etat kurde serait utile à la paix dans la région ». Il va sans dire que ces évolutions portent un coup dur à la Turquie, où les Kurdes militent depuis 1984 pour leur indépendance. Pendant les années 1990, plus de 37 000 personnes ont trouvé la mort quand le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) s’était engagé dans la lutte indépendantiste armée. Ce n’est qu’en 2013 que les violences se sont apaisées suite à la conclusion d’une trêve entre le PKK et le gouvernement turc. Une trêve qui n’a pas survécu à la tournure qu’ont prise les choses en Syrie, et qui a fini par être avortée en juillet 2015. En effet, la guerre lancée contre l’Etat Islamique (EI) a renforcé les Kurdes, dont les combattants, les Pershmergas, sont soutenus financièrement et militairement pour lutter contre Daech.
Depuis l’annulation de la trêve, les relations entre les Kurdes et le régime se sont envenimées, avec une spirale de la violence : offensive militaire anti-kurde et multiplication des attentats portant l’empreinte kurde. Le dernier en date est l’attentat suicide de samedi, dans le centre d’Istanbul, (5 morts et 36 blessés). La semaine dernière, une voiture piégée a aussi explosé contre un bus municipal à Ankara, (37 morts et 125 blessés). Des attentats qu’Ankara tente de mettre à son profit pour mobiliser l’Europe, Erdogan accusant les 28 de complaisance envers le PKK, et de « danser dans un champ de mines ».
Aujourd’hui, avec les trois quarts de la frontière syro-turque (près de 800 km) se trouvant sous contrôle kurde, et surtout, avec le coup d’envoi de ce qui pourrait être le démantèlement de la Syrie, de nouvelles cartes sont sur la table. Avec peut-être des bouleversements stratégiques. « Ankara pourrait même s’entendre avec Damas pour faire front uni contre l’effritement de leur pays », conclut le politologue.
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