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Turquie-Iraq : Une crise par procuration

Maha Salem avec agences, Mercredi, 16 décembre 2015

Malgré la plainte de l'Iraq déposée auprès du Conseil de sécurité, la crise entre Bagdad et Ankara ne devrait pas prendre de l'ampleur. Elle souligne toutefois des tensions régionales sous-jacentes.

Turquie-Iraq : Une crise par procuration
Manifestations à Bagdad pour revendiquer le retrait des troupes turques. (Photo : Reuters)

Comme prévu, la tension est montée d’un cran entre la Turquie et l’Iraq. L’ambassadeur de ce dernier auprès de l’Onu, Mohamad Ali Alhakim, s’est plaint au Conseil de sécurité du déploiement de troupes turques dans le nord du pays. Selon l’ambassadrice des Etats-Unis Samantha Powers, qui assure la présidence tournante du Conseil de sécurité de l’Onu, l’Iraq n’a pas fait de demandes spécifiques et n’a pas demandé en particulier de réunion d’urgence du Conseil sur ce dossier. Mais l’ambassadeur iraqien a fait part de « l’inquiétude grandissante de son gouvernement ». Essayant de calmer la situation, la Turquie a promis de tenir compte des inquiétudes exprimées par l’Iraq après le déploiement de ses soldats. « Il est de notre devoir de tenir compte des inquiétudes du gouvernement de Bagdad. Ce n’est pas un acte d’agression, mais un acte de solidarité », a déclaré son ministre des Affaires étrangères, Mevlüt Cavusoglu. La Turquie a déployé la semaine dernière plusieurs centaines de soldats et des chars à Bachiqa, à proximité de la deuxième ville d’Iraq, Mossoul, occupée depuis juin 2014 par les djihadistes du groupe Etat Islamique (EI). Un contingent turc y entraîne depuis plusieurs mois des troupes du gouvernement régional du Kurdistan iraqien, les « peshmergas », ainsi que des volontaires iraqiens désireux de combattre l’EI. Ankara affirme que les renforts dépêchés sur place ont pour mission d’assurer la protection de ses formateurs. Et, pour Ankara l’arrivée de nouvelles troupes turques près de Mossoul correspond à une rotation normale de ce contingent et ne constitue ni une intrusion illégale ni l’amorce d’une offensive en Iraq.

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a donc exclu de retirer ses soldats. « Le nombre de nos soldats (dans le nord de l’Iraq) pourrait augmenter ou baisser en fonction du nombre de peshmergas qui auront été entraînés. Notre présence à Mossoul va continuer comme partie du programme d’entraînement », a-t-il dit.

L’ombre de Moscou et de Téhéran

Mais au-delà de la question de l’incursion se profilent des tensions régionales à haut risque. D’abord, les derniers développements risquent d’attiser le conflit chiite/sunnite en Iraq. Pour preuve, l’une des réactions les plus virulentes contre la présence turque en Iraq est parvenue de la plus haute autorité chiite d’Iraq, l’ayatollah Ali Sistani, alors que quelques milliers de personnes, en majorité des miliciens chiites paramilitaires, ont manifesté dimanche dernier dans le centre de Bagdad pour demander le retrait de troupes turques.

Certains analystes ont même vu dans cette crise turco-iraqienne l’ombre d’autres puissances régionales, voire internationales. « Bagdad a été poussé à escalader pour cette affaire par satisfaire ses alliés les plus importants : la Russie et l’Iran. D’un côté, Moscou veut étouffer la Turquie à travers ses voisins. De l’autre, considéré comme l’allié le plus puissant de Bagdad, Téhéran a aussi exercé des pressions sur le gouvernement iraqien. Car l’Iran, très influent en Iraq, n’est pas en bons termes avec la Turquie à cause de leurs divergences sur les questions régionales », explique Dr Gamal Abdel-Gawad, analyste au centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram au Caire.

Côté turc, l’affaire a aussi une autre dimension. « La présence des troupes turques en Iraq entre dans le cadre du bras de fer entre Ankara et les Kurdes. La Turquie veut protéger ses frontières, c’est son objectif premier. Et, à long terme, contrer les velléités d’indépendance chez les Kurdes », explique Dr Gamal Abdel-Gawad.

Pour soutenir l’Iraq devant le Conseil de sécurité, la Russie, brouillée avec la Turquie (voir entretien), a dénoncé ce mouvement de troupes devant les instances onusiennes, sans toutefois rencontrer d’écho. « L’affaire n’ira probablement pas plus loin. Le Conseil de sécurité lancera des appels à le retenue, mais je ne pense pas qu’il y ait de sanctions ou même une résolution sur cette question car les deux pays ont leurs alliés qui les soutiennent et qui vont empêcher l’évolution de la situation entre les deux pays », explique Dr Abdel-Gawad. La question fera cependant l’objet d’une réunion entre la Turquie, les Etats-Unis et la région autonome kurde d’Iraq le 21 décembre prochain.

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