Comme prévu, le gouvernement yéménite a annoncé dimanche dernier qu’il acceptait de participer à des discussions de paix avec les rebelles houthis et les partisans de l’ancien président, Ali Abdallah Saleh. Mais à condition qu’elles soient organisées sous l’égide des Nations-Unies, qu’elles aient lieu dans un pays arabe et que leur but essentiel vise à étudier les moyens pour l’application de la résolution 2216 du Conseil de sécurité de l’Onu, qui prévoit notamment le retrait des rebelles des zones qu’ils ont conquises. Cette décision a été prise après une déclaration lancée la semaine dernière, par le secrétaire général adjoint de l’Onu, Jan Eliasson, affirmant que « les négociations de paix puissent débuter d’ici la fin du mois d’octobre en dépit de la profonde méfiance entre l’Iran, qui soutient les Houthis, et l’Arabie saoudite, qui soutient le président yéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi ».
Exploitant cette déclaration, l’envoyé spécial des Nations-Unies pour le Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmad, a exercé une forte pression sur les parties en conflit, en faisant plusieurs déplacement entre les camps rivaux pour un nouveau round de négociations de paix.
La voie diplomatique semble s’imposer comme la seule issue au vue de la situation actuelle. En effet, rien n’a été accompli depuis fin mars, date de l’intervention de la coalition menée par l’Arabie saoudite, venue au secours du gouvernement pour empêcher les rebelles chiites houthis, appuyés par les partisans de l’ex-président, Ali Abdallah Saleh, de s’emparer de tout le pays après leur prise, à partir de septembre 2014, de vastes territoires. Après sept mois de frappes, la coalition arabe n’a pas pu ni anéantir les Houthis ni même les affaiblir de manière substantielle. « La situation est compliquée au Yémen. La coalition et les forces gouvernementales réalisent certaines avancées, mais ces réalisations ont besoin d’une surveillance. Il doit y avoir des forces à même de protéger et de contrôler les territoires libérés. Une mission difficile parce que l’armée yéménite souffre de manque d’effectifs et parce que les tribus et les chefs des régions préfèrent être neutres. L’armée se trouve partagée entre les combats qu’elle doit mener pour gagner du terrain et ceux qu’elle doit mener pour préserver ses avancées », explique Dr Moatez Salama, analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, au Caire.
Parallèlement à cela, la coalition arabe se trouve embarrassée par un nombre relativement important d’erreurs. Samedi dernier, la coalition a tué et blessé par erreur dans un raid aérien une quarantaine de combattants pro-gouvernementaux dans le sud du pays, selon une source médicale et des témoins.
« Au-delà des pertes humaines, ce genre d’erreurs a une signification importante. Cela veut dire qu’il y a un manque de connexion entre les soldats sur le terrain et leurs commandants. Le bâtiment gouvernemental touché était un théâtre de combats depuis plusieurs mois, tantôt aux mains des Houthis, tantôt aux mains des forces gouvernementales. Cette fois, les forces gouvernementales s’en sont emparées et en même temps, la coalition le bombardait », explique Sameh Rachad, analyste au Centre des études arabes et africaines au Caire. Et d’ajouter : « Il ne faut pas minimiser de tels incidents. C’est peut-être cet incident qui a poussé les deux camps à accepter le retour à la table des négociations ».
A chacun ses comptes
Avis partagé par d’autres analystes. Selon Dr Salama, les deux camps sont conscients qu’un règlement politique est la seule issue à cette guerre. « Chaque camp a ses propres comptes et ses propres intérêts. Il se peut que les Houthis aient accepté la reprise des négociations pour profiter d’une trêve, qui permettrait de réorganiser leurs rangs, équiper les miliciens et recevoir des aides de leurs alliés, en cas de reprise des combats. Quant au camp gouvernemental, il veut profiter de cette période pour dominer et sécuriser les villes conquises ou reconquises, pour s’implanter durablement et remettre la main sur les institutions et les administrations de l’Etat. Ce qui permettrait au camp du président Abd-Rabbo Mansour Hadi d’exercer plus de pression sur ses adversaires au cours des négociations, pour concrétiser ses revendications », affirme Dr Salama.
Cet avis explique le retour inattendu du président yéménite, Abd-Rabbo Mansour Hadi le 22 septembre, après six mois d’exil. Il s’est installé à Aden, déclarée capitale provisoire, parce que la capitale demeure toujours dans les mains des Houthis. Le président Hadi, reconnu par la communauté internationale, a promis un retour rapide à Sanaa. « Le retour dans la capitale Sanaa est pour bientôt, après la libération de toutes les villes et provinces, aux mains des milices putschistes », a déclaré le président dans une conférence de presse.
Son retour fait suite au retour du vice-président Khaled Bahah et de plusieurs ministres afin de gérer les affaires du pays, après la reconquête par les forces gouvernementales des provinces du Sud. En effet, leur retour était très important. Soutenu par la coalition arabe, Bahah tente, depuis son retour, de sécuriser la ville et de rétablir les services publics, lourdement affectés par la guerre. « Bahah est la seule personne capable d’exercer des pressions, non seulement sur les Houthis mais aussi sur les forces fidèles à l’ex-président yéménite Ali Abdallah Saleh. Il jouit d’une grande popularité, il est accepté par tous les camps, alors il peut diriger le pays sans combats en trouvant un certain compromis, et il peut pousser les Houthis à accepter un règlement politique, qui leur réalise quelques revendications », explique Dr Salama. Son retour est aussi important pour affronter et freiner l’organisation d'Al-Qaëda, fortement implantée dans le sud, qui continue d’être active dans la province voisine du Hadramout. Les membres de ce groupe extrémiste ont procédé à la destruction de vieilles tombes et à la vente d’un stock de pétrole à Moukalla, chef-lieu du Hadramout, provoquant l’indignation de la population, impuissante face à ces insurgés, qui contrôlent leur ville depuis avril dernier. « L’enjeu dans le sud, ce sont les habitants, eux-mêmes, qui possèdent toutes les cartes, c’est sur eux que compte le gouvernement pour l’aider à dominer cette région. Le Sud peut aussi freiner les aides fournies aux Houthis », conclut Dr Salama.
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