Un accord politique doit être signé en théorie fin mars entre l’Iran et le groupe 5+1 pour ouvrir la voie à un accord global le 30 juin au plus tard. Mais le régime de Téhéran et les Six peinent pour l'instant à trouver un compromis sur le programme nucléaire iranien. Dans une tentative de débloquer une crise qui empoisonne les relations entre Téhéran et l'Occident depuis plus d'une décennie, le marathon diplomatique s'est poursuivi cette semaine lors de la Conférence sur la sécurité à Munich avec une nouvelle rencontre entre le secrétaire d'Etat américain, John Kerry, et son homologue iranien Javad Zarif. Lors de leurs entretiens vendredi et dimanche, MM. Zarif et Kerry ont discuté de leurs deux principaux sujets de désaccord: le degré de l'enrichissement de l'uranium iranien et le calendrier de la levée des sanctions internationales.
Ne réalisant aucune avancée concrète, John Kerry a pourtant insisté sur la nécessité d'aboutir à un accord politique sur le programme nucléaire de Téhéran « d’ici fin mars ». De son côté, Javad Zarif a déclaré qu’un nouveau report de la date butoir « n’est dans l’intérêt de personne ».
Le scepticisme règne sur l’issue positive de ces discussions, qui ont été déjà prolongées à deux reprises, à cause de l’incompatibilité des revendications des deux parties. D’une part, les grandes puissances exigent que l’Iran réduise ses capacités nucléaires, afin d’empêcher qu’il puisse disposer un jour de la bombe atomique. D’autre part, Téhéran revendique son droit à une filière nucléaire civile complète et demande la levée totale des sanctions économiques occidentales. Cela dit, les deux parties auraient intérêt à éviter l’échec de la diplomatie: « Le président Obama n’est pas prêt à s’enliser dans une nouvelle guerre à deux ans de la fin de son dernier mandat, surtout après ses échecs en Iraq et en Afghanistan. De même, Téhéran a intérêt à signer vite un accord qui sauverait son économie étranglée par les sanctions », analyse l’expert Mohamad Abbas, chercheur au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram.
Pression des faucons
Selon les observateurs, l’impasse actuelle est largement alimentée par les prises de position des « faucons » à Téhéran et à Washington qui tentent de freiner les négociations. Sceptique, le Congrès américain —dominé par les Républicains et où le lobby israélien est très influent, a approuvé la semaine dernière à titre préventif un projet de nouvelles sanctions contre l’Iran, menaçant de les appliquer en cas d’impasse dans les négociations.
En fait, les Républicains voient dans les sanctions le moyen le plus efficace pour forcer Téhéran à abandonner son programme nucléaire. Or, les sanctions déjà en place n’ont fait que torpiller le processus de la diplomatie en cours, car les faucons du régime iranien– méfiants à leur tour à l’égard de Washington - ont saisi l’occasion pour faire pression sur le président modéré Hassan Rohani. Pour les conservateurs iraniens, de nouvelles sanctions seraient une preuve des mauvaises intentions de Washington et de sa volonté de freiner le programme nucléaire iranien sans contrepartie.
En effet, le Parlement iranien a décidé d’examiner en priorité une proposition de loi obligeant le gouvernement à reprendre toutes ses activités nucléaires en cas de nouvelles sanctions américaines. Si le texte est voté, le gouvernement serait obligé de répliquer aux éventuelles nouvelles sanctions de Washington en abrogeant l’accord entre l’Iran et les grandes puissances signé à Genève en novembre 2013. Une perspective qui rendrait encore plus difficiles les négociations en cours. En effet, la proposition de loi des députés iraniens précise que le gouvernement devra activer les centres d’enrichissement d’uranium sans aucune restriction et augmenter l’enrichissement jusqu’à 20% sur le site de Fordow, un site enfoui sous la montagne et difficile à détruire par des frappes militaires. Toujours selon ce texte, le gouvernement iranien devra également accélérer la mise en route du réacteur à eau lourde d’Arak, susceptible de fournir du plutonium. L’Iran avait accepté de suspendre la construction de ce réacteur et de faire des modifications techniques pour rassurer la communauté internationale.
Sous la pression des durs de son régime, le président Rohani a paru cette semaine plus agressif que jamais vis-à-vis de l’Occident et des Etats-Unis. « Ils nous disent : Nous ne voulons pas que l’Iran construise la bombe atomique, mais c’est vous qui avez construit la bombe atomique », a fustigé M. Rohani, alors que dans le groupe 5+1, seule l’Allemagne n’est pas une puissance nucléaire militaire. Rohani a également fustigé les puissances occidentales qui, selon lui, n’ont pas réussi à assurer leur sécurité malgré l’arme nucléaire, répétant que son pays n’avait pas besoin de la bombe atomique. M. Rohani, a fait la liste des réussites iraniennes comme le lancement réussi cette semaine d’un satellite d’observation « malgré les pressions et les sanctions ».
Même réticence manifestée, dimanche, par le guide suprême Ali Khamenei qui a affirmé qu’il « valait mieux pas d’accord sur le nucléaire qu’un accord en contradiction avec les intérêts de la nation ».
« C’est le Congrès qui a mis les bâtons dans les roues en parlant de sanctions en plein milieu des négociations. L’Administration américaine doit s’entretenir avec le Congrès afin de le convaincre de donner une chance au président Barack Obama d’aboutir à un règlement pacifique de la crise iranienne avant la fin de son dernier mandat », estime le chercheur Mohamad Abbas, tout en estimant « légitime » la méfiance de l’Occident. « Là, les Occidentaux ont raison de s’inquiéter, car les Iraniens peuvent geler leur programme nucléaire sans en enlever un seul clou. Les Iraniens ont maîtrisé la technologie nucléaire et ils ne vont jamais y renoncer », conclut le chercheur .
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