Avec ses nouveaux visages pro-occidentaux, le nouveau parlement ukrainien réussira-t-il à mettre fin au drame d’une Ukraine tiraillée entre Moscou et l’Occident ? La réponse est incertaine, car le contexte où s’est déroulé le scrutin est délicat : forte crise économique, aggravée par un conflit sanglant dans l’est séparatiste qui a fait 3 700 morts et 824 000 réfugiés depuis avril dernier.
Les résultats du vote étaient largement prévisibles : le camp pro-occidental, mené par le président ukrainien Petro Porochenko, élu en mai, et 4 autres mouvements pro-occidentaux, ont obtenu une majorité écrasante (70 % des voix). Le bloc Porochenko est arrivé en tête, suivi du parti Front populaire du premier ministre Arseni Iatseniouk et du mouvement Samopomitch mené par le maire de Lviv. Ces deux dernières formations sont favorables à une offensive plus musclée contre les séparatistes de l’est, de quoi s’interroger sur la nouvelle approche qu’adopterait Kiev, vis-à-vis d’un est rebelle, les jours à venir. Quant au principal parti pro-russe, composé des ex-alliés de Viktor Ianoukovitch, il a dépassé de justesse le seuil électoral fixé à 5 % des voix. Autre fait historique : le parti communiste a disparu du parlement.
A la lumière de ces résultats, les autorités ukrainiennes pourraient renforcer leur pouvoir, ramener la paix dans l’est et affirmer l’orientation européenne de l’ex-république soviétique. Or, pour réaliser ces tâches, le président ukrainien doit vite s’allier avec une ou plusieurs des formations pro-occidentales pour former une « majorité constitutionnelle », qui lui permettrait de poursuivre le processus de paix dans l’est, et promouvoir une économie en récession. Sans tarder, des consultations marathon ont commencé, dimanche soir, pour former cette coalition. Le président a, déjà, reçu M. Iatseniouk, qui a assuré qu’une coalition serait formée dans les détails les plus brefs, pour que le gouvernement réalise rapidement ses réformes. Pourtant, certains experts estiment qu’il serait difficile au bloc Porochenko, de former une majorité solide et cohérente au parlement avec 4 ou 5 partis.
Les enjeux des jours à venir semblent herculéens. Depuis son indépendance en 1991, ce pays est le terrain d’affrontements géopolitiques entre Occidentaux et Russes, dont les relations, de l’aveu même de Moscou, ont « touché le fond ». Le premier défi qui incombe aux nouvelles autorités serait, donc, de mettre une fin rapide au conflit sanglant qui fait rage dans l’est. Le processus de paix lancé par le président ukrainien et le cessez-le-feu, conclus le 5 septembre, n’ont pourtant pas réussi à mettre fin aux combats, et les séparatistes ont même boudé le vote de dimanche. Or, selon les experts, tant que le bras de fer se poursuit entre Moscou et l’Occident, l’est ukrainien resterait le théâtre de graves combats et pourrait finir par proclamer son indépendance et son rattachement à la Russie comme la Crimée.
Quant à l’économie, le défi n’est pas moins grave. D’ores et déjà, le parlement ukrainien aura à voter des réformes économiques radicales, afin de sauver un pays au bord de la faillite économique depuis fin 2013. La coalition que le président est censé former le plus vite possible doit être capable d’adopter les difficiles mesures de rigueur, exigées par les bailleurs de fonds internationaux de l’Ukraine, le Fonds monétaire international, et Bruxelles en tête. Outre cela, le nouveau pouvoir doit résoudre d’urgence le conflit gazier avec Moscou, qui prive l’Ukraine du gaz russe, depuis juin, notamment avec l’arrivée de l’hiver. La semaine prochaine, les négociations doivent reprendre entre Moscou et Kiev, qui a déjà demandé aux Occidentaux une rallonge de 2 milliards de dollars, pour acheter du gaz russe. Le rapprochement affiché, lors de la rencontre à Milan la semaine dernière, entre Porochenko et Poutine reste de l’encre sur papier. Bien plus, la situation économique en Ukraine dépendra de la possibilité pour l’Ukraine d’importer assez de gaz cet hiver pour faire tourner une industrie paralysée.
Pas rester poings liés
Reste à s’interroger sur la réaction de Moscou les jours à venir. Il va de soi que Moscou ne va pas rester poings liés, face à une Kiev qui se rapproche à grands pas de l’Europe. Vladimir Poutine serait prêt à tout faire pour empêcher l’existence à ses frontières d’une Ukraine pro-européenne, où pourraient être plantées des bases de l’Otan. Pour l’heure, la réaction de Moscou, et aussi celle des pro-russes de l’est ukrainien, inquiète la plupart des experts, surtout après que des tirs d’artillerie ont retenti lundi à Donetsk, marquant une reprise des combats après deux jours de calme relatif. Autre signe inquiétant : la presse russe s’est montrée lundi sceptique sur la victoire des pro-occidentaux, soulignant que la présence au parlement de 5 ou 6 partis différents n’allait pas contribuer à l’harmonisation de la vie politique en Ukraine.
Aussi, il ne faut pas oublier les 5 millions des 36,5 millions d’électeurs qui ont boycotté le vote, et qui vivent en Crimée et dans les zones de Donbass (est) pro-russes. 27 sièges de députés sur les 450 que compte la Rada (parlement ukrainien) sont restés vides. Boycottant le vote, les régions de l’est et la Crimée, annexée en mars par la Russie, entendent organiser leurs propres élections présidentielles et législatives le 2 novembre. Ce qui serait synonyme d’une division imminente du pays .
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