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Ukraine: Un dialogue de sourds

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 09 juin 2014

Le bras de fer entre Moscou et l'Occident se poursuit de plus belle au détriment d'une Ukraine désormais déchirée.

Ukraine  : Un dialogue de sourds
Les forces ukrainiennes ont subi un nouveau revers dans l'est cette semaine. (Photo:AP)

Avec le durcissement du bras de fer qui oppose Moscou à l’Occident, l’avenir de l’Ukraine ne cesse de s’assombrir. Les deux protagonistes de la crise soufflent le chaud et le froid pour éviter une éventuelle confrontation militaire, ou au moins pour ne pas couper les ponts du dialogue. Le G7 a adressé un coup dur à Moscou cette semaine, en se réunissant à Bruxelles sans la Russie, pour la première fois depuis 17 ans. Le groupe souhaitait ainsi affirmer l’isolement de Moscou suite au rattachement de la Crimée, région de l’est de l’Ukraine, à la Russie en mars. Lors de leurs réunions, les dirigeants du G7 ont fait front uni et ont condamné la poursuite de la violation par la Russie de la souveraineté de l’Ukraine, menaçant Moscou de nouvelles sanctions. Le président américain, Barack Obama, a lancé un ultimatum à la Russie: « Nous allons voir ce que M. Poutine va faire dans les trois, quatre prochaines semaines », a-t-il déclaré. Des sanctions susceptibles de frapper l’économie russe pourraient être décidées au prochain sommet européen qui se tiendra les 26 et 27 juin.

Au lendemain du G7, les grandes puissances ont retrouvé le président russe « pour la première fois » depuis plus de deux mois sur les plages de Normandie pour honorer les soldats ayant participé au Débarquement, il y a 70 ans, un anniversaire assombri par le bras de fer entre Russes et Occidentaux. Cependant, tous les entretiens de Poutine avec les Occidentaux sont restés « lettre morte » car les deux parties campent sur leurs positions. Alors que l’Occident insiste à « arracher » l’Ukraine à Moscou, Poutine n’acceptera jamais de voir à ses frontières une Ukraine européenne.

Bien qu’il réalise d’avance que tout dialogue avec l’Occident resterait sans lendemain, le maître du Kremlin s’est engagé dans plusieurs entretiens bilatéraux avec les Occidentaux pour ne pas fermer la porte de la diplomatie. En Normandie, il s’est entretenu avec le premier ministre britannique, David Cameron, et son homologue français, François Hollande, mais le plus important de tous a été son entretien de dix minutes avec M. Obama, en marge des célébrations. Il s’agit de la première rencontre face à face entre les deux hommes, engagés depuis deux mois dans un bras-de-fer. Lors de cette rencontre, Obama a exhorté Poutine à reconnaître le nouveau président ukrainien, Petro Porochenko, afin d’apaiser les tensions entre les Etats-Unis et la Russie. M. Obama a pourtant affirmé qu’il appréciait la coopération avec la Russie sur plusieurs questions, comme la guerre en Afghanistan et l’accord nucléaire avec l’Iran.

Laissant passer l’orage, le président russe a rencontré son homologue ukrainien, pour la première fois, en marge des célébrations. Les deux hommes ont convenu de la nécessité de faire cesser les combats dans le sud-est de l’Ukraine. Une rencontre restée pourtant sans résultat car le leader ukrainien a refusé tout « compromis » avec la Russie sur l’orientation européenne de son pays et sur le rattachement de la Crimée à l’Ukraine. « La Crimée a été et restera ukrainienne », a insisté Porochenko, lors de la cérémonie de son investiture samedi au Parlement où il s’est engagé à maintenir « l’unité du pays » et à « le mener vers l’Europe ».

Les rebelles renforcent leur emprise

La réalité sur le terrain torpille tout espoir en une « unité du pays » : la situation dans l’Est ukrainien ne connaît aucun répit. La guerre d’influence qui se joue au sommet a fait oublier aux superpuissances les cris d’un pays qui se déchire. Au fil des jours, les rebelles pro-russes renforcent leur emprise sur le sud et l’est, affirmant que le rêve d’une « Ukraine unie » est désormais « lointain ». Déjà, les séparatistes de la « république de Lougansk » (est) autoproclamée en mai ont appelé le nouveau président ukrainien à retirer ses troupes d’occupation: « Des négociations ne peuvent commencer qu’après le retrait de notre territoire des troupes d’occupation », a déclaré le « président » de « la république de Lougansk ». De quoi prouver que les séparatistes n’ont aucune intention de céder le pas. Cette semaine, les autorités ukrainiennes ont subi un nouveau revers dans l’Est quand les gardes-frontières ukrainiens ont abandonné trois postes à la frontière russe après des attaques d’insurgés pro-russes. Deux autres postes-frontières de la région sont tombés de la même façon aux mains des forces armées de Lougansk qui multiplient les assauts contre les gardes-frontières. Parallèlement, à Slaviansk, bastion des insurgés armés prorusses, un policier ukrainien a été tué et deux blessés dans une attaque séparatiste. En mai, les régions de Donetsk et Lougansk, où vivent plus de six millions d’habitants, ont proclamé leur indépendance et rompu les liens avec le pouvoir central à Kiev. Depuis le 13 avril, les forces ukrainiennes mènent une opération militaire pour mater la rébellion qui a fait plus de 200 morts, mais l’opération « antiterroriste » ukrainienne dans l’Est n’avait « pas atteint ses objectifs » comme l’a reconnu cette semaine le chef de l’administration régionale de Donetsk.

Outre cette impasse politique qui menace un Est rebelle, l’avenir économique des territoires de l’Est paraît sombre: principales entreprises fermées, production de charbon en baisse et transports perturbés. Il suffit de rappeler que le poumon industriel du pays — Donetsk— se trouve déjà livré à l’anarchie. Or, quelles que soient les pertes subies par Kiev ou par Moscou, Vladimir Poutine ne cédera pas d’un iota sur l’Ukraine: il peut dialoguer, souffler le chaud et le froid, laisser passer l’orage, ajourner l’imposition de plus de sanctions, mais en fin de compte, il n’acceptera jamais de voir à ses frontières une Ukraine européenne où pourraient être plantées des bases de l’Otan .

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