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La stratégie du jusqu’au-boutisme

Maha Al-Cherbini avec agences, Mardi, 13 mai 2014

Les Ukrainiens de l'Est ont voté par un « oui » massif pour l'indépendance de leurs régions, Donetsk et Lougansk. De quoi durcir davantage le bras de fer entre Moscou et l'Occident.

La stratégie du jusqu’au-boutisme
La victoire écrasante du « oui » pour l'indépendance de Donetsk et Lougqnsk répète le scénario de la Crimée. (Photo:Reuters)

Alors que les autorités ukrainiennes préparent la présidentielle antici­pée du 25 mai et intensi­fient leurs opérations militaires pour reprendre un Est « rebelle », les sépa­ratistes pro-russes ont organisé dimanche un référendum sur l’indé­pendance des « républiques popu­laires » de Donetsk et de Lougansk, frontalières de la Russie. Sur les bul­letins, imprimés par les rebelles, figure la question : « Approuvez-vous l’indépendance de la République populaire de Donetsk ? » ou « Approuvez-vous l’indépendance de la République populaire de Lougansk ? ». Et sans surprise, une victoire écrasante du « oui » à l’indé­pendance vient répéter le scénario de la Crimée rattachée à la Russie en mars dernier suite à un référendum.

Marquant un nouveau point contre l’Occident, la Russie a annoncé qu’elle respecte la volonté des Ukrainiens de l’Est, rajoutant qu’elle ne voit aucune utilité de nouveaux pourparlers internationaux sur l’Ukraine sans les représentants des régions séparatistes. Une déclaration dénoncée par Kiev qui a qualifié ce référendum de « farce criminelle » financée par le Kremlin et qui « n’au­ra aucune conséquence sur l’intégri­té territoriale de l’Ukraine ».

Loin de ces débats, la situation sur le terrain reste fort alarmante, avec la reprise des combats dans plusieurs villes du Sud et de l’Est ukrainiens comme Slaviansk dont l’armée ukrai­nienne tente de reprendre le contrôle. Parallèlement, de violents combats ont opposé samedi les insurgés pro-russes aux forces armées ukrai­niennes dans la ville portuaire de Marioupol, faisant 20 morts parmi les assaillants et plusieurs policiers. Des incidents similaires entre militaires et pro-russes armés se sont produits à Donetsk.

Alors que l’Ukraine s’enfonce dans le gouffre de la violence, le président russe, Vladimir Poutine, a exacerbé les tensions et lancé un défi ouvert à Kiev et à l’Occident, en se rendant vendredi en Crimée pour participer à des célébrations de la victoire de 1945 sur les nazis. Il s’agit de sa pre­mière visite dans la péninsule depuis que Kiev en a perdu le contrôle en mars dernier. « L’année 2014 va res­ter dans les annales comme celle qui a vu les peuples qui vivent ici décider avec fermeté d’être avec la Russie, confirmant leur fidélité à la vérité historique », a lancé le maître du Kremlin. Foulant aux pieds toutes les critiques internationales, M. Poutine a procédé à une nouvelle démonstra­tion de force militaire, lors de sa visite en Crimée, en passant en revue une dizaine de bâtiments de la Flotte russe de la mer Noire. Un défilé aérien a ensuite mobilisé des dizaines d’appareils, dont des bombardiers supersoniques Tupolev TU-22 et des chasseurs Soukhoï Su-27. Ce nou­veau défi russe prouve que Moscou est disposé à s’enliser dans une guerre sans merci avec l’Occident pour ne pas voir à ses frontières une Ukraine pro-européenne qui menacerait fort ses intérêts, voire son existence.

Un référendum non reconnu

Poings liés face à Moscou déter­miné à garder « son Ukraine » coûte que coûte, les Etats-Unis, la France et l’Allemagne ont jugé « illégaux » les résultats des référendums, affirmant qu’ils ne reconnaîtraient pas leurs résultats. Les trois pays ont menacé la Russie de « conséquences » en cas de non-tenue des présidentielles ukrainiennes et appelé la Russie à cesser ses manoeuvres militaires à la frontière ukrainienne. Samedi, le secrétaire d’Etat américain, John Kerry, a évoqué la situation avec son homologue russe, Sergueï Lavrov, lors d’un entretien téléphonique. « Ce que nous attendons maintenant, ce sont des actes et pas des paroles », a déclaré Kerry. Car Moscou ne cesse de lancer des signaux contradic­toires : par exemple, alors que Poutine a demandé aux séparatistes de reporter le référendum de dimanche, il a fort salué le résultat des référendums. Lançant la balle dans le camp des Américains, M. Lavrov a enjoint son homologue américain de faire pression sur les autorités ukrainiennes pour qu’elles cessent les opérations militaires dans le sud-est du pays. Kiev avait cepen­dant répété qu’il n’avait nullement l’intention de renoncer à rétablir l’ordre dans l’est.

En fait, Kiev et les Occidentaux ne cachent pas leur crainte de voir se reproduire le scénario de la Crimée qui s’est traduit par la pire crise diplo­matique entre Occident et Russie depuis la fin de la Guerre froide.

Pour Kiev et l’Europe, les enjeux ne sont pas uniquement militaires, mais également économiques, la Russie ayant menacé qu’elle ne livre­rait plus son gaz à l’Ukraine que sur pré-paiement, en raison d’une dette gazière de 3,5 milliards de dollars dont Kiev conteste le montant. Cette mesure peut menacer les livraisons de gaz à l’Europe, qui importe le quart de son gaz de Russie, dont près de la moitié via l’Ukraine.

Selon les analystes, les Occidentaux n’ont désormais qu’une seule carte de pression sur Moscou : l’arme des sanctions qui reste tou­jours sans lendemain. L’Occident a déjà mis en place, ces dernières semaines, une série de sanctions à l’égard de la Russie, qu’ils accusent de piloter les troubles dans l’Est, et menacent de les étendre si la prési­dentielle ukrainienne n’a pas lieu. Jusqu’à présent, les 28 membres de l’UE ont réussi à maintenir un front uni autour d’une stratégie de sanc­tions graduées, actuellement dans la phase 2, celles des mesures ciblées visant 48 responsables russes (parle­mentaires, militaires ...) et sépara­tistes ukrainiens. Le service diplo­matique de l’UE poursuit parallèle­ment des consultations avec les Etats membres sur les mesures suscep­tibles d’être prises dans le cadre de la phase 3, celle des sanctions écono­miques contre la Russie, si la situa­tion se dégradait davantage en Ukraine.

Quelles que soient les pertes, Moscou ne semble pas vouloir céder sur une Ukraine qui lui appartenait avant la chute de l’URSS en 1991. Il semble que Poutine qui a récemment déclaré que sa plus grande « tragé­die » était la chute de l’URSS, aspire à faire renaître une sorte de nouvel empire, une nouvelle URSS, mais qui porterait le nom de la Russie.

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