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Ukraine : Le feu aux poudres

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 05 mai 2014

L'Ukraine a étendu son offensive militaire « antiterro­riste » à plusieurs villes rebelles pro-russes en réponse à la prolifération des violences dans l’est et le sud du pays. De quoi inquiéter Moscou qui menace d’agir malgré les sanctions et les menaces occidentales.

Ukraine : Le feu aux poudres
Les forces ukrainiennes tentent de reprendre le contrôle de l'Est du pays dominé par les pro-Russes. (Photo:REUTERS)

Il s’agit de la semaine la plus meurtrière depuis le début de la crise ukrainienne fin février. Avec plus d’une cinquantaine de morts, la violence a atteint un niveau sans précédent ces derniers jours et risque de s’étendre vers le sud du pays après le grave incendie « d’origine criminelle » qui a ravagé la Maison des Syndicats d’Odessa, ville portuaire du sud de l’Ukraine, causant la mort de 42 personnes, dans la foulée de violents affrontements entre des partisans de l’unité de l’Ukraine et des militants pro-russes.

Lundi, la violence s’est enfoncée à Odessa et la crise s’est compliquée après que 2 000 pro-russes eurent pris d’assaut le siège de la police de cette ville, et que des milliers de partisans d’une « Ukraine unie » ont déchaîné de graves manifestations dans les rues. En visite dans cette ville en deuil, le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, a affirmé que ces violences font partie d’« un plan russe pour détruire l’Ukraine ». Depuis un mois, les rebelles pro-russes avaient étendu leur emprise à l’est du pays, sans rencontrer beau­coup de résistance de la part des forces de l’ordre ukrainiennes.

Cependant, cette semaine, l’armée de Kiev a poursuivi son offensive militaire pour tenter de reprendre le contrôle de l’est du pays face aux insurgés pro-russes. L’opération a commencé par la région de Slaviansk et la ville voisine de Kramatorsk puis s’est étendue à Lougansk, Donetsk et Marioupol : des villes qui font partie de la douzaine de villes de l’est ukrai­nien actuellement sous le contrôle des séparatistes pro-russes. Selon les observateurs, cette opération a res­serré l’étau autour de plusieurs villes rebelles comme Slaviansk, surtout après que l’armée ukrainienne eut coupé le principal axe routier vers la ville, encerclant totalement ce bastion des insurgés. « C’est une attaque d’envergure totale, nous ne nous arrêtons pas. Les séparatistes ont essuyé de lourdes pertes : beaucoup de morts et de blessés, de nombreux prisonniers », a déclaré le président ukrainien par intérim, Olexandre Tourtchinov, qui a affirmé mettre ses forces armées en état d’alerte maxi­mum pour tenter d’empêcher une propagation de l’insurrection pro-russe à d’autres régions de l’est ou du sud. Soucieux de priver d’arguments les séparatistes, le gouvernement ukrainien a annoncé envisager un référendum sur l’unité de la nation ukrainienne en parallèle de l’élection présidentielle anticipée du 25 mai.

Furieuse, la Russie a vivement réagi à cette vaste opération militaire, qu’elle a qualifiée de « raid de repré­sailles » et de « coup de grâce à l’accord de Genève » péniblement conclu à la mi-avril entre Moscou, Kiev et les Occidentaux. « Le recours à la force dans le sud-est de l’Ukraine est un signe d’impuissance criminelle de la part des autorités de facto de Kiev », s’est indigné le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, estimant que cette agression menait l’Ukraine « à la catastrophe ». Passant à la menace, la Russie a accru sa pression sur Kiev en brandissant l’arme du gaz, signalant qu’elle pour­rait réduire ses livraisons de gaz à l’Ukraine faute de pré-paiement d’ici à la fin mai.

100 000 manifestants

Selon les experts, cette réticence russe est due à plusieurs motifs, dont le soutien d’une bonne partie du peuple russe à la politique de Vladimir Poutine en Ukraine. A Moscou, la mobilisation a été mas­sive et patriotique cette semaine : environ 100 000 personnes ont défilé sur la place Rouge, renouant avec une tradition datant de l’URSS. Fort de ce soutien populaire, le président russe va se rendre pour la première fois en Crimée depuis le rattachement de cette péninsule à la Russie pour y assister à la parade militaire du 9 mai qui commémore la victoire sur l’Al­lemagne nazie. La Russie n’hésite pas à comparer les violences dans le sud-est du pays aux pires crimes nazis. Autre facteur à rendre Poutine de plus en plus réticent c’est qu’il est sûr du soutien de Pékin, et bien plus, il est certain de ne jamais voir une résolution du Conseil de sécurité de l’Onu condamnant son pays doté d’un droit de veto qui peut bloquer toute initiative des Occidentaux au Conseil. Treize réunions du Conseil de sécurité depuis le début de la crise n’ont pas abouti à une prise de posi­tion commune sur ce dossier. Dernier facteur : Poutine ne peut jamais accepter le cauchemar affreux de voir à ses frontières une Ukraine pro-euro­péenne où pourraient être plantées des bases de l’Otan.

Face à cette réticence russe, les Occidentaux n’ont fait qu’accroître la pression sur Moscou, de peur que la crise ne dégénère en guerre. « Il est important que la Russie retire son soutien aux séparatistes », a mis en garde le secrétaire d’Etat américain John Kerry, alors que la chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a appelé à la « retenue ». « Toutes les parties ne doivent pas attiser plus de haine, de divisions et de violence gratuite », avertit la chef de la diplomatie, qualifiant les événe­ments de cette semaine de « violence aveugle ».

Passant de la parole à l’acte, les Etats-Unis et l’Union européenne ont adopté de nouvelles sanctions contre des personnalités et entreprises russes, visées pour leur rôle dans les atteintes à la « souveraineté » de l’Ukraine. Plus menaçante que jamais, Moscou a prévenu samedi que cette politique occidentale de sanctions ne resterait pas sans réponse, faisant allusion à l’arme énergétique, surtout après que le Fonds monétaire international eut affirmé que la crise ukrainienne avait plongé la Russie en récession en rai­son de la chute des investissements liée aux sanctions occidentales. Semant à tout vent pour faire pression sur Moscou, l’Otan est passée à la menace militaire, en déployant cette semaine le groupe naval dans la Baltique pour marquer son engage­ment dans la sécurité et la sûreté des pays baltes, membres de l’Alliance depuis 2004. Selon l’Otan, la pré­sence accrue de l’Alliance dans la région constitue une « mesure de dis­suasion » face à la Russie, qui a massé 40 000 soldats à la frontière orientale de l’Ukraine. Les trois anciennes républiques baltes sovié­tiques, la Lituanie, la Lettonie et l’Estonie, s’inquiètent du potentiel militaire grandissant de la Russie à leurs frontières, la crise ukrainienne n’ayant fait que renforcer leurs appréhensions.

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