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Bras de fer sur l’Ukraine

Maha Al-Cherbini avec agences, Mercredi, 12 mars 2014

Enlisée dans la plus grave crise qui l’oppose à l’Occident depuis la chute de l’URSS en 1991, la Russie ne semble pas prête à céder d’un iota sur l’Ukraine, malgré une série de sanctions occidentales, un risque d’isolement international et des prémices de guerre froide.

Bras de fer sur l’Ukraine
Des manifestations pro-russes se sont déchaînées cette semaine en Crimée. (Photo:Reuters)

La crise ukrainienne pourra-t-elle déboucher sur une troisième guerre mondiale ou se cantonner dans un simple retour aux réflexes de la guerre froide ? Pour l’heure, le premier scénario reste lointain, bien que la crise prenne de l’ampleur jour après jour. Quatre réunions du Conseil de sécurité de l’Onu — en moins de deux semaines — et tout un train d’activités diplomatiques n’ont pas réussi à contenir le plus grave bras de fer qui oppose Moscou à l’Europe et aux Etats-Unis depuis la chute de l’URSS en 1991.

Décidée de faire de l’Ukraine un pays satellite au grand dam des Occidentaux, la Russie semble prête à tout sacrifier. Malgré toute une série de sanctions internationales, Moscou a poursuivi sa guerre « existentielle » pour imposer son influence sur sa voisine, menaçant d’avoir recours à l’arme énergétique. Dimanche, le géant public russe Gazprom a mis en garde Kiev contre une interruption de ses exportations de gaz si le nouveau pouvoir ne s’acquittait pas de ses deux milliards de dollars de dette au plus vite. Le 1er janvier 2009, Gazprom avait suspendu l’approvisionnement en gaz à l’Ukraine en raison d’un différend commercial. Des pays de l’Union européenne avaient été les premières victimes de ces représailles en pleine vague de froid, certains Etats dépendant à 100 % du gaz russe.

Faisant de la Crimée — péninsule ukrainienne pro-russe aux tendances séparatistes — son premier atout dans le jeu ukrainien, Moscou a soutenu la décision du Parlement local de cette région de se séparer de Kiev et d’organiser le 16 mars un référendum de rattachement à la Russie. Pour sa part, le Parlement russe a assuré dimanche qu’il soutiendrait le « choix historique » de la Crimée alors que le président russe, Vladimir Poutine, a défendu le droit de la Crimée à être attachée à la Russie lors de ses entretiens téléphoniques avec la chancelière allemande, Angela Merkel, et le premier ministre britannique, David Cameron. Dans cette même optique, des manifestations de plus de 65 000 personnes se sont déchaînées à Moscou cette semaine, brandissant des drapeaux russes ou munies de pancartes clamant « la Crimée est une terre russe » ou « Crimée, nous sommes avec toi ».

Rejetant toute médiation internationale, la Crimée — sous le contrôle des forces russes depuis fin février — a empêché, pour la troisième fois, samedi, les 54 observateurs internationaux dépêchés par l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) de pénétrer dans la péninsule. Selon les analystes, la peur de l’effritement de l’Ukraine se profile désormais à l’horizon avec un risque de contagion qui pourrait s’étendre de la Crimée vers d’autres régions pro-russes. Déjà, 10 000 partisans du rapprochement avec Moscou ont défilé ces derniers jours dans l’est ukrainien, notamment à Donetsk et Kharkiv, brandissant des drapeaux de la Russie et signant une nouvelle démonstration de force qui a contraint dimanche le leader pro-européen Vitali Klitschko à annuler un meeting.

De peur de voir son pays s’effriter d’un jour à l’autre, le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, a soutenu l’unité ukrainienne lors d’une manifestation dimanche pour le 200e anniversaire de la naissance du poète ukrainien Taras Chevtchenko, symbole de l’indépendance de l’Ukraine. « L’Ukraine ne cédera pas un centimètre de sa terre à la Russie », a défié Iatseniouk.

Payer la facture

En bafouant la colère de la communauté internationale, Moscou a commencé cette semaine à payer la facture de son défi, en risquant de s’isoler sur la scène internationale. Affirmant leur unité face à un danger commun, le président américain Barack Obama s’est entretenu dimanche avec plusieurs dirigeants européens, notamment les premiers ministres britannique David Cameron et italien Matteo Renzi, ainsi que le président François Hollande. Tous ont réaffirmé « leur grave préoccupation devant la violation du droit international par la Russie ». Washington a mis en place plusieurs sanctions contre Moscou, dont les restrictions de visas et le gel d’avoirs visant des responsables russes. Selon les experts, la première rançon que Moscou va payer serait un probable retour à la guerre froide qui envenimerait ses relations avec les Etats-Unis. Cette semaine, Obama est monté en première ligne face à son homologue russe Vladimir Poutine, augmentant les enjeux d’une crise aux conséquences périlleuses. Depuis que la crise a pris un tour aigu avec les mouvements de troupes russes en Crimée, le président américain s’est entretenu deux fois au téléphone avec M. Poutine, des conversations longues — 90 et 60 minutes — où il a tenté d’argumenter en faveur d’une sortie de crise. Pourtant, l’annonce d’un référendum sur le rattachement de la Crimée à la Russie — fort dénoncé par l’Occident — risque de rendre ces efforts nuls et non avenus. Même si Moscou et Washington rejettent l’idée d’un retour à la guerre froide, leur coopération dans d’importants dossiers géopolitiques est désormais mise en question : les pourparlers sur le nucléaire iranien, l’évacuation de l’arsenal chimique syrien ou encore le retrait américain d’Afghanistan. Depuis le retour de Poutine à la présidence en 2012, les signes de détérioration des relations avec Washington se sont multipliés : maintes rencontres bilatérales ont été annulées en marge de G8 et G20. Selon les analystes, l’Ukraine n’était que la goutte qui fait déborder le vase entre les deux pays.

Outre cette première perte, Moscou s’est vu également sanctionné par le bloc européen qui a suspendu les négociations sur les visas avec la Russie et menacé de prendre davantage de sanctions, notamment économiques. A l’issue d’un sommet extraordinaire à Bruxelles, le président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, a annoncé que l’UE allait signer l’accord d’association avec Kiev avant l’élection présidentielle du 25 mai en Ukraine. Le refus du président Viktor Ianoukovitch, déchu, de signer cet accord avait déclenché en novembre un mouvement de contestation sans précédent.

En riposte à cette vague de menaces occidentales, la Russie a fait monter les enchères, affirmant qu’elle envisage de suspendre les inspections étrangères de son arsenal d’armes stratégiques, y compris les missiles nucléaires. Ces inspections ont eu lieu dans le cadre du Traité de réduction des armes stratégiques (START) signé en 2010 par les Etats-Unis et la Russie, et dans celui du Document de Vienne entre les pays membres de l’OSCE. Le nouveau traité START, signé entre le président Obama et le chef du Kremlin de l’époque Dmitri Medvedev, prévoit des réductions draconiennes de missiles et têtes nucléaires des deux côtés et autorise 18 inspections par an sur des sites militaires. Y mettre fin risque d’être considéré par l’Occident comme une violation majeure de ces accords, vus comme une pierre angulaire du maintien de la paix dans le monde depuis la fin de la guerre froide. Est-ce logique de voir la paix du monde menacée pour une simple dispute sur les zones d’influence entre les superpuissances ?

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