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L’heure est au dialogue avec les talibans

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 10 février 2014

L'Afghanistan et le Pakistan tentent de renouer le dialogue avec les talibans pour mettre fin à plus d'une décennie de violences qui ensanglantent les deux pays.

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A l'approche du retrait de l'Otan de l'Afghanistan, le dialogue avec les talibans semble « impératif ». (Photo: AP)

Après toute une décennie où la politique du « bâton » n’a pas réussi à casser les talibans, le Pakistan et l’Afghanistan ont enfin opté pour le dialogue avec les rebelles afin de mettre fin à une vague de violences qui mine leurs pays. Un dialogue devenu « impératif » à l’ap­proche du retrait des troupes de l’Otan du « bourbier afghan », après avoir subi de lourdes pertes humaines et matérielles.

Malgré leur faiblesse en comparai­son avec la force des Etats-Unis et leurs alliés de l’Otan, les tali­bans — chassés du pouvoir en 2001 — ont réussi à réduire en poudre onze ans de présence interna­tionale en Afghanistan grâce à deux facteurs : la nature montagneuse du pays et le trafic d’opium qui constitue leur principale source de finance­ment. « Les Etats-Unis ont perdu leur guerre en Afghanistan. C’était, pour eux, une guerre d’usure qui a coûté à la coalition plus de 3 100 morts dont plus de 2 100 Américains sans résul­tats probants », explique l’expert Mohamed Fayez. Ces dégâts fabu­leux ont porté Kaboul et Islamabad — deux alliés de Washington et jadis frères enne­mis — à renoncer à leurs différends et à dialoguer avec des rebelles à qui ils seront confrontés « seuls », après quelques mois.

Or, si Washington — avec toute sa force, ses équipements et ses alliés — n’a pas réussi à casser l’épine tali­bane, que feraient ces deux gouverne­ments « seuls » face à des rebelles qui les accusent d’être des marionnettes dans les mains des Américains ? A quoi peut-on s’attendre ? Telles sont les questions qui ont poussé les deux voisins — au sort indissociable — à prouver aux rebelles leurs bonnes intentions, en entamant un dialogue sérieux avec eux, avant qu’il ne soit trop tard. Selon des sources améri­caines et occidentales, des pourpar­lers secrets sont engagés entre le président afghan Hamid Karzaï et les rebelles depuis trois semaines. Sûrs que la politique du bâton ne rempor­terait aucun fruit avec des rebelles inéluctables, les Etats-Unis ont apporté leur soutien à ces pourpar­lers. « Nous avons fortement soutenu depuis longtemps une réconciliation menée par les Afghans eux-mêmes », affirme le porte-parole du départe­ment d’Etat américain, Jen Psaki. Malgré les dénégations des rebelles, un porte-parole du bureau du prési­dent Karzaï a confirmé ces rencontres cette semaine : « Nous sommes en contact avec les talibans qui sont plus que jamais désireux de participer à un processus de paix ».

Revirement de Karzaï

Depuis novembre, les insurgés avaient montré leur volonté à des pourparlers de paix avec Karzaï avant la convocation de la Loya Jirga qui devait discuter du traité de sécurité devant permettre le maintien de troupes de l’Otan sur le sol afghan après 2014. Bien que ce chef d’Etat ait été toujours qualifié par les tali­bans de « marionnette » américaine, ces derniers ont enfin accepté de dia­loguer avec lui, y voyant l’unique bouée de sauvetage susceptible de freiner un accord qui prolongeait « l’occupation américaine » du pays. Et c’est exactement en novembre — au moment où ces dis­cussions auraient débuté — que Karzaï a fait « un revirement inexpli­cable », annonçant qu’il ne signerait pas, avant la présidentielle du 5 avril, ce traité de sécurité qu’il avait lon­guement discuté avec les Etats-Unis. Selon les analystes, ce revirement vient de trouver sa justification : Karzaï ne voulait pas avorter ses négociations avec les rebelles oppo­sés à une présence américaine après 2014. Pour l’heure, une question s’impose aux esprits : Quel serait le sort de ces pourparlers avec les tali­bans ? La réponse à cette question semble toujours ambiguë. Selon le quotidien américain New York Times, ces discussions ont donné des résul­tats positifs, alors que d’autres res­ponsables parlent d’un dialogue jusqu’ici infructueux, qui pourrait expliquer l’hostilité que Karzaï affiche à l’égard de Washington qui menace de retirer toutes ses troupes à la fin de l’année si le pacte de sécu­rité n’est pas signé. « Malgré les risques d’un tel retrait, Karzaï ne veut pas être cité par l’Histoire comme celui qui a vendu son pays aux Américains. Même après l’ap­probation du traité de sécurité par la Loya Jirga, il a continué à défier son allié américain et insisté sur le fait de reporter la signature de l’accord jusqu’à la présidentielle où il ne pourrait pas se présenter », analyse Fayez.

Paix conditionnée au Pakistan

Parallèlement aux pourparlers afghans, d’autres discussions se sont déroulées cette semaine entre le gou­vernement pakistanais et les rebelles du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP) qui ont commis des centaines d’atten­tats meurtriers depuis sa création en 2007. Objectif : mettre fin à sept années d’insurrection armée à Islamabad. Il s’agit de la première rencontre entre les médiateurs du gouvernement et ceux des rebelles depuis que le premier ministre Nawaz Sharif a décidé de donner une « autre chance » à la paix après la rupture en novembre de contacts préliminaires avec les insurgés après la mort de leur chef Hakimullah Mehsud par une frappe de drone américain. « La ren­contre s’est déroulée dans une atmos­phère cordiale. Nous partageons un point commun : notre objectif envers la paix à la lumière du message de l’islam », a déclaré le négociateur en chef du gouvernement, Irfan Siddiqui. A la fin des négociations, les deux parties ont décidé de mettre fin aux violences et de poursuivre leur dialo­gue constructif. Pour la poursuite du dialogue, les rebelles exigent l’arrêt des drones américains contre le pays et le départ des soldats américains de l’Afghanistan. Selon les experts, ce début de dialogue avec les rebelles douche les espoirs d’une offensive militaire imminente dans les fiefs talibans (nord-ouest), lancée par le courant libéral et l’opposition. C’est peut-être pour barrer la route à une telle offensive que les rebelles ont vite accepté le dialogue proposé par Nawaz Sharif.

Malgré ces prémices d’espoir, les commentateurs demeurent sceptiques sur la possibilité de voir cette nou­velle initiative se traduire en paix réelle pour le Pakistan et son voisin afghan. « Les pourparlers pakista­nais pourraient être une façon de gagner du temps par les talibans à l’approche du retrait de l’Otan du sol afghan, échéance cruciale pour toute la région », estiment les experts qui justifient leur pessimisme par le fait que le nouveau leader du TTP, le mollah Fazllulah, est un « faucon » opposé au dialogue avec Islamabad. Renforçant les doutes sur ce proces­sus de paix, un grave attentat suicide a eu lieu à la veille des pourparlers avec le TTP, faisant au moins huit morts et une quarantaine de blessés au Pakistan. Alors que le commande­ment central des talibans s’était dis­socié de cet attentat, une autre faction rebelle avait revendiqué l’attaque, ce qui suggère des dissensions pro­fondes au sein de la rébellion isla­miste à propos de cette initiative de paix. Il semble que l’avenir du dialo­gue avec les talibans inspire davan­tage de pessimisme que d’espoir ... .

Le nombre de victimes en escalade

A l’approche du retrait de l’Otan du « cimetière afghan », un inquiétant rapport de l’Onu publié samedi a noté une escalade préoccupante dans le nombre de victimes civiles en Afghanistan qui a augmenté de 14 % en 2013, avec une hausse « alarmante » chez les femmes et les enfants. L’an dernier, le conflit afghan, qui oppose les talibans aux forces afghanes et à une coa­lition internationale, a fait 2 959 morts (+7 % par rapport à 2012) et 5 656 blessés (+17 %) parmi les civils, selon le rapport annuel de la mission de l’Onu en Afghanistan (Unama). Plus de 75 % des victimes sont le fait des talibans. « L’escalade du nombre de civils tués ou blessés en 2013 va à rebours du déclin enregistré en 2012 », regrette l’Unama, soulignant que le nombre de morts en 2013 se rapproche du record de 2011 (3 133 morts). Cette augmentation découle notamment du désengagement progressif de l’Otan qui, en 2013, a achevé de transférer la responsabilité de la sécurité du pays aux forces afghanes (350 000 hommes) mais fragiles et sous-équipées. « La fermeture de bases militaires internationales et la réduction des opérations aériennes et terrestres de l’Isaf ont donné aux talibans davantage de capacité pour attaquer les forces afghanes », souligne l’Unama. Cette hausse du nombre de victimes civiles en 2013 soulève tant d’interrogations inquié­tantes quant à la capacité des forces afghanes à assurer la sécurité du pays à l’aube 2015.

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