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Tensions en Iraq

Maha Salem , (avec Agences) , Mercredi, 03 août 2022

Pour la deuxième fois, des partisans du leader chiite, Moqtada Sadr, ont envahi le parlement pour protester contre un candidat au poste de premier ministre proposé par leurs adversaires.

Tensions en Iraq

Une fois de plus, des milliers de partisans de l’influent leader politique chiite, Moqtada Sadr, ont envahi samedi dernier le parlement iraqien dans la zone verte ultra-sécurisée de Bagdad, abritant dans la capitale iraqienne institutions gouvernementales et ambassades, tout en annonçant qu’ils comptent l’occuper jusqu’à nouvel ordre. Dans une première réaction, le président du parlement, Mohamed Al-Halboussi, a annoncé « la suspension de toutes les séances parlementaires jusqu’à nouvel ordre », appelant les manifestants à « préserver les propriétés de l’Etat ».

L’impasse politique est totale en Iraq, le pays est secoué depuis les législatives d’octobre 2021 par de fortes tensions. Après des mois de tractations interminables et de querelles intestines, les grands partis n’ont toujours pas réussi à s’entendre sur la nomination d’un président de la République ou d’un nouveau chef du gouvernement. Faiseur de rois et trublion de la scène politique, Moqtada Sadr a lancé une campagne de pression maximale contre ses adversaires, rejetant leur candidat au poste de chef du gouvernement. Ancien ministre et ex-gouverneur de province, Mohamed Chia Al-Soudani, jugé proche de l’ancien chef du gouvernement, Nouri Al-Maliki, a été choisi comme premier ministre par le « Cadre de coordination ». Ce dernier est une alliance de factions chiites pro-Iran qui englobe notamment la formation de l’ex-premier ministre, Nouri Al-Maliki, ennemi historique de Sadr, et les représentants du Hachd Al-Chaabi, ex-paramilitaires intégrés aux forces régulières. Le « Cadre de coordination » a, lui, accusé le gouvernement de complaisance vis-à-vis des manifestants, réclamant des mesures fermes pour maintenir la sécurité et l’ordre, et empêcher le chaos. Il a appelé les masses populaires à manifester pacifiquement pour défendre l’Etat et sa légitimité.

Célèbre pour ses volte-face et coups d’éclat, Sadr maintient aujourd’hui la pression sur ses adversaires alors qu’il leur avait pourtant laissé la tâche de former un gouvernement, en faisant démissionner en juin ses 73 députés. Initialement, le Courant sadriste, qui représentait la première force au sein du parlement de 329 députés, avait pour ambition de nommer le premier ministre et former un gouvernement, notamment avec ses alliés sunnites et kurdes. Mais il s’est avéré incapable de rassembler la majorité nécessaire au sein de l’hémicycle.

« Plusieurs raisons paralysent la vie politique en Iraq et empêchent la formation du gouvernement, le choix du premier ministre et du président. Tout d’abord, dans un Iraq multiconfessionnel, le poste de premier ministre revient traditionnellement à un chiite, généralement choisi par consensus par les principaux partis se partageant le pouvoir. Alors, cette situation critique et tendue est due à ce système confessionnel. Deuxième raison, les interventions étrangères dans les affaires internes iraqiennes, surtout l’intervention iranienne », explique Rahf Al-Khazraguy, experte au centre Trends pour les recherches et les consultations à Abu-Dhabi, tout en ajoutant que « l’Iran insiste sur le fait d’intervenir dans la formation du gouvernement iraqien et le choix du premier ministre pour garantir que ce gouvernement et son chef soient ses alliés. Son objectif essentiel est de protéger ses intérêts et renforcer son influence dans la région. Troisième raison, aucun parti ou faction n’est capable de former seul le gouvernement. Dans cette situation, Sadr rappelle à ses adversaires qu’il continue de jouir d’une grande influence. A la mi-juillet, il avait mobilisé des centaines de milliers d’Iraqiens pour une prière collective du vendredi à Bagdad. Fort de son assise populaire, Sadr a voulu montrer à ceux qui sont impliqués dans la formation du gouvernement qu’il a le pouvoir de la rue. Sadr signale à ses adversaires qu’il n’y aura pas de gouvernement sans son accord », affirme Rahf Al-Khazraguy.

Appels au dialogue

Face à ces tensions, et pour trouver une issue à cette situation critique, le président de la région autonome du Kurdistan d’Iraq, dans le nord, a invité les parties concernées à venir à Erbil (ndlr: capitale du Kurdistan,), pour initier un dialogue ouvert et inclusif, et parvenir à un accord. De son côté, le premier ministre, Moustafa Al-Kazimi, qui expédie les affaires courantes, a appelé les blocs politiques à s’asseoir pour négocier et s’entendre. Partageant le même point de vue, Hadi Al-Ameri, qui dirige une faction de l’influent Hachd Al-Chaabi, les anciens paramilitaires pro-Iran, a lui aussi appelé le Courant sadriste et le Cadre de coordination à privilégier la retenue, le dialogue et les ententes constructives pour dépasser les différends. « Mais ces appels sont en vain, car aucun parti n’a accepté de commencer le dialogue populaire. Cette situation peut pousser les camps rivaux à présenter des concessions, cette scène sera répétitive avec toutes élections en Iraq car le système des élections est basé sur le confessionnalisme tribal et religieux. Un système défaillant, car les partis politiques sont soumis au contrôle des leaders religieux, ces derniers dominent la vie politique et sont influencés par les interventions iraniennes ou américaines. Les experts préfèrent changer ce système par un autre système présidentiel sans prendre en compte la confession communautaire ou religieuse », explique Dr Rahf Al-Khazraguy.

En effet, le dialogue national ou les concessions ne sont pas le seul scénario prévu pour régler cette crise. Désormais, de plus en plus de voix s’élèvent pour évoquer l’éventualité d’élections législatives anticipées, qui permettraient de rebattre les cartes en élisant un nouveau parlement de 329 députés. Mais cette solution va compter cher et déjà le pays souffre d’une crise économique profonde. « Autre scénario: les partis chiites s’entendent, se mettent d’accord entre eux et présentent des concessions. Cette solution est soutenue par l’Iran qui exerce une forte pression sur les partis chiites tout en présentant des privilèges et des avantages à chaque camp à part. Troisième scénario: une intervention américaine pour empêcher le chaos et le vide politique, mais cette intervention sera en coopération avec Téhéran. En effet, la classe politique iraqienne est actuellement persuadée qu’on doit faire des changements constitutionnels sur la loi électorale et le système parlementaire, car avec chaque élection, on souffre d’un vide politique pour des mois », conclut Dr Rahf Al-Khazraguy. La paralysie politique est totale, puisque depuis dix mois, le pays attend la nomination non seulement d’un nouveau premier ministre, mais aussi d’un président de la République. Ce poste revient traditionnellement à un Kurde, mais sur ce dossier, il y a aussi un blocage: les deux grands partis kurdes historiques n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur un candidat. Alors, tous les camps ont des conflits et des différends et l’entente semble être difficile.

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