Al-Ahram Hebdo : Nous sommes face à un scénario à répétition en Israël. Quel est l’avenir de cette impasse politique ?
Saïd Okasha: Tous les scénarios sont possibles et rien n’est certain à l’heure qu’il est. Le pays a connu quatre élections en deux ans et se trouve à l’heure actuelle toujours dans l’impasse politique, faisant craindre l’éventualité d’un 5e scrutin. Actuellement, les partis sont en discussion pour pouvoir former une coalition capable de former un gouvernement. Après la publication des résultats définitifs du scrutin du 23 mars, aucun des blocs, anti-Netanyahu et pro-Netanyahu, ne semble en mesure de former un gouvernement, n’atteignant pas les 61 mandats requis. Le chef du parti Yisrael Beitenu, Avigdor Lieberman, et le président de Yesh Atid, Yaïr Lapid, se sont réunis pour des tractations, mais aucun détail n’a été annoncé. Par ailleurs, le chef du parti Yamina, Naftali Bennett, qui a obtenu 7 sièges, a également annoncé qu’au cours de deux jours, il annoncerait une coalition et qu’il avait tenu des pourparlers avec les dirigeants de l’ensemble des partis, à l’exception des partis arabes. Mais un accord entre les partis israéliens semble difficile. Les partis de droite sont plus que jamais divisés. Aucun d’eux ne veut céder ou faire des concessions. Cela dit, il faut attendre pour voir à quoi vont mener les discussions actuelles.
D’après une analyse des résultats, pour pouvoir former un gouvernement, Benyamin Netanyahu doit convaincre deux « faiseurs de roi» de le rejoindre: Naftali Bennett et Mansour Abbas (Liste arabe unifiée, Raam, Arabes israéliens). Il doit tenter de les réunir sans perdre le soutien d’un de ses alliés. Or, le parti d’extrême droite sioniste religieux est ouvertement hostile aux Arabes israéliens. Et une coalition renfermant les Arabes israéliens est peu probable, elle provoquerait le mécontentement des Israéliens.
Une autre proposition consisterait à former un nouveau gouvernement conduit en rotation par le président de la liste centriste Yesh Atid, Yaïr Lapid, et son homologue du parti de droite Yamina, Naftali Bennett, sur une période limitée. Ils ont annoncé que leur but essentiel est d’assurer l’adoption d’un budget national pour la première fois depuis 2018, afin de stabiliser le pays et son économie. Mais ces déclarations ont été faites pour satisfaire les Israéliens et attirer les autres partis.
— Cela veut-il dire que toutes ces alternatives ne sont pas viables ?
— Ce qui est certain, c’est que le parti Yamina (7 sièges) et le parti Raam (4 sièges) de Mansour Abbas joueront un rôle important, car leur entente avec n’importe quel camp peut le faire réussir. Alors, ils attendent pour voir quel camp va leur donner plus d'avantages pour s’accorder avec. Autrement dit, Yamina et Raam ont, chacun, leurs conditions et veulent des garanties. Ainsi, ils vont s’allier avec le camp qui va y répondre.
— Mais les Arabes israéliens ont-ils vraiment un poids ?
— Ce qui est sûr, c’est que ce qui s’est passé constitue un certain bouleversement dans la politique israélienne. Car après plus de sept décennies de marginalisation démocratique, les Arabes israéliens — les Palestiniens restés sur leurs terres après la création d’Israël en 1948 et qui constituent un cinquième de la population du pays — ont émergé en tant que force politique. Cela dit, le scénario qu’un islamiste palestinien puisse ainsi avoir son mot à dire sur le sort d’un dirigeant de droite reste peu probable.
— Les députés arabes israéliens peuvent-ils avoir un rôle dans la relance du processus de paix avec les Palestiniens ?
— Bien sûr que non. Les députés arabes n’ont aucun intérêt avec le processus de paix. Ils ont leurs propres problèmes, ils veulent plus d’égalité, les mêmes droits que les autres Israéliens, ils cherchent à occuper des postes importants. Leurs préoccupations sont d’ordre social, politique, économique et administratif au sein de l’Etat hébreu en tant que citoyens. Et ils sont accusés de trahison par les Palestiniens. De même, Raam est une petite formation issue de la confrérie internationale des Frères musulmans qui cherche à réaliser ses propres intérêts.
— Pourquoi, au bout de quatre scrutins anticipés, aucune partie n’est-elle pas capable de l’emporter haut la main? Et comment cela se fait-il que Netanyahu parvient à se maintenir malgré tout ?
— Les Israéliens ont leurs comptes qui sont différents des autres électeurs dans le monde. Ils sont divisés entre deux visions. D’un côté, ils veulent la démocratie et les élections libres comme en Occident, de l’autre côté, ils veulent un homme fort à la tête du pays. Les Israéliens ont toujours peur du fait de l’hostilité de leur voisinage. Ils craignent l’avenir et cherchent toujours à avoir un premier ministre capable d’affronter le monde pour les défendre. Ils peuvent donc accepter un premier ministre corrompu mais puissant. Leur choix dépend du poids et de la force de la personne avant tout. Pour eux, Netanyahu a beaucoup réalisé, il est fort, capable de protéger les intérêts israéliens et ne fera pas de concessions aux Palestiniens. Autre point en son avantage, la faiblesse de ses rivaux.
— Mais pourquoi n’y a-t-il pas de personnalité capable de prendre le dessus ?
— Parce que les partis de droite sont divisés. Leurs chefs ont annoncé à plusieurs reprises qu’ils attendaient le départ de Netanyahu pour s’unifier en un seul front, mais tout le monde sait qu’ils vont se disputer sur le poste du premier ministre.
— Et qu’en est-il du procès de Netanyahu ? N’entravera-t-il pas son avenir politique ?
— Le chef du parti Yisrael Beitenu, Avigdor Lieberman, a appelé les rivaux de Netanyahu à soutenir un projet de loi qui empêcherait ce dernier de rester à la tête du gouvernement à cause de ses déboires en justice. La première étape consistera à faire adopter une loi interdisant à un membre de la Knesset inculpé d’être chargé de constituer une coalition ou de se présenter aux élections. Mais Lieberman sait d’avance que ce projet va être refusé, car il a besoin de 61 voix pour passer. Il s’agit donc surtout de simples moyens de « déranger » Netanyahu.
— Netanyahu sera toujours là, mais le nouveau gouvernement sera-t-il toujours instable donc ?
— Bien sûr, tout gouvernement résultant de n’importe quelle coalition sera voué à l’échec. Quant à Netanyahu, il n’a rien à perdre et il ne va pas présenter de concessions. Au contraire, avec le temps, il gagne de plus en plus la confiance des Israéliens.
— Tous ces troubles politiques au sein d’Israël auront-ils des répercussions sur le processus de paix ?
— Le processus de paix et la question palestinienne sont les vrais perdants de cette situation. Ils resteront en suspens et aucune avancée ne risque d’avoir lieu .
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