Ce n’est que quelques heures après la conclusion, samedi 10 octobre, d’une trêve au Haut-Karabakh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan après une médiation russe, que les deux parties ont commencé à se lancer des accusations mutuelles de violations du cessez-le-feu et de crimes contre des civils. Dimanche 11 octobre, l’Azerbaïdjan a accusé l’Arménie d’avoir massivement bombardé un quartier résidentiel de la ville de Ganja. De son côté, le ministère arménien de la Défense a dénoncé un « mensonge total » et accusé l’Azerbaïdjan de continuer à prendre pour cible les zones peuplées du Karabakh dont Stepanakert, la plus grande ville de la région.
C’est dire à quel point est fragile le cessez-le-feu, conclu après des négociations marathon à Moscou sous la tutelle du président Vladimir Poutine. Cette trêve visait à mettre fin aux combats qui ont éclaté le 27 septembre dans l’enclave, faisant des centaines de morts. Le texte de l’accord, qui constitue un premier pas dans une solution pacifique de la crise, comprend plusieurs points, dont l’échange de prisonniers, comme l’a déclaré le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. En revanche, il n’a pas été précisé comment ce cessez-le-feu devait être mis en place sur la ligne de front — ce point a été relégué à des pourparlers ultérieurs. Il s’agit donc d’un accord a minima. L’Azerbaïdjan et l’Arménie se sont également engagés « à des négociations substantielles pour parvenir rapidement à un règlement pacifique » du conflit, a précisé Lavrov. A l’avenir, les deux parties s’engagent enfin à ne pas modifier le format du processus de négociation. « Le cessez-le-feu est fragile, car cette fois-ci, il n’a pas été négocié par les militaires mais par les ministères des Affaires étrangères », souligne, à Reuters, Gaïdz Minassian, spécialiste des conflits dits « gelés » pour le Centre de recherches internationales de Sciences-Po (Ceri, France).
Avant le début des affrontements le 27 septembre dernier, les deux parties, qui se disputent le Haut-Karabakh depuis près de trente ans, se trouvaient simplement dans une phase d’accalmie entrecoupée de pics de tension, comme il y a quatre ans ou lors des affrontements de juillet 2020.
Dans le fond donc, la question est loin d’être réglée. Vendredi 9 octobre, lors d’un discours télévisé, le président azerbaïdjanais, Ilham Aliev, a réaffirmé le souhait de reprendre possession du Haut-Karabakh, lors d’une prise de parole à la rhétorique guerrière. « C’est notre territoire et nous ne ferons aucune concession », a-t-il averti, après le départ du ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères pour la capitale russe.
Il s’agit donc d’un accord trop précaire pour régler un conflit vieux de trente ans. En effet, les tentatives de trouver une solution à ce vieux conflit ont commencé il y a une vingtaine d’années avec la création du groupe de Minsk. Coprésidé par la Russie, les Etats-Unis et la France, ce groupe est une émanation de l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE) et comprend 11 pays, dont la Turquie. Depuis les années 1990, il a pour objectif de trouver une solution à ce conflit, sous mandat du Conseil de sécurité de l’Onu. « Cet instrument essaie de trouver une sorte de compromis par la concertation, mais il ne peut pas prendre de disposition contraignante, pas plus que l’OSCE », nuance toutefois Minassian.
La Turquie, encore et toujours
La semaine dernière, le président français, Emmanuel Macron, avait jugé qu’une « ligne rouge avait été franchie » par l’Azerbaïdjan et la Turquie, en raison de la présence de mercenaires syriens dans le conflit. « En tant que coprésident du groupe de Minsk, je considère que c’est la responsabilité de la France de demander des explications » au président Recip Tayyep Erdogan. La Turquie, alliée de l’Azerbaïdjan, l’a encouragé dans ce conflit, déclarant sa solidarité et exigeant à son tour le retrait complet de l’Arménie des territoires azéris. Et à travers son ministre des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, elle s’est dite prête à faire « tout ce qui serait nécessaire » afin d’aider son allié. Cette proximité de l’Azerbaïdjan et la Turquie et une alliance d’intérêts, qui s’explique surtout par les relations économiques de ces deux pays, l’Azerbaïdjan est le principal fournisseur de gaz pour la Turquie. Sur le plan politique, le soutien turc à l’armée azérie contre l’Arménie constitue un défi pour l’hégémonie russe dans la région. C’est une façon de prendre sa revanche vis-à-vis des interventions russes en Syrie et en Libye où Erdogan se retrouve dans le camp opposé à Poutine. Le conflit dans le Haut-Karabakh est en train de déstabiliser une région très sensible pour les intérêts économiques et militaires de la Russie, et la Turquie semble vouloir affaiblir le rôle de la Russie en tant qu’arbitre capable de rétablir la paix dans le Caucase.
En effet, la Russie et l’Arménie sont liées par l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), qui regroupe également la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizistan et le Tadjikistan. « Nous avons toujours respecté, rempli et continuerons à remplir nos obligations », a résumé, mercredi 7 octobre, le président russe, Vladimir Poutine, à la télévision, en référence à l’article 4 du traité sur le soutien militaire à un membre victime d’une agression. Tout en évoquant une possible intervention de Moscou si les combats s’étendaient en Arménie, en vertu du pacte de défense mutuelle avec Erevan.
La Russie considère que l’Arménie, en tant que membre de l’OTSC, doit avoir sa sécurité garantie — ce pays est d’ailleurs relativement isolé politiquement dans la région. Conscientes de cette ligne jaune, les forces azerbaïdjanaises n’attaquent pas l’Arménie. Or, selon des observateurs, la Russie tente d’empêcher le choix militaire dans cette région stratégique, alors qu’elle jouit de bonnes relations avec les deux parties du conflit.
Si Moscou entretient une relation privilégiée avec l’Arménie, elle a également un partenariat économique avec l’Azerbaïdjan, y compris dans le domaine de l’armement. Par contre, Moscou ne voit pas d’un bon oeil l’interférence de la Turquie.
Il semble qu’à l’heure actuelle, toutes les parties tentent de montrer leurs muscles sans avoir de réelle intention vers la guerre. Le risque d’un conflit plus vaste impliquant la Turquie, proche de Bakou, et la Russie, liée à Erevan, reste présent, à moins que la communauté internationale ne se dépêche à trouver une vraie solution pacifique pour ce nouvel-ancien conflit.
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