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Dr Nanis Abdel-Razek Fahmi : L’inimitié entre Washington et Téhéran sert les intérêts de l’un comme de l’autre

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 04 août 2020

Spécialiste des affaires iraniennes, Dr Nanis Abdel-Razek Fahmi analyse les différentes formes de pressions, directes et indirectes, exercées sur l’Iran, notamment par les Etats-Unis. Entretien.

Dr Nanis Abdel-Razek Fahmi

Al-Ahram Hebdo : Le guide suprême ira­nien, Ali Khamenei, a de nouveau écarté toute négociation avec les Etats-Unis, et a estimé que la politique de sanctions des Etats-Unis contre son pays avait échoué. Comment voyez-vous ses déclarations ?

Nanis Abdel-Razek : Que l’Iran accepte d’en­tamer des négociations avec Washington en ce timing précis serait certainement une victoire pour le président américain, Donald Trump, qui va l’exploiter dans sa campagne électorale pour la présidentielle de novembre. Ce que Téhéran n’offrira jamais à Trump. Cela dit, dans ses déclarations, le guide suprême n’a pas rejeté en bloc l’idée de négocier : Khamenei a précisé que l’Iran n’entamera pas de négociations avec l’ad­ministration actuelle, ce qui laisse ouverte la probabilité de négocier avec une autre. L’Iran ne refuse pas de négocier, mais il refuse les négo­ciations avant la levée des sanctions.

L’Iran fait face à de grandes difficultés à cause des sanctions économiques imposées sur lui et l’embargo sur les armes imposé depuis 2015. De même, depuis le retrait américain de l’accord sur le nucléaire en mai 2018, les pressions améri­caines sont très fortes. Washington a d’ailleurs récemment posé son veto sur une demande faite par Téhéran pour un financement d’urgence de 5 milliards de dollars du Fonds Monétaire International (FMI), une aide pour lutter contre le coronavirus. Malgré toutes ces pressions et les crises qu’elles engendrent, l’Iran a pu survivre, notamment grâce à ses relations avec les pays voisins qu’il a pu dominer.

— Les Etats-Unis s’efforcent actuellement de convaincre la communauté internationale de renouveler l’embargo sur les armes impo­sé sur l’Iran …

— La levée de l’embargo est totalement reje­tée par Washington qui, sans annoncer de date pour le vote, a remis récemment à ses 14 parte­naires du Conseil de sécurité un projet de résolu­tion prévoyant une extension sans limites de l’embargo sur les armes appliqué à l’Iran. Trump ne cesse de répéter à la communauté internatio­nale et à toute occasion que l’Iran présente tou­jours une menace pour la région du Proche-Orient et incite à plus de conflits régionaux.

— Cette politique de pression maximale va-t-elle aboutir ?

— Les Etats-Unis sont soutenus par des pays européens mais aussi par la plupart des pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, ennemi régional de l’Iran. Mais rien ne garantit une prolongation de l’embargo sur les armes. La Chine et la Russie, dotées d’un droit de veto au Conseil de sécurité, ont déjà fait savoir leur opposition à toute prolongation de l’embargo. Elles veulent vendre des armes à l’Iran. Et, avec la crise grandissante entre Washington et Pékin, ce dernier peut afficher son soutien à Téhéran.

— La pression contre Téhéran prend aussi d’autres formes. On le voit avec les récentes tensions entre le Hezbollah et Israël à la fron­tière israélo-libanaise …

— L’implication de l’Iran au Liban a rendu la situation encore plus désastreuse dans ce pays en crise. Le Liban, qui était autrefois soutenu par les aides européennes et celles des pays du Golfe, notamment l’Arabie saoudite, est actuel­lement privé de ces mains tendues à cause de l’implication de l’Iran, à travers le Hezbollah, qui domine le gouvernement actuel et, plus généralement, la vie politique libanaise. Cette omniprésence et cette domination de la vie poli­tique inquiètent les anciens amis du Liban. C’est dans ce contexte de tension extrême que les deux ennemis, le Hezbollah, le bras fort de l’Iran au Liban, et Israël, l’allié des Etats-Unis dans la région, poursuivent cette guerre par procuration.

— Le bras de fer entre Washington et Téhéran s’étend à d’autres pays de la région, comme le Yémen, l’Iraq ou la Syrie. Jusqu’où peut-on aller ?

— Malgré toutes ces tensions, une confronta­tion directe est totalement exclue. Ni l’un ni l’autre ne le désirent ni ne veulent en payer le prix. En revanche, le bras de fer va se pour­suivre, voire s’aggraver, notamment avec l’ap­proche de la date de la levée de l’embargo. Chaque côté va montrer ses muscles. Ce qu’il faut savoir, c’est que parallèlement à leur inimi­tié, il existe une certaine relation d’intérêts entre les deux pays ennemis. C’est-à-dire que cette animosité sert les intérêts de l’un comme de l’autre. Concrètement parlant, la présence amé­ricaine dans la région du Golfe n’allait jamais être de cette force sans les menaces iraniennes qui pèsent sur la région. En même temps, l’Iran trouve dans cette existence un argument pour ses actes. Mais au bout du compte, les négociations s’imposeront comme la seule alternative.

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