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Dr Nanis Abdel-Razek : Téhéran et Washington tirent chacun profit de leur inimitié

Sabah Sabet, Mardi, 28 avril 2020

Spécialiste des affaires iraniennes, Dr Nanis Abdel-Razek revient sur le regain de tension entre Washington et Téhéran. Elle exclut l’éventualité d’une guerre directe et estime que les deux parties exploitent la situation actuelle. Entretien.

Dr Nanis Abdel-Razek

Al-Ahram Hebdo : Le lancement, la semaine dernière par l’Iran, d’un satellite armé, intervient alors que la tension est pal­pable entre Téhéran et Washington. Comment voyez-vous cela ?

Nanis Abdel-Razek: Le lancement du satel­lite militaire iranien est un pas de plus dans une série de provocations qui se sont intensifiées entre les deux pays depuis le retrait américain de l’Accord de Vienne sur le nucléaire iranien le 8 mai 2018. Ces tensions ont atteint un pic après l’assassinat, en janvier 2019, de Qassem Soleimani, chef d’une force des Gardiens de la Révolution iranienne, dans une frappe aérienne américaine en Iraq. Ce satellite porte un mes­sage menaçant de la part de l’Iran.

Et quel en est donc le message destiné aux Américains alors que les tensions ne cessent de monter entre les deux pays ?

— Comme toujours, l’Iran veut dire qu’il est encore fort, capable d’affronter, il veut prouver que les sanctions américaines ne l’ont pas empêché de poursuivre ses travaux vu que ce satellite n’est pas le premier. D’autres l’ont précédé, mais ont échoué pour des raisons scientifiques. Aussi, les Gardiens de la révolu­tion, que Washington a récemment désignés comme organisation terroriste, veulent trans­mettre un message au président américain Donald Trump qu’ils ne donnent aucune importance à cela et qu’ils poursuivent leurs missions.

Et qu’en est-il de la réponse améri­caine ?

— Avec la crise sanitaire du Covid-19 qui a frappé gravement les Etats-Unis et à l’ap­proche des élections américaines, les déclara­tions officielles se doivent d’être fortes et menaçantes. C’était le cas suite à l’incident maritime du 15 avril entre des navires améri­cains et des vedettes rapides iraniennes, Donald Trump a alors dit avoir ordonné « à l’US Navy d’abattre et de détruire toute embarcation ira­nienne qui harcèlerait leurs navires en mer ». Cela dit, je pense que dans ce bras de fer entre les deux pays, il y a des lignes qui ne doivent jamais être dépassées.

Vous pensez donc qu’une guerre n’est pas envisageable ?

— La tension n’aboutira jamais à une guerre, ce ne sont que des actes de provocation mutuels, un show médiatique pour gagner plus de popularité, pour envoyer des messages aux autres pays de la région. En fait, ce qu’il faut comprendre, c’est qu’il existe une relation d’intérêts entre les deux pays ennemis, c’est-à-dire que, d’une certaine manière, chacun tire profit de cette inimitié: la présence dans le Golfe n’allait pas être si forte sans les menaces iraniennes pour la région. De même, l’Iran trouve dans cette présence un argument pour ses actes. Mais au-delà de cela, personne ne peut supporter les frais d’une nouvelle guerre armée directe. Pour les deux parties, la guerre par procuration fait déjà l’affaire.

Et que signifie ce timing alors que la situation interne est agitée en Iran ?

— Ce n’est certainement pas un hasard. Le pouvoir iranien affronte une grave crise écono­mique due aux sanctions américaines, ce qui a suscité un mécontentement populaire. Cela s’est aggravé avec la mauvaise gestion de la crise due au coronavirus, l’Iran étant fortement touché. Le lancement du satellite vise aussi à distraire l’opinion publique, lui transmettre un message que le pouvoir est toujours fort mal­gré la crise économique. Provoquer une crise à l’extérieur pour détourner l’attention de ce qui se passe à l’intérieur. C’est une stratégie connue politiquement et pratiquée au moment des crises politiques. Le lancement du satellite entre dans ce cadre, surtout avec l’approche des élections iraniennes.

Avec toutes ces évolutions, y a-t-il un espoir que les discussions reprennent au sujet du nucléaire ?

— Depuis le retrait américain de l’accord, les Etats-Unis ne cessent de faire pression sur l’Iran pour retourner à la table de négociations, mais sous ses conditions et l’Iran refuse car il n’est pas prêt à perdre ses gains et laisser tom­ber sa stratégie 2000/2025. Une stratégie dont le but est de s’imposer comme acteur essentiel et ayant une forte influence dans la région du Golfe. Cette stratégie a déjà réussi à accomplir ses buts avec la présence iranienne en Iraq et au Yémen. L’Iran n’est donc pas prêt de laisser tomber ses gains.

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