« Mort cérébrale de l’organisation ». C’est ainsi que le président français, Emmanuel Macron, a décrit la situation dans laquelle l’Otan est arrivée 70 ans après sa création. Le président français a assumé jeudi 28 novembre ses propos suscitant une vive controverse, et a appelé l’alliance militaire à se concentrer sur les enjeux stratégiques, en particulier la lutte contre le terrorisme. « J’assume totalement d’avoir levé les ambiguïtés », a déclaré le chef de l’Etat français à l’issue d’un entretien avec le secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, à l’Elysée. Les deux hommes ont certes affirmé leur volonté d’« assurer le succès » du sommet des dirigeants des 29 pays membres de l’Otan, tenu ces mardi 3 et mercredi 4 décembre à Londres, il n’en demeure pas moins que l’organisation traverse une mauvaise passe.
Outre la mise en cause frontale du président français — qui avait été aussitôt dénoncée à Washington, Berlin, Londres, Varsovie ou Ankara—, les différends au sein de l’organisation ont éclaté au grand jour à quelques jours à peine du sommet. Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, déjà en état de désaccord avec son homologue français pour ses critiques au sujet de l’opération turque en Syrie, l’a accusé, jeudi 28 novembre, de « parrainer le terrorisme ». Et a même invité Macron « à examiner sa propre mort cérébrale ».
Si les tensions franco-turques ont ainsi atteint leur pic à la veille du sommet, elles ne datent pas d’hier. C’est le président français qui avait annoncé la tenue de cette réunion le 18 octobre dernier, à la suite du lancement de l’offensive turque dans le nord-est de la Syrie contre les forces kurdes. « Il est important que nous puissions nous réunir et nous coordonner », notamment pour voir comment « ramener la Turquie à des positions plus raisonnables », avait-il alors déclaré.
Paris en portefaix
C’est en effet le président français qui semble le plus prendre à coeur les questions relatives à l’Otan. Selon lui, des questions stratégiques ne sont toujours pas « résolues » sur « la paix en Europe, la relation avec la Russie, le sujet de la Turquie » ou sur « qui est l’ennemi ? » de l’Otan, s’est demandé le président français, en citant la lutte contre le terrorisme comme une nouvelle priorité pour les alliés. En réponse, Jens Stoltenberg a assuré que l’Otan avait modernisé sa doctrine et son mode de fonctionnement, tout en renforçant ses moyens d’action, notamment dans l’est de l’Europe. Mais, a-t-il insisté, en l’état actuel, l’Union européenne seule « n’est pas à même de défendre l’Europe » et « ne peut se substituer à l’Alliance atlantique ».
Les désaccords sont bel et bien là. Plusieurs pays européens ont pris leurs distances avec les déclarations du président français. Angela Merkel a assuré ne pas partager sa vision « radicale », et mis en doute l’utilité d’un « tel jugement intempestif ». Jugeant que l’organisation devait être « préservée », la chancelière allemande, Angela Merkel, assure que l’Allemagne remplira son objectif de dépenses militaires vers 2030. « Il est dans notre intérêt de préserver l’Otan, plus que pendant la Guerre froide », a estimé Merkel devant la Chambre des députés mercredi 27 novembre, promettant que l’Allemagne atteindra « au début de la décennie 2030 » l’objectif de l’Alliance atlantique de consacrer 2 % de son PIB aux dépenses militaires.
De son côté, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, a proposé la création d’un comité d’experts en confiant la présidence au secrétaire général de l’Otan, Jens Stoltenberg, afin de faire face aux divergences politiques au sein de l’Alliance atlantique. D’après l’AFP, son homologue français Jean-Yves Le Drian a formulé une proposition similaire : « un petit groupe de personnalités éminentes » serait notamment chargé de réfléchir sur « la relation de l’Otan avec la Russie » et sur « les futurs grands enjeux de sécurité collective, comme la menace terroriste, la Chine et l’impact militaire des grandes ruptures technologiques ». Selon l’AFP, cette proposition vise à modifier le processus de décision au sein de l’Otan.
Côté américain, c’est l’argent qui compte. Détracteur constant de l’Otan, le président américain, Donald Trump, a parfois semblé remettre en cause l’utilité même et les principes cardinaux de l’Alliance atlantique née en 1949 pour contrer l’Union soviétique au début de la Guerre froide. Il n’a cessé de bousculer les Alliés pour qu’ils mettent davantage la main au portefeuille au lieu de se reposer sur le colossal budget de la défense américaine. Mais ces derniers mois, Donald Trump a quelque peu mis ses critiques en sourdine sur les « progrès sans précédent réalisés par l’alliance pour mieux partager le fardeau financier, avec notamment plus de 100 milliards de dollars de nouvelles dépenses de défense depuis 2016 », selon un communiqué de la Maison Blanche. Des progrès dont l’ex-homme d’affaires attribue la paternité à sa propre ténacité. « Soixante-dix ans après sa création, l’Otan demeure l’alliance avec le plus grand nombre de succès à son actif dans l’Histoire, garantissant la sécurité, la prospérité et la liberté de ses membres », souligne la présidence américaine .
Lien court: