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Iran: Escalade inquiétante

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 10 septembre 2019

Téhéran continue à se désengager progressivement de l'accord sur le nucléaire. Une façon, pour faire pression davantage sur les Européens, afin de contourner les sanctions américaines. Une politique non sans risque.

Iran: Escalade inquiétante

« Téhéran n’avait d’autre choix que de réduire ses engagements pris en vertu de l’accord sur son programme nucléaire, du fait des promesses non tenues des Européens ». C’est ce qu’a annoncé dimanche 8 septembre le chef de l’Organisation Iranienne de l’Ener­gie Atomique (OIEA), Ali Akbar Salehi, au côté de Cornel Feruta, directeur général de l’Agence Internationale de l’Energie Atomique (AIEA), de passage à Téhéran. La visite du directeur de l’AIEA « se fait dans le cadre des interactions en cours entre l’AIEA et l’Iran », a indiqué l’agence onu­sienne dans un communiqué avant le départ de son directeur général. Elle est intervenue au lendemain de l’annonce par l’Iran de la mise en route de centrifugeuses avancées devant augmenter son stock d’ura­nium enrichi, une nouvelle étape de la réduction de ses engagements en matière nucléaire pris dans le cadre de l’accord international sur le nucléaire iranien conclu à Vienne en 2015. Samedi 7 septembre, l’OIEA a indiqué que 20 centrifu­geuses de type IR-4 et 20 autres de type IR-6 avaient été actionnées. L’accord de Vienne n’autorise Téhéran à produire de l’uranium enrichi qu’avec des centrifugeuses de première génération (IR-1).

Il s’agit là de « la troisième phase » d’un plan de réduction des engage­ments iraniens lancé en mai dernier en réaction aux sanctions améri­caines, Téhéran a augmenté ses stocks d’uranium enrichi au-delà de la limite fixée par l’accord, et enrichi ce mine­rai à 4,5%, niveau supérieur au pla­fond fixé (3,67%), mais très loin du seuil requis pour une utilisation mili­taire. Ce plan iranien est en réponse au retrait unilatéral de Washington de cet accord en 2018 et à l’incapacité des Européens, parties au texte (Allemagne, France, Royaume-Uni), à l’aider à contourner les sanctions rétablies par les Etats-Unis. « L’Union Européenne (UE) était supposée rem­placer les Etats-Unis mais, malheu­reusement, elle n’a pas réussi à tenir ses promesses », a dit M. Salehi, dimanche 8 septembre, devant des journalistes. Et d’ajouter: « Nous avons entendu le porte-parole de l’UE dire que (les Européens) main­tiendraient leurs engagements (pris à Vienne) tant que l’Iran en ferait de même », « leur engagement consiste-t-il à ne pas tenir leurs promesses ? Malheureusement, c’est ce que les Européens ont fait jusqu’à mainte­nant », a-t-il poursuivi. L’accord sur le nucléaire iranien était censé être une rue « à deux voies », a encore dit M. Salehi. « Si ça devient une rue à sens unique, la République islamique d’Iran prendra assurément les bonnes décisions au bon moment comme elle l’a fait avec ces trois étapes » de réduction de ses engagements. Par ailleurs, en réduisant ses engage­ments, Téhéran— qui a toujours nié vouloir la bombe nucléaire— entend faire pression sur les Etats parties à l’accord pour qu’ils l’aident à contourner les sanctions américaines.

Aux Etats-Unis aussi, l’heure n’est clairement pas à la désescalade. « Le fait que l’Iran conserve une capacité massive d’enrichissement d’uranium souligne une faiblesse fondamentale de l’accord iranien », s’est indigné le secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, oubliant tout de même que les Iraniens avaient jugé l’accord caduc depuis le retrait américain. Et le secrétaire d’Etat américain d’ajouter, comme un amical coup de pression à ses alliés européens: « Nous sommes confiants dans le fait que le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne— des nations civilisées— vont prendre des mesures décisives pour mettre fin au chantage nucléaire mené par l’Iran ».

Pourtant, Washington avait rejeté la médiation française proposée lors du G7, en août dernier. A son tour, le président de la République islamique, Hassan Rohani, a lui aussi annoncé dans une allocution télévisée mercre­di 4 septembre avoir « donné l’ordre » à l’Organisation de l’énergie ato­mique iranienne « de prendre toutes les mesures nécessaires en matière de recherche et de développement et d’abandonner tous les engagements en place dans ce domaine ». Justifiant cette mesure, il a dit: « Nous ne sommes pas parvenus au résultat que nous désirions » dans le cadre de la médiation française.

Malgré le rejet de cette médiation, le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian, a affirmé dimanche 8 septembre que « les voies du dialogue sont toujours ouvertes, y compris aujourd’hui » avec Téhéran, qui doit toutefois renoncer « à ce type d’actions entravant le processus de désescalade que nous voulons mettre en place ».

Carte de pression

En outre et usant d’une autre carte de pression, l’Iran poursuit sa domi­nation sur le détroit d’Ormuz où la tension est toujours forte. L’Iran a arrêté samedi 7 septembre douze Philippins à bord d’un « remorqueur étranger » saisi par des garde-côtes au large du port iranien de Sirik. Il est soupçonné d’être utilisé par un réseau de « contrebande de carbu­rant », selon l’agence semi-officielle Isna. Cet arrêt survient dans un contexte de fortes tensions dans cette région cruciale pour l’approvision­nement mondial en pétrole. Elles se sont nettement intensifiées depuis mai dernier sur fond d’attaques d’origine inconnue contre des pétro­liers transitant dans la région. Le 14 juillet, les Gardiens de la Révolution iranienne avaient saisi un tanker étranger accusé de transporter du pétrole de contrebande dans le détroit, le 19 juillet, les gardiens ont saisi un pétrolier géant suédois bat­tant pavillon britannique, accusé par l’Iran d’avoir enfreint les règles de navigation internationale.

Selon Tareq Fahmy, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, Téhéran entend faire pression sur les autres Etats parties à l’accord pour qu’ils l’aident à contourner les sanctions américaines et, en premier lieu, à exporter son pétrole. « Face à la mauvaise situation économique due aux sanctions américaines, l’Iran va continuer à réduire ses engage­ments et va aller plus loin que ça, il n’a pas d’autres choix », explique l’analyste. Car Washington ne cesse d’intensifier des sanctions écono­miques contre Téhéran, au nom d’une politique de « pression maximale », destinée à contraindre Téhéran à négocier un nouvel accord, qui, selon M. Trump offrirait de meilleures garanties. Le rétablissement des sanc­tions américaines prive l’Iran des retombées économiques qu’il atten­dait de l’accord.

Le texte de l’accord prévoyait en effet la levée d’une partie des sanc­tions internationales qui isolaient l’Iran depuis des années en échange d’une limitation drastique de son pro­gramme nucléaire devant garantir que le pays ne se dotera pas de l’arme atomique l

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