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France : L’heure de vérité

Abir Taleb, Mardi, 04 décembre 2018

La crise des « gilets jaunes » a connu un important tournant cette semaine en France, donnant lieu à des manifestations d’une violence inédite et mettant le gouvernement face à des choix difficiles.

France : L’heure de vérité
Plus de 260 personnes ont été blessées lors des manifestations du 1er décembre. (Photo : Reuters)

Y aura-t-il un quatrième samedi de manifestations à Paris, alors que des appels en ce sens circulent déjà sur les réseaux sociaux ? C’est la question que se posent aujourd’hui tant le peuple que les responsables français, après que la journée de mobilisation des « gilets jaunes » du samedi 1er décembre (3e du genre, 136 000 manifestants dans toute la France) a tourné au vinaigre. Scènes d’affrontements entre les manifestants et les forces de l’ordre, scènes de pillage, gaz lacrymogène et canon à eau, barricades, incendies, etc. C’est une véritable ambiance insurrectionnelle qu’ont vécue Paris et d’autres villes de France le 1er décembre.

Bilan : plus de 260 blessés dont 133 à Paris et plus de 400 interpellations. L’ampleur des manifestations, inédite à Paris depuis des décennies, a été telle que le ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, n’a pas écarté la possibilité d’instaurer l’état d’urgence, alors que le président français, Emmanuel Macron, a accusé les manifestants de ne vouloir que le « chaos », et déclaré que ces manifestations, celles des « gilets jaunes », n’avaient « rien à voir avec l’expression d’une colère légitime ». La crise a même conduit le premier ministre, Edouard Philippe, à annuler son déplacement en Pologne pour le sommet sur le climat COP 24.

Mais une fois la stupeur passée, l’heure est à la réflexion pour le gouvernement français. « Il y aura évidemment le constat sur la journée d’hier et puis il y aura les mesures qui peuvent être prises pour faire en sorte qu’il n’y ait pas de rituel qui s’instaure dans le pays et que les samedis que nous allons vivre ne donnent pas lieu à ce que nous avons pu observer hier », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, au lendemain des événements sur BFMTV. Car les « gilets jaunes », ce mouvement social protéiforme de Français modestes, qui s’élevait au départ contre la hausse des carburants, s’est élargi au problème du pouvoir d’achat, et accuse le gouvernement et le président de les traiter par le mépris et l’intransigeance.

L’opposition critique

La France se trouve donc empêtrée dans une crise qui a pris des proportions inattendues. Face à ce constat, le gouvernement français a lancé, lundi 3 décembre, une grande consultation politique. Et c’est le premier ministre, Edouard Philippe, qui est à la manoeuvre pour tenter de trouver une solution à cette crise, la plus grave de l’ère Macron. Car en plus de la colère populaire, la crise risque d’être instrumentalisée par l’opposition qui, d’ores et déjà, n’a pas mâché ses mots, rejetant la faute sur le gouvernement coupable, selon elle, d’utiliser, voire d’encourager ces scènes de chaos pour dénigrer le mouvement des « gilets jaunes ».

Et l’opposition rivalise de suggestions institutionnelles, de la dissolution de l’Assemblée nationale et la tenue d’élections anticipées pour Marine Le Pen (extrême-droite) et Jean-Luc Mélenchon (LFI, gauche radicale) au référendum sur la politique écologique et fiscale d’Emmanuel Macron proposé par Laurent Wauquiez (Les Républicains, droite).

Jusqu’au départ de M. Macron prôné par le député de la France insoumise, François Ruffin. La plupart demandent un « moratoire » sur la hausse prévue du prix de l’essence et du diesel au 1er janvier. L’une des figures des « gilets jaunes », Jacline Mouraud, en fait un préalable à des discussions avec le gouvernement. Parmi les autres revendications des manifestants figure notamment la réintroduction immédiate de l’impôt sur la fortune, nettement réduit par M. Macron. Le plus grave, pour ce dernier, est que les « gilets jaunes », qui s’opposent à la politique sociale et fiscale du gouvernement et dénoncent le mépris et l’intransigeance dont il ferait preuve à leur encontre — alors qu’il a plusieurs fois répété qu’il ne varierait pas de cap sur la taxation du carburant (pour financer la transition écologique), sujet qui fut le boutefeu de cette colère populaire —, fédèrent nombre de Français modestes qui peinent à boucler les fins de mois.

Aujourd’hui, l’opposition et une partie des « gilets jaunes », mouvement sans structure ni dirigeant clairement désigné qui a pour signe de reconnaissance le gilet de sécurité fluorescent des automobilistes, réclament donc avant tout un geste fort au gouvernement, à commencer par un moratoire ou un gel de la hausse des taxes sur les carburants. Or, le président français semble vouloir prendre le temps avant de trouver la bonne réponse à cette crise. Certes, les réunions se sont succédé suite à la journée du 1er décembre : une réunion de crise présidée par Emmanuel Macron dès le lendemain de cette journée violente avec quelques ministresclés pour en tirer les enseignements, plusieurs réunions qu’a eues le premier ministre avec des dirigeants de l’opposition lundi 3 décembre. Il n’en demeure pas moins que la ligne du gouvernement n’est pas encore claire. Va-t-il faire marche arrière pour contenir la crise ? Comment éviter que dans les jours à venir, de nouvelles manifestations aient lieu ? Comment faire baisser la colère populaire qui se transforme en crise politique ?

Le gouvernement français a donc tout intérêt à introduire un certain changement dans son action, au moins dans la forme. « Là où on a péché, c’est que l’on a été trop éloignés des réalités des Français », reconnaissait dans le journal Le Parisien le nouveau patron du parti macroniste La République En Marche (LREM), Stanislas Guérini, alors que le ministre de l’Intérieur avouait que le gouvernement s’était « planté sur un certain nombre de séquences de communication et de pédagogie, notamment sur l’enjeu de se sortir du tout pétrole ». Une reconnaissance qui attend aujourd’hui d’être suivie d’actions.

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