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L’opposition se mobilise face au pouvoir

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 14 mai 2018

A l’approche des élections législatives et présidentielle anticipées du 24 juin, l’opposition s’organise pour tenter de barrer la route au président Recep Tayyip Erdogan et son parti. Une mission difficile.

L’opposition se mobilise face au pouvoir
Candidat du principal parti d’opposition (CHP), Muharrem Ince a promis d’être le président de tous au cas où il serait élu le 24 juin. (Photo:AP)

Face à un président qui n’a perdu aucune élection depuis son entrée dans la vie politique en 2001, l’opposition se déploie à se réorga­niser et à s’allier afin de réduire les chances de Recep Tayyip Erdogan et de son parti (AKP, au pouvoir) lors des présidentielle et législa­tives anticipées qui vont avoir lieu un an et demi avant la date initiale­ment fixée en novembre 2019.

D’ores et déjà, plusieurs partis de l’opposition ont présenté leurs can­didats à la présidentielle. Parmi les figures les plus éminentes de l’op­position est le député Muharrem Ince, candidat du Parti républicain du peuple (CHP), principale forma­tion d’opposition. Réputé pour son style enflammé et sa combativité, Ince se serait engagé à être le « président de tous » et à être « impartial » s’il était élu. « Avec la permission de Dieu et la volonté de la nation, je serai élu président le 24 juin », a lancé M. Ince.

Quant au deuxième candidat de l’opposition, sa candidature a pro­voqué une surprise majeure : Selahattin Demirtas — chef du parti pro-kurde (HDP), emprison­né — qui attend son procès le 8 juin où il sera jugé pour « propa­gande terroriste ». « Nous sommes ceux qui vont déterminer l’élection présidentielle », a affirmé le HDP.

La troisième candidate de l’op­position est Meral Aksener, prési­dente du tout jeune Bon Parti (droite) qui est souvent présentée comme une opposante sérieuse à M. Erdogan. Se revendiquant du centre-droit, elle a promis de « faire tomber le ciel sur la tête des isla­mo-conservateurs ». Malgré l’exis­tence de plusieurs candidats face à Erdogan, ce dernier va briguer la présidentielle faute de candidat fort apte à rivaliser avec lui. Pourtant, les chances de l’opposition sont minimes. Par exemple un candidat comme Ince est peu connu de la part des Turcs : il aura peu de temps pour se faire connaître du grand public. De plus, sa laïcité le priverait de gagner la voix des isla­mistes et des conservateurs.

Quant à Demirtas, ses chances sont aussi très réduites pas seule­ment car il est inculpé dans un grave procès de terrorisme, mais plutôt car un Kurde ne pourra jamais remporter la présidentielle dans une société qui voit dans la minorité kurde une menace pour sa sécurité et son unité. Face à eux, Erdogan a tout pour maximiser ses chances. Un facteur important joue en faveur du président turc, à savoir sa victoire militaire contre la milice kurde à Afrine (nord de la Syrie) ces derniers mois. Pour capitaliser sur le sentiment nationaliste de son électorat, Erdogan a placé sa cam­pagne sous le signe de « la Turquie conquérante », promettant d’élever la Turquie au rang de « puissance globale » et de lancer de nouvelles opérations militaires contre celles menées dans le nord de la Syrie pour nettoyer les frontières turques des groupes terroristes.

Alliance stratégique

« Les candidatures de l’opposi­tion sont donc plutôt symboliques : elles prouvent que l’opposition turque veut barrer la route à Erdogan. Plus il y a de candidats, moins Erdogan a de la chance de passer dès le premier tour. Les can­didatures de l’opposition pour­raient conduire à un second tour car elles vont effriter les voix de l’électorat turc », explique Béchir Abdel-Fattah, expert du dossier turc au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Pour ce qui est des législa­tives, l’opposition tente parallèle­ment de s’allier et d’organiser ses rangs pour remporter le plus grand nombre de sièges au parlement, surtout après l’alliance de l’AKP avec ses ennemis d’hier, le Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite) dans l’objectif de remporter une majorité au parle­ment.

Pour répondre à l’alliance du pouvoir, les partis de l’opposition ont décidé de former une alliance stratégique afin de gagner un maxi­mum de sièges au parlement, sur­tout que la loi électorale impose aux partis d’obtenir au minimum 10 % des voix pour pouvoir siéger à l’assemblée. Pour dépasser la barre des 10 %, 4 partis de l’oppo­sition ont formé une alliance bapti­sée Alliance de la nation : le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), le tout jeune Iyi parti (Bon Parti), le parti conservateur Saadet (Parti de la Félicité) et le parti démocrate de centre-droit.

Réagissant aux manoeuvres de l’opposition, le gouvernement turc a dénoncé cette alliance, la jugeant motivée par la seule hostilité à Erdogan. « Ce qui les motive et les rassemble ce ne sont pas les inté­rêts ou l’avenir de la Turquie, mais leur opposition au président », a déclaré le porte-parole du gouver­nement, Bekir Bozdag, dénonçant une « alliance forcée » entre ces partis, la comparant à un « mariage forcé ». Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, l’opposition turque tente de remporter le plus grand nombre de sièges au parle­ment pour priver Erdogan de deve­nir le maître absolu du pays. « Même si les prérogatives du par­lement seraient limitées au sein du système présidentiel, le parlement aura toujours la tâche de contrôler le travail du gouvernement, de pro­mulguer des lois et ratifier le bud­get de l’Etat, de quoi dire qu’une victoire de l’opposition au parle­ment pourrait contrarier Erdogan qui ne serait pas le maître absolu du pays. Malgré les manoeuvres de l’opposition, on doit trancher qu’il n’y a pas de vraie opposition en Turquie apte à mobiliser l’électorat turc comme le fait Erdogan, de quoi donner la chance à l’AKP de remporter le vote dès le premier tour. Si l’AKP ne le remporte pas dès le premier tour, ce sera à cause de son bilan économique faible qui a réduit — plus ou moins — sa popularité. L’existence d’une forte opposition au parlement va consti­tuer un lourd défi pour un prési­dent avide de pouvoir comme Erdogan », conclut Dr Mourad.

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