
Candidat du principal parti d’opposition (CHP), Muharrem Ince a promis d’être le président de tous au cas où il serait élu le 24 juin.
(Photo:AP)
Face à un président qui n’a perdu aucune élection depuis son entrée dans la vie politique en 2001, l’opposition se déploie à se réorganiser et à s’allier afin de réduire les chances de Recep Tayyip Erdogan et de son parti (AKP, au pouvoir) lors des présidentielle et législatives anticipées qui vont avoir lieu un an et demi avant la date initialement fixée en novembre 2019.
D’ores et déjà, plusieurs partis de l’opposition ont présenté leurs candidats à la présidentielle. Parmi les figures les plus éminentes de l’opposition est le député Muharrem Ince, candidat du Parti républicain du peuple (CHP), principale formation d’opposition. Réputé pour son style enflammé et sa combativité, Ince se serait engagé à être le « président de tous » et à être « impartial » s’il était élu. « Avec la permission de Dieu et la volonté de la nation, je serai élu président le 24 juin », a lancé M. Ince.
Quant au deuxième candidat de l’opposition, sa candidature a provoqué une surprise majeure : Selahattin Demirtas — chef du parti pro-kurde (HDP), emprisonné — qui attend son procès le 8 juin où il sera jugé pour « propagande terroriste ». « Nous sommes ceux qui vont déterminer l’élection présidentielle », a affirmé le HDP.
La troisième candidate de l’opposition est Meral Aksener, présidente du tout jeune Bon Parti (droite) qui est souvent présentée comme une opposante sérieuse à M. Erdogan. Se revendiquant du centre-droit, elle a promis de « faire tomber le ciel sur la tête des islamo-conservateurs ». Malgré l’existence de plusieurs candidats face à Erdogan, ce dernier va briguer la présidentielle faute de candidat fort apte à rivaliser avec lui. Pourtant, les chances de l’opposition sont minimes. Par exemple un candidat comme Ince est peu connu de la part des Turcs : il aura peu de temps pour se faire connaître du grand public. De plus, sa laïcité le priverait de gagner la voix des islamistes et des conservateurs.
Quant à Demirtas, ses chances sont aussi très réduites pas seulement car il est inculpé dans un grave procès de terrorisme, mais plutôt car un Kurde ne pourra jamais remporter la présidentielle dans une société qui voit dans la minorité kurde une menace pour sa sécurité et son unité. Face à eux, Erdogan a tout pour maximiser ses chances. Un facteur important joue en faveur du président turc, à savoir sa victoire militaire contre la milice kurde à Afrine (nord de la Syrie) ces derniers mois. Pour capitaliser sur le sentiment nationaliste de son électorat, Erdogan a placé sa campagne sous le signe de « la Turquie conquérante », promettant d’élever la Turquie au rang de « puissance globale » et de lancer de nouvelles opérations militaires contre celles menées dans le nord de la Syrie pour nettoyer les frontières turques des groupes terroristes.
Alliance stratégique
« Les candidatures de l’opposition sont donc plutôt symboliques : elles prouvent que l’opposition turque veut barrer la route à Erdogan. Plus il y a de candidats, moins Erdogan a de la chance de passer dès le premier tour. Les candidatures de l’opposition pourraient conduire à un second tour car elles vont effriter les voix de l’électorat turc », explique Béchir Abdel-Fattah, expert du dossier turc au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Pour ce qui est des législatives, l’opposition tente parallèlement de s’allier et d’organiser ses rangs pour remporter le plus grand nombre de sièges au parlement, surtout après l’alliance de l’AKP avec ses ennemis d’hier, le Parti d’action nationaliste (MHP, extrême droite) dans l’objectif de remporter une majorité au parlement.
Pour répondre à l’alliance du pouvoir, les partis de l’opposition ont décidé de former une alliance stratégique afin de gagner un maximum de sièges au parlement, surtout que la loi électorale impose aux partis d’obtenir au minimum 10 % des voix pour pouvoir siéger à l’assemblée. Pour dépasser la barre des 10 %, 4 partis de l’opposition ont formé une alliance baptisée Alliance de la nation : le Parti républicain du peuple (CHP, social-démocrate), le tout jeune Iyi parti (Bon Parti), le parti conservateur Saadet (Parti de la Félicité) et le parti démocrate de centre-droit.
Réagissant aux manoeuvres de l’opposition, le gouvernement turc a dénoncé cette alliance, la jugeant motivée par la seule hostilité à Erdogan. « Ce qui les motive et les rassemble ce ne sont pas les intérêts ou l’avenir de la Turquie, mais leur opposition au président », a déclaré le porte-parole du gouvernement, Bekir Bozdag, dénonçant une « alliance forcée » entre ces partis, la comparant à un « mariage forcé ». Selon Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, l’opposition turque tente de remporter le plus grand nombre de sièges au parlement pour priver Erdogan de devenir le maître absolu du pays. « Même si les prérogatives du parlement seraient limitées au sein du système présidentiel, le parlement aura toujours la tâche de contrôler le travail du gouvernement, de promulguer des lois et ratifier le budget de l’Etat, de quoi dire qu’une victoire de l’opposition au parlement pourrait contrarier Erdogan qui ne serait pas le maître absolu du pays. Malgré les manoeuvres de l’opposition, on doit trancher qu’il n’y a pas de vraie opposition en Turquie apte à mobiliser l’électorat turc comme le fait Erdogan, de quoi donner la chance à l’AKP de remporter le vote dès le premier tour. Si l’AKP ne le remporte pas dès le premier tour, ce sera à cause de son bilan économique faible qui a réduit — plus ou moins — sa popularité. L’existence d’une forte opposition au parlement va constituer un lourd défi pour un président avide de pouvoir comme Erdogan », conclut Dr Mourad.
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