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Vers une nouvelle guerre froide ?

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 19 mars 2018

Après sa victoire à la présidentielle du 18 mars, Vladimir Poutine entame un quatrième mandat sur fond de graves désaccords avec l'Occident sur l’Ukraine, la Syrie et les accusations d’ingérence russe dans la présidentielle américaine de 2016.

Vers une nouvelle guerre froide  ?
Malgré un bilan économique à demi-teinte, Vladimir Poutine a remporté le scrutin à 76,67  % des voix. (Photo:AFP)

Au pouvoir depuis le début de ce millénaire, Vladimir Poutine reste­rait président de la Russie pour un quart de siècle s’il vient à bout de son nouveau mandat qui le garde au pouvoir jusqu’à 2024. Remportant 76,67% des voix— bien plus que les 63,6% qu’il avait obtenus en 2012—, l’homme fort de la Russie a prouvé qu’il reste, aux yeux de son peuple, l’unique leader qui a réussi à restau­rer la grandeur du pays sur la scène internationale après le déclin des années 1990. Même si son talon d’Achille reste l’économie, ce point faible n’a jamais affecté sa popula­rité, car il a réussi à convaincre les Russes que la crise économique — due aux sanctions internatio­nales— n’est qu’une modeste fac­ture qu’ils doivent payer pour restau­rer l’hégémonie de leur pays. Ainsi, tout au long de son dernier mandat, Poutine a tout fait pour compenser les difficultés économiques, en gar­dant l’omniprésence stratégique de son pays dans la plupart des régions du monde: envahir l’Ukraine et annexer la Crimée pour s’imposer en Europe; intervenir en Syrie en chan­geant l’équation du conflit pour revenir en force au Moyen-Orient ; s’imposer en tant qu’acteur incon­tournable dans la solution des dos­siers chauds de l’Asie comme la crise nucléaire iranienne et nord-coréenne. A cela s’ajoute son rôle présumé dans la présidentielle amé­ricaine de 2016.

Si de telles actions lui ont valu le soutien de son peuple, elles l’ont mis sous les feux des Occidentaux, en tête les Etats-Unis, de quoi faire planer le spectre d’une nouvelle guerre froide. « La Russie sous Poutine paraît de plus en plus invincible et forte aux yeux des Occidentaux qui voulaient empê­cher la victoire de ce président partisan d’une politique agressive, offensive et expansionniste. En intervenant militairement en Syrie et en annexant la Crimée, Poutine a pu restaurer la grandeur de la Russie après le chaos qui avait suivi la dislocation de l’ex-Union soviétique. En fait, son intervention en Syrie est un acte sans précédent dans l’histoire de l’Union sovié­tique, car jamais les Soviétiques n’étaient intervenus militairement au Moyen-Orient », affirme Dr Hicham Mourad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

Crise ouverte avec l’Europe

Si l’on commence par les rela­tions russo-européennes, elles n’ont jamais été aussi perturbées que ces derniers temps. Défiant l’Union Européenne (UE) à la veille du scrutin, Poutine s’est rendu en Crimée pour célébrer en grande pompe le quatrième anniversaire de l’annexion de la Crimée qui tom­bait le même jour de la présiden­tielle. « Poutine joue la carte du patriotisme. Il sait que l’annexion de la Crimée a suscité un enthou­siasme très fort chez son électorat et, qu’en défiant les pays occiden­taux, il conforte cet électorat et accroît ses chances d’emporter le vote. Un pari bien gagné », analyse Dr Mourad.

Outre la Crimée, un autre dossier envenime récemment les relations entre la Russie et l’Europe et sur­tout le Royaume-Uni. A l’origine de cette tension figure l’affaire de l’empoisonnement, le 4 mars, sur le sol britannique, de l’ex-espion russe, Sergueï Skripal, accusé d’es­pionnage au profit du Royaume-Uni. Ce dernier avait été condamné à 13 ans de prison en Russie en 2006, mais, plus de dix ans après sa condamnation, le nom de Skripal refait surface à la veille de la prési­dentielle russe. Une affaire qui a dégénéré en crise ouverte entre Londres et Moscou avec l’expul­sion de diplomates de part et d’autre. Et Londres a directement pointé du doigt Poutine, l’accusant d’avoir ordonné personnellement l’empoisonnement de l’ex-espion, rappelant que cette affaire s’inscrit « dans un contexte d’agressions menées par l’Etat russe » et men­tionnant l’« annexion illégale de la Crimée », les violations « répé­tées » de l’espace aérien de plu­sieurs pays européens et des cam­pagnes de cyber-espionnage.

Se rangeant aux côtés de Londres, la France et l’Allemagne ont vive­ment condamné la Russie, le prési­dent français, Emmanuel Macron, affirmant que son pays allait « coor­donner » avec le Royaume-Uni sur la réponse à apporter à Moscou, rajoutant que la France ne reconnaî­tra pas la tenue de la présidentielle russe en Crimée dont l’annexion par Moscou était « illégale », selon le ministère français des Affaires étrangères.

Or, la coïncidence de cette crise avec la tenue des élections russes laisse à réfléchir. « Je pense que cette affaire n’est qu’une manoeuvre de la part de l’Occident qui a tenté de réduire les chances de Poutine de remporter le scrutin. Cela pour­rait être une sorte de complot tissé par les services de renseignements britanniques et américains pour répondre à l’ingérence russe dans la présidentielle américaine. En effet, ni Londres ni l’UE n’ont inté­rêt à attiser des conflits avec Moscou, car ils ont largement besoin du gaz russe. Quant aux Etats-Unis, ils sont l’ennemi tradi­tionnel de la Russie », estime le politologue. D’où la réponse russe : Poutine a rejeté les accusations européennes « sans preuves et non vérifiées », affirmant, dimanche 18 mars, que c’est « du grand n’im­porte quoi », a estimé le président.

Nouvelles sanctions américaines

Comme prévu, Washington n’a pas tardé à signaler son inlassable soutien à Londres. Passant à l’acte, le Trésor américain a sanctionné, vendredi 16 mars, 5 organisations et 19 individus russes. « Ces sanc­tions répondent aux activités perni­cieuses de la Russie, y compris sa tentative d’interférence dans les élections américaines », a lancé le secrétaire au Trésor, Steven Mnuchin. Accentuant la pression sur Moscou, le département d’Etat américain a fustigé la récente visite de Poutine en Crimée, mettant à nouveau en cause le référendum « illégitime » de l’annexion de la péninsule. Dans leur communiqué, les Etats-Unis ont réaffirmé ven­dredi 16 mars que « la Crimée fait partie de l’Ukraine » et que les sanctions américaines imposées après l’annexion de ce territoire par Moscou « resteront en vigueur » tant que la Russie n’aura pas rendu le contrôle de la péninsule à l’Ukraine.

En riposte à ces défis américains, Moscou a déclaré qu’il s’apprêtait à étoffer sa liste noire des citoyens américains « Les politiciens qui veulent détruire les relations russo-américaines jouent avec le feu », a menacé le ministère russe des Affaires étrangères.

Nouvelle course aux armements

Si la guerre verbale entre les deux superpuissances remonte à plu­sieurs mois, elle a pris une nouvelle tournure le 1er mars lors du discours annuel de Poutine où il avait vanté longuement les nouvelles capacités militaires invincibles de son pays, y compris nucléaires. Avec ce dis­cours militariste, le chef du Kremlin semble lancer une « nouvelle course aux armements » avec Washington à un moment où les relations entre les deux pays sont au plus bas.

De quoi laisser perplexe. Selon les experts, le pire est à craindre les jours à venir, car les relations bila­térales vont de mal en pis depuis l’accession de Donald Trump au pouvoir début 2017, sur fond d’ac­cusations d’ingérence russe dans la présidentielle américaine. Même si les Républicains ont décidé la semaine dernière de clore l’investi­gation, affirmant n’avoir trouvé aucune collusion entre l’équipe de Trump et la Russie, les Démocrates ont affirmé qu’ils continueraient à enquêter sur l’affaire.

« Le nouveau mandat de Poutine commence très mal avec des pré­mices d’une nouvelle guerre froide. Les jours à venir n’augurent rien de bon pour les relations américa­no-russes. Trump ne fait qu’enveni­mer ses relations avec Moscou pour se disculper de l’accusation d’ingé­rence dans les élections. Depuis son accession au pouvoir, Trump veille à choisir les membres de son administration parmi ceux qui ont une position hostile à l’égard de la Russie. Même son nouveau secré­taire d’Etat, Mike Pompeo, n’est qu’un faucon connu pour ses posi­tions anti-russes, de quoi laisser présager que le nouveau mandat de Poutine sera envenimé par plus de tensions et de sanctions améri­caines à l’encontre de Moscou. Mais Poutine est prêt à ces sanc­tions économiques, pourvu que son pays retrouve sa grandeur », conclut Dr Mourad.

Vladimir Poutine en dix dates

7 octobre 1952 : Naissance dans une famille ouvrière de la ban­lieue de Leningrad, l’actuelle Saint-Pétersbourg.
1998 : Nommé à la tête du FSB, les services secrets russes chargés de la sécurité intérieure (ex-KGB).
1999 : Premier ministre de Boris Eltsine, il ordonne l’entrée des troupes russes en Tchétchénie contre les séparatistes. En avril 2009, Moscou annoncera la fin de l’« opération antiterroriste ».
2000 : Elu à la présidence dès le premier tour. Il sera réélu en 2004.
2008 : Ne pouvant exercer plus de deux mandats consécutifs, Vladimir Poutine confie le Kremlin à son premier ministre, Dmitri Medvedev, et prend la tête du gouvernement.
2012 : Redevient président après avoir été élu au premier tour, pour un mandat porté à six ans. L’élection est marquée par des manifesta­tions inédites de l’opposition.
2014 : Annexe la péninsule ukrainienne de Crimée après son occu­pation par des troupes russes et un référendum jugé illégal par la communauté internationale.
2015 : Apporte un soutien militaire au régime du président syrien Bachar Al-Assad.
6 décembre 2017 : Annonce sa candidature pour un 4e mandat présidentiel.
18 mars : Victoire à la présidentielle avec 76,67% des voix .

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