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Ahmed Youssef : Israël ne va sans doute pas se lancer dans une nouvelle guerre avec le Liban

Maha Salem avec agences, Dimanche, 11 mars 2018

Dr Ahmed Youssef, directeur du Centre des recherches et des études arabes et africaines au Caire, analyse la portée des tensions israélo-libanaises actuelles et parle de la scène politique au Liban à l’approche des législatives.

Al-ahram hebdo : Depuis plusieurs semaines, la tension monte entre Israël et le Liban à cause du contentieux sur le gaz, du mur qu’Israël construit le long de la frontière et surtout du Hezbollah. Qu’en est-il ?

Dr Ahmed Youssef: La tension entre Israël et le Liban concer­nant le gaz a éclaté au grand jour quand Israël a prétendu possé­der une partie de la zone économique au sud du Liban. La surface de cette partie, qui s’élève à 860 km2, renferme d’importants puits de gaz. Ces derniers appartiennent au Liban car ils se trou­vent dans la zone économique libanaise. Ce genre de conflit est soumis et jugé souvent par les articles du Traité de droits mari­times signé à l’Onu en 1982. Les deux pays sont signataires de ce traité. C’est-à-dire qu’il s’agit d’une nouvelle arrogance d’Israël, un pays habitué à violer les traités internationaux. De toute façon, le Liban possède des documents et des cartes géographiques qui prouvent sa possession de cette zone. Il doit intenter dans les jours à venir un procès auprès de la Haute Cour internationale des droits maritimes qui dépend de l’Onu. Quant au sujet du mur, Tel-Aviv y voit l’unique solution pour protéger ses frontières comme il l’avait déjà fait avec les Palestiniens.

— Le secrétaire d’Etat adjoint américain pour le Proche-Orient, David Satterfield, était récemment au Liban pour une médiation entre les deux pays au sujet du gaz. A-t-elle abouti ?

— On ne sait pas si cette médiation a abouti ou non. Il y a toujours des accords conclus dans les coulisses. Mais, selon les rumeurs, une proposition américaine donne à Tel-Aviv le droit d’exploiter 40% du gaz, alors que le Liban empoche le reste. Une proposition qui a été catégoriquement rejetée par le Liban. Ce qui est à craindre, c’est que le bras de fer actuel ne dégénère en un vrai conflit.

— Outre cette question, il y a le Hezbollah... Un sénateur américain a récemment déclaré que des responsables israé­liens auraient réclamé des armes et un soutien diplomatique des Etats-Unis concernant des frappes contre le Hezbollah. Israël est-il prêt à une telle aventure ?

— Israël fait des calculs très rationnels avant de penser à frapper le Hezbollah. En effet, il n’est pas prêt à se lancer dans une telle aventure aux conséquences désastreuses, mais c’était simplement une riposte à la menace du Hezbollah de frapper des installations israéliennes vitales au cas où il mettrait les pieds dans la zone économique libanaise.

— Mais cette tension est évidemment liée à l’Iran, dont l’influence en Syrie, en Iraq et au Liban, à travers le Hezbollah, dérange. Quel rôle peut donc jouer l’Iran si la crise prend de l’ampleur ?

— Si les choses vont plus loin entre le Hezbollah et Israël, l’Iran va intervenir d’une manière directe car le cas ici diffère de celui de la Syrie ou de l’Iraq. On ne doit pas oublier ce qui s’est passé en 2006, d’autant plus que le Hezbollah est aujourd’hui beaucoup plus fort qu’auparavant. Il est aussi sou­tenu plus que jamais par Téhéran.

— Tel-Aviv menace, Beyrouth se dit prêt à se défendre… Que font les grandes puissances pour éviter un embrasement régional, les Etats-Unis étant l’ami indéfec­tible d’Israël, et la Russie un allié de l’Iran ?

— Généralement, la Russie agit d’une manière rationnelle, elle n’interviendrait que si elle était obligée. Quant à Washington, il est difficile de prévoir les agissements de l’actuelle Administration dont les décisions sont toujours hasardeuses, incalculables et contradictoires. A cet égard, on cite le cas de la Corée du Nord que Donald Trump avait menacé de frapper, alors que maintenant, il se dit prêt au dialogue avec le Nord-Coréen Kim Jong-un, et se dit même optimiste. En tout cas, je pense qu’Israël va essayer de ne pas se lancer dans une guerre avec le Liban dans une région qui s’embrase. En plus, la com­munauté internationale va tenter d’apaiser les tensions.

— Depuis le retrait israélien du Sud-Liban, en 2000, la question des armes du Hezbollah continue d’empoisonner la vie politique libanaise

— Il va de soi que la question du désarmement du Hezbollah est très difficile à régler. déjà, le Hezbollah est bien organisé, armé et équipé. Il possède plus d’armes que l’armée libanaise elle-même, et il présente la principale ligne de défense du Liban face à Israël. En même temps, le Hezbollah agit rationnellement et tente de ne pas trop intervenir dans la politique interne du Liban. Il laisse chaque parti agir en toute liberté mais, en revanche, rien ne se passe sur le front politique libanais sans le consentement du Hezbollah qui ne permettra jamais que ses intérêts soient affectés.

— Sur le plan politique, le Hezbollah est-il capable de continuer à s’imposer aux législatives de mai prochain mal­gré cet environnement régional hostile ?

— Il est difficile de répondre à cette question, les législatives reflètent la voix du peuple. Mais ce qui est sûr, c’est que même si le vote ne lui donne pas la force politique nécessaire, il res­tera toutefois fort grâce à sa force militaire.

— Les prochaines législatives revêtent une importance particulière. Elles sont les premières depuis 2009, et à l’époque, le contexte régional était bien différent ...

— En effet, on attend ces élections depuis longtemps. L’enjeu de ce scrutin est qu’il va en découler un parlement qui va dessi­ner la politique étrangère du Liban à un moment où la région traverse une période tumultueuse.

— Le premier ministre libanais a récemment effectué une visite en Arabie saoudite trois mois après la crise née de sa démission annoncée depuis Riyad; un émissaire saoudien était à Beyrouth juste avant. De quoi s’agit-il exactement ?

— L’Arabie est toujours considérée comme le père spirituel des sunnites au Liban. Même si des différends surgissent entre le Liban et l’Arabie saoudite, cela ressemble à des problèmes entre les membres d’une même famille. Les autorités sunnites libanaises ne sont soutenues économiquement, politiquement et militairement que par l’Arabie saoudite. Les Saoudiens font toujours pression sur la communauté internationale en faveur des sunnites .

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