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La Turquie et l’UE à couteaux tirés

Sabah Sabet avec agences, Mardi, 29 novembre 2016

La tension entre Ankara et l'Union euro­péenne est montée d'un cran, suite à un vote du parle­ment européen appelant à un gel du processus d'adhésion.

La Turquie et l’UE à couteaux tirés
En menaçant de laisser entrer les migrants en Europe, Erdogan entend faire pression sur les dirigeants européens. (Photo:Reuters)

Echange mutuel de menaces ou d’avertissements : tel est le type de la relation actuelle entre Ankara et l’Union Européenne (UE). Si ces relations sont crispées depuis plu­sieurs mois, la tension est montée d’un cran cette semaine avec le vote du parlement européen d’une résolu­tion appelant à un gel temporaire du processus d’adhésion de la Turquie à l’UE. Et pour cause, les dérives auto­ritaires du président turc et les atteintes aux droits de l’Homme. Un vote certes non contraignant, mais qui aura son impact sur les relations déjà troublées entre Turcs et Européens.

En réponse, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a lui aussi haussé le ton. Dans un discours véhément pro­noncé samedi dernier contre l’Union européenne, il a rétorqué qu’il pour­rait prolonger de trois mois au moins l’état d’urgence. « C’est une décision qui revient au gouvernement et au parlement turcs, est-ce le parlement européen qui décide pour ce pays ou est-ce le gouvernement ? Restez à votre place », a lancé le président turc. Critiqué, l’état d’urgence ins­tauré après le putsch manqué du 15 juillet dernier a conduit notamment à l’arrestation d’au moins 37 000 per­sonnes, ce qui a soulevé l’inquiétude de l’UE. Le président turc a donc pris une attitude défensive voire provo­cante : il a ainsi affirmé qu’il promul­guerait le rétablissement de la peine capitale abolie en 2004 si les députés le votaient, une mesure jugée incom­patible avec une adhésion à l’UE.

Les migrants, une carte de pression turque
Les avertissements d’Erdogan n’ont pas seulement concerné les affaires intérieures de son pays, mais ils ont touché aussi la sécurité de l’Europe, et c’est là le plus important. « Ecoutez-moi bien. Si vous allez plus loin, ces frontières s’ouvriront, met­tez-vous ça dans la tête », a-t-il ouvertement menacé. Ce qui ne manque pas de susciter l’inquiétude des dirigeants européens qui crai­gnent plus que tout l’arrivée en masse de migrants. En effet, si Erdogan se montre aussi sûr de lui, c’est juste­ment à cause de la question des migrants, une vraie carte de pression qu’il use à bon gré contre les Européens.

Selon un accord turco-européen, la Turquie — qui abrite quelque 3 mil­lions de réfugiés essentiellement syriens sur son sol — s’est engagée à fermer ses frontières et à garder ces réfugiés chez elle en contrepartie d’aides financières accordées par l’UE. Mais Ankara accuse les pays européens de ne pas envoyer l’aide financière promise, ce que Bruxelles dément. « L’accord entre la Turquie et l’UE doit être respecté et il le sera », a d’ailleurs répondu le prési­dent de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, dans un entre­tien paru samedi dans le quotidien La Libre Belgique. La porte-parole de la chancelière Angela Merkel a pour sa part déclaré vendredi que le fait de menacer l’accord sur les migrants n’avance à rien. « Nous considérons l’accord entre la Turquie et l’Union européenne comme un succès com­mun et la poursuite de cet accord est dans l’intérêt de tous les acteurs », a déclaré Ulrike Demmer.

En fait, depuis l’ouverture des négociations d’adhésion en 2005, jamais les relations turco-euro­péennes n’ont été au plus bas. Si la question des migrants est en toile de fond de la crise, elle n’est pas la seule à l'avoir provoquée. En effet, il y a aussi les conséquences du coup d’Etat raté de juillet dernier, la posi­tion de l’Europe vis-à-vis de la ques­tion kurde, etc. Or, les deux parties ont intérêt à ce que la crise soit dépas­sée. Selon Bechir Abdel-Fattah, ana­lyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques d’Al-Ahram, (CEPS), « tout cela n’est qu’une guerre de paroles reflétant le rapport de force entre les deux parties, ça ne va pas aller plus loin ». Et d’ajouter : « Depuis le lancement des négocia­tions d’adhésion, celles-ci sont sans cesse entravées et n’avancent presque pas, et ce, à cause de l’attitude d’An­kara, qui tarde à respecter les enga­gements requis avant toute adhé­sion ». Cela dit, explique Bechir Abdel-Fattah, « il n’est dans l’intérêt ni des Européens, ni des Turcs, que ce climat de tension perdure. D’un côté, plusieurs pays européens sont en période pré-électorale, et un afflux de migrants pourrait jouer en défaveur des partis au pouvoir, qui feront tout pour stopper tout flux de nouveaux réfugiés. De l’autre, Erdogan ne pourra pas facilement rompre l’ac­cord sur les migrants qu’il a conclu avec l’UE, un accord qui devrait lui apporter une aide de 6 milliards de dollars mais aussi une exemption des visas pour les Turcs. Je ne crois pas que le président turc soit prêt à perdre ces avantages, ce qu’il dit n’est que de la propagande destinée à son peuple, il veut passer pour un homme fort ».

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