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Vers une crise entre Riyad et Washington ?

Maha Al-Cherbini avec agences, Dimanche, 02 octobre 2016

Le vote du Congrès américain autorisant les proches des victimes des attentats du 11 septembre 2001 à poursuivre l'Arabie saoudite porte un coup dur aux relations américano-saoudiennes. Ses conséquences ne sont toutefois toujours pas claires.

Vers une crise entre Riyad et Washington ?
Quoique furieux, les responsables saoudiens n'ont pas encore décidé la réponse à adopter vis-à-vis de Washington. (Photo:AP)

Un grave coup de froid a frappé cette semaine les relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis, ces deux alliés dont les relations sont tendues depuis deux ans suite à l’ouverture que l’Administration du président Barack Obama avait amorcée envers Téhéran afin d’aboutir à son accord nucléaire historique. Malgré ce rapprochement irano-américain, les relations entre Riyad et Washington — fondées il y a plus de 70 ans sur un échange de la sécurité américaine contre le pétrole saoudien — étaient restées toujours solides, surtout en matière de coopération antiterroriste. Or, cette semaine, une décision du Congrès américain et de la Chambre des représentants intitulée « Justice Against Sponsors of Terrorism Act » (JASTA) et autorisant les proches de victimes du 11 septembre 2001 à poursuivre l’Arabie saoudite, a sonné comme un grave coup de tonnerre qui pourrait sérieusement envenimer les relations bilatérales entre Washington et l’un de ses principaux alliés dans la région. Certes, même si 15 des 19 auteurs des attentats du 11 septembre aux Etats-Unis étaient des ressortissants saoudiens, la responsabilité de Riyad n’a jamais été démontrée.

Selon les experts, ce vote constitue un double coup dur : d’un côté, il risque d’affecter les relations entre les deux pays, de l’autre, c’est un camouflet pour le président Barack Obama. En effet, pour la première fois en huit ans de pouvoir, le veto d’Obama a été rejeté à une très large majorité. Et ce camouflet, qui arrive à l’approche de la fin du mandat d’Obama, l’est aussi plus généralement les Démocrates en cette période de campagne présidentielle. Qualifiant le texte d’« erreur » et de « vote politique » de parlementaires qui jouent leur réélection le 8 novembre, M. Obama a mis en garde : « Ce vote marque un dangereux précédent. Il ne protégera pas les Américains d’attaques terroristes et n’améliorera pas non plus l’efficacité de notre réponse en cas de telles attaques », a affirmé le numéro un américain. Partageant cette même optique, le directeur de la CIA, John Brennan, a estimé qu’un tel vote aurait de graves implications sur la sécurité nationale des Etats-Unis et des conséquences pour les employés du gouvernement qui travaillent à l’étranger, car il affaiblirait le principe d’immunité qui protège les Etats et leurs diplomates de poursuites judiciaires et risquerait d’exposer les Etats-Unis à des poursuites devant divers tribunaux à travers le monde.

Objectifs cachés

Or, la question qui s’impose est de savoir pourquoi le Congrès américain a attendu 15 ans pour adopter une telle loi contre son allié saoudien. Selon Dr Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire, cette décision est motivée par plusieurs facteurs. Premièrement, « elle intervient au moment où les Etats-Unis n’ont plus vraiment besoin du pétrole saoudien. Le pétrole n’est plus une carte de pression entre les mains de Riyad comme jadis. Aujourd’hui, c’est Riyad qui est en position de faiblesse à cause entre autres de la chute du prix du pétrole ». D’après l’analyste, Washington a pêché dans les eaux troubles en adoptant une telle décision, alors que l’Arabie saoudite traverse l’un de ses moments les plus critiques. Sur le plan économique, la chute des cours du pétrole affecte l’économie saoudienne, le pétrole étant la principale source de l’hégémonie saoudienne et, sur le plan politique, Riyad se voit menacé ces derniers jours par l’émergence de Téhéran — chiite — en tant que superpuissance régionale après la conclusion de l’accord nucléaire. Selon Dr Kazziha, un autre facteur a poussé le Congrès à adopter une telle loi ces jours-ci, c’est la faiblesse et l’effritement des pays arabes. « Cette décision — prise sous la pression du lobby juif — intervient à un moment où les pays arabes sont complètement déchirés. L’Arabie saoudite est l’un des plus importants pôles arabo-musulmans qui orientent les politiques des pays de la région : elle aide l’Egypte financièrement, dirige la coalition internationale au Yémen et joue un rôle de poids dans le dossier syrien grâce à son hégémonie militaire et économique. En faisant pression sur Riyad, le Congrès vise à faire plier Riyad et, par la suite, faire plier tout le monde arabe dans la direction qui sert les intérêts américains et israéliens », affirme l’expert.

Ce que Riyad tentera certainement de combattre. Pour le moment, Riyad réagit avec réserve, tout en brandissant certaines menaces. Le porte-parole du ministère saoudien des Affaires étrangères a appelé le Congrès à agir pour « parer aux conséquences désastreuses et graves » de cette loi sur les relations entre les deux pays, évoquant des « effets négatifs » sur les relations bilatérales. Qualifiant le vote comme « un coup de poignard dans le dos », Salman Al-Ansari, président du comité privé pour la promotion des relations saoudo-américaines, a déclaré : « J’ai peur que cette loi ait des implications stratégiques catastrophiques ». « Comment pouvez-vous poursuivre un pays qui collabore contre ce même terrorisme dont il est accusé sans fondement ? », s’est-il interrogé.

Hésitations saoudiennes

Selon les experts, il semble que les responsables saoudiens n’ont pas encore décidé quelle voie adopter face à cette nouvelle menace américaine : faudrait-il agir maintenant ou attendre la première plainte ? Certaines voix appellent à la prudence et à la patience pour ne pas perdre le grand allié américain dont le soutien reste fort important pour Riyad face aux menaces en Syrie et au Yémen, et pour contrer l’Iran, grand rival chiite. En revanche, d’autres voix appellent à une réaction rapide et à l’adoption de mesures de rétorsion contre Washington. Déjà, l’Arabie saoudite avait menacé, en avril, de vendre quelque 750 milliards de dollars en bons du Trésor américain et autres biens détenus aux Etats-Unis si Washington s’obstinait à adopter la JASTA. Selon les experts, Riyad pourrait aussi limiter l’accès des Etats-Unis sur les bases militaires de la région, notamment au Qatar qui sert de point d’appui pour les opérations en Afghanistan, en Iraq et en Syrie. De plus, Riyad pourrait mobiliser ses alliés du Golfe pour réduire leur coopération dans la lutte antiterroriste, surtout que ces derniers font partie de la coalition internationale qui combat Daech en Syrie et en Iraq sous la conduite des Etats-Unis.

Faisant front uni avec Riyad, les monarchies du Golfe n’ont pas tardé à manifester leur colère. Et pas seulement les pays du Golfe. Samedi, la Turquie, alliée de Riyad qui entretient déjà des relations tendues avec Washington, a vivement critiqué la décision du Congrès, la qualifiant de « malheureuse ». Dans les craintes de perdre Riyad et ses alliés, un groupe de 28 sénateurs, Démocrates et Républicains, a appelé le Congrès à travailler d’une manière constructive pour atténuer les conséquences de la loi. « Les sénateurs américains ne veulent pas perturber leurs relations avec Riyad et ses alliés : ce qu’ils veulent c’est de faire pression sur la puissance sunnite, c’est pourquoi ils laissent la porte entrouverte. Au cas où Riyad accepterait les conditions américaines, ce vote pourrait être annulé », prévoit Dr Kazziha. Un jeu bien risqué comme l’a qualifié le journal américain New York Times, qui a qualifié l’Arabie saoudite de partenaire difficile : « Le désir d’aider les familles du 11 septembre est compréhensible et le projet de loi était adopté. La question est : A quel prix ? », s’interroge le journal. Même si l’Arabie saoudite rendrait le coup à Washington, cela ne va pas changer la réalité amère que la puissance sunnite serait confrontée les jours à venir à tout un déluge de défis économiques et politiques qui pourraient jouer en faveur de son rival chiite, l’Iran .

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