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Ukraine-Russie : Regain de tension

Sabah Sabet avec agences, Lundi, 15 août 2016

La crise entre l'Ukraine et la Russie a repris de plus belle. Craignant une reprise du conflit en Crimée, la communauté internationale a appelé les deux pays à éviter toute escalade.

La péninsule ukrainienne de Crimée, annexée par Moscou en 2014, est au coeur d’un brusque regain de tensions entre l’Ukraine et la Russie. Cette dernière a déployé cette semaine des systèmes de défense antiaérienne et antimissile dernier cri S-400S Triumph sur la base russe située en Crimée. Ce déploiement était attendu, un haut responsable russe ayant annoncé le mois dernier l’installation en août d’un S-400 en Crimée. Mais il intervient à un moment où le ton est monté entre Moscou et Kiev, avec les accusations les plus graves échangées depuis des mois entre les deux voisins. Les services de renseignements russes (FSB) ont accusé Kiev, la semaine dernière, d’avoir envoyé en Crimée des groupes de « saboteurs-terroristes ». Les FSB ont affirmé mercredi dernier avoir arrêté des « saboteurs-terroristes » ukrainiens chargés de commettre des attentats, à l’issue d’affrontements armés ayant fait deux morts : un agent du FSB et un militaire russe. Le président Vladimir Poutine a aussitôt accusé les autorités ukrainiennes d’être « passées à la terreur » dans le but de déstabiliser la Crimée. Le premier ministre russe, Dmitri Medvedev, a estimé qu’il s’agissait là d’un « crime contre la Russie et le peuple russe » et a affirmé que le président Vladimir Poutine pourrait rompre les relations diplomatiques avec l’Ukraine s’il n’y avait pas d’autres « moyens d’influer sur la situation ».

Kiev, qui a placé ses troupes en état d’alerte rouge le long de la ligne de démarcation avec la Crimée et dans l’Est, a rejeté ces accusations et estimé qu’elles servaient de « prétexte à de nouvelles menaces militaires ». « L’ennemi prévoit des provocations de masse le long de la ligne de front dans l’est de l’Ukraine, qui seront suivies d’accusations selon lesquelles la partie ukrainienne ne respecte pas les accords de Minsk », a répliqué vendredi dernier le ministère de la Défense. Poutine a jugé que, dans ce contexte, une nouvelle rencontre prévue pour début septembre au « format Normandie », c’est-à-dire avec le président ukrainien, Petro Porochenko, le président français, François Hollande et la chancelière allemande, Angela Merkel, n’avait « aucun sens ». C’est par cette médiation qu’avaient été conclus en février 2015 les accords de Minsk pour un règlement politique du conflit, qui n’ont abouti jusqu’à présent qu’à une baisse d’intensité des combats dans l’est de l’Ukraine.

Inquiétude internationale
Ce regain de tensions, l’un des plus forts depuis l’éclatement de la crise entre Kiev et Moscou, qui a pris des airs de guerre froide, inquiète fortement la communauté internationale. Les Etats-Unis ont appelé les deux camps à éviter toute « escalade ». Le ministre français des Affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault, a également souligné « l’importance pour l’Ukraine et la Russie de résoudre, par le dialogue, les récentes tensions au sujet de la situation en Crimée ». C’est « un nouveau pas qui s’éloigne de la résolution politique et un pas vers la logique d’un affrontement militaire », a déclaré de son côté à l’AFP le représentant spécial du gouvernement allemand pour la Russie, Gernort Erler. « Tout cela est très alarmant », a-t-il ajouté.

Dans ce contexte, l’Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe (OSCE), qui surveille l’évolution de la situation en Ukraine, a annoncé vendredi avoir augmenté le nombre de ses observateurs au niveau de la frontière avec la Crimée. Car la communauté internationale craint que Moscou ne saisisse cette dernière crise pour déclencher une opération militaire et créer un couloir terrestre entre la Russie et la Crimée.

Cité par l’AFP, le politologue Alexandre Baounov, du centre Carnegie de Moscou, tempère toutefois. Il estime qu’une telle hypothèse « contredit la logique » actuelle de la Russie qui, « fragilisée par une crise économique, souhaite normaliser ses relations avec les Occidentaux et voir levées les sanctions européennes et américaines ». Selon lui, le Kremlin semble surtout chercher un nouveau levier pour peser davantage sur les négociations en vue du règlement de la crise ukrainienne, au point mort depuis la conclusion des accords de Minsk en février 2015. « La Russie est clairement en train d’utiliser ce qui s’est passé en Crimée pour souligner auprès des Occidentaux que les dirigeants ukrainiens refusent tout compromis », estime M. Baounov à l’AFP.

Côté ukrainien, recourir à la force militaire pour récupérer la Crimée est illusoire, soulignent les experts. « La dégradation de la situation n’est pas dans l’intérêt du gouvernement ukrainien », insiste Vadym Karasyov, directeur de l’Institut des stratégies mondiales à Kiev, également cité par l’AFP. Pourtant, pour la première fois en deux ans dans la capitale ukrainienne, « on a recommencé à parler de l’éventualité d’une guerre », remarque Volodymyr Fesenko, à la tête du centre d’études politiques Penta. Pour M. Baounov, le brusque regain de tension peut permettre à Kiev de remettre la Crimée au coeur des négociations, alors que les Occidentaux concentrent leurs efforts sur le conflit dans le Donbass, dans l’est de l’Ukraine. « Moscou a réussi assez rapidement à séparer les questions du Donbass et de la Crimée », souligne le politologue, avant d’ajouter : « Le moment où ces deux questions peuvent être de nouveau liées pourrait s’envoler à jamais ».

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