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Turquie : Erdogan renforce son pouvoir

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 23 mai 2016

Binali Yildirim, fidèle allié du président turc Recep Tayyip Erdogan, a été élu dimanche à la tête de l'AKP et consacré nouveau premier ministre, renforçant la mainmise d'Erdogan sur le pays.

Turquie : Erdogan renforce son pouvoir
La nouvelle alliance Erdogan-Yildirim ouvre la voie à une présidentialisation du régime. (Photo:Reuters)

Sans surprise, le ministre turc des Transports, Binali Yildirim, (60 ans), fidèle compagnon de route du président Recep Tayyip Erdogan, a été désigné, dimanche, pour succéder au premier ministre, Ahmet Davutoglu, à la tête du parti au pouvoir et du gouvernement lors d’un congrès extraordinaire du Parti de la justice et du développement (AKP). Ministre sans discontinuer depuis 2002, M. Yildirim a été le maître-d’oeuvre des grands projets d’infrastructure voulus par M. Erdogan. Désormais, il aurait la tâche de former son nouveau gouvernement dont la priorité sera le passage à un système présidentiel que le président appelle de ses voeux.

En effet, le choix de Yildirim était largement prévisible, puisque M. Davutoglu avait été évincé il y a deux semaines — sur fond de divergences avec Erdogan — pour être remplacé par un premier ministre plus « docile » qui serait plutôt une « marionnette » entre les mains du président. Immédiatement après sa nomination, M. Yildirim a prêté allégeance à son « maître » : « Notre chemin est celui de notre chef Erdogan. Ce que nous devons faire c’est une nouvelle Constitution et un système présidentiel », a-t-il affirmé. Aux antipodes de Davutoglu qui tentait de freiner le projet de présidentialisation du régime, Yildirim, l’un des plus fidèles à Erdogan, va se déployer à soutenir ce projet pour prouver au président sa loyauté afin de ne pas subir le sort de son prédécesseur.

Depuis 2002, Yildirim ne s’est jamais écarté de la ligne tracée par son maître. Sa première mission consisterait désormais à piloter la présidentialisation du régime que son maître appelle de ses voeux. « Je pense qu’un régime présidentiel se profile à l’horizon en Turquie : Erdogan va devenir très prochainement un monarque absolu : Il sera l’unique maître de la Turquie », affirme Dr Norhane Al-Sayed, professeure de sciences politiques à l’Université du Caire. Ses prévisions d’experte ont une bonne part de crédibilité car le chef turc n’a pas tardé à dévoiler ses plans, juste après l’éviction de Davutoglu et même avant la nomination de son nouveau premier ministre. « La réforme constitutionnelle visant à présidentialiser le régime doit être soumise rapidement à un référendum. Une nouvelle Constitution et un système présidentiel sont une nécessité urgente », a-t-il affirmé.

Pour faire ce changement de la Constitution, il y a deux manières : soit par un vote du parlement à une majorité des deux tiers (367 voix sur les 550 du parlement), soit en convoquant un référendum, et dans ce cas, 330 voix seulement sont requises, alors que l’AKP ne possède que 317 voix au sein du parlement. « Erdogan va se déployer à rallier les 13 députés qui lui manquent pour aboutir au chiffre de 330 et convoquer un référendum le plus vite possible », prévoit Dr Norhane Al-Sayed.

Question kurde
Outre la présidentialisation du régime, l’arrivée à la tête du gouvernement d’un homme si dévoué au président permettrait à ce dernier d’asseoir son autorité sur l’exécutif et tourner la page de Davutoglu avec lequel des divergences ont brusquement émergé, notamment sur la reprise des négociations avec le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK). Alors que M. Davutoglu était partisan d’une reprise des négociations avec les rebelles pour mettre fin aux bains de sang, Erdogan était, lui, partisan d’une solution militaire. Défendant la ligne dure fixée par son chef contre les Kurdes, M. Yildirim a affirmé dans son discours dimanche que « les opérations militaires ne cesseront plus tant que la sécurité des citoyens ne sera pas restaurée ».

Soucieux de casser l’épine kurde pour paver le chemin à la présidentialisation du régime, le parlement turc a adopté vendredi un amendement constitutionnel, dont M. Erdogan est à l’origine, levant l’immunité des députés pro-kurdes du parti HDP. Ce vote ouvre la voie à des poursuites contre 138 députés, dont la plupart des députés kurdes, surtout les deux coprésidents du parti, Selahattin Demirtas et Figen Yuksekdag, qui risquent des poursuites judiciaires pour collusion avec le PKK. « La levée de l’immunité du HDP n’est qu’une carte de pression sur les députés kurdes pour les obliger à laisser passer l’amendement de la Constitution. Le président pense qu’il casse ainsi l’épine des Kurdes, mais au contraire, il ne fait que mettre de l’huile sur le feu car l’histoire nous apprend que les Kurdes ne cèdent jamais le pas. Ils sont intransigeants et incassables. Ils vont envenimer son existence », analyse Dr Norhane Al-Sayed, selon qui, le chef turc ne fait que noyer son pays dans l’anarchie, car déjà la Turquie est menacée par nombre de défis : menace de Daech, reprise du conflit kurde et extension de la guerre en Syrie à sa frontière. Parlant politique étrangère, ce changement à la tête du pays suscite une forte inquiétude en Europe, où M. Davutoglu, artisan côté turc de l’accord sur les migrants du 18 mars, était perçu comme un interlocuteur fiable. « A la lumière de ces évolutions, l’accord migratoire serait menacé car M. Yildirim est un novice sur les questions de politique étrangère. Il n’est pas une figure connue en Europe et Erdogan ne cesse de plonger dans l’incertitude un accord d’exemption de visa pour les citoyens turcs voulant se rendre dans l’espace Schengen, de quoi menacer de plus en plus l’avenir de l’accord », prévoit l’experte.

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