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Tensions toujours vives

Maha Al-Cherbini avec agences, Mardi, 01 décembre 2015

La Turquie prône l'apaisement mais Moscou, après son jet abattu, riposte par une série de représailles économiques à l'encontre d'Ankara.

Loin de connaître l’accalmie, la crise entre Ankara et Moscou a pris de l’ampleur cette semaine avec une série de représailles russes contre la Turquie. Excluant toute confrontation militaire avec Ankara, Moscou a adopté samedi un ensemble de sanctions économiques contre la Turquie : interdiction pour les employeurs russes d’embaucher des travailleurs turcs, inter­diction des importations de certaines marchan­dises turques et limitation des organisations sous juridiction turque ayant leurs activités en Russie. Les mesures contenues dans le décret signé samedi par le président russe, Vladimir Poutine, concernent aussi bien le commerce que l’emploi de main-d’oeuvre ou le tourisme, des secteurs dans lesquels les liens entre les deux pays sont nombreux.

Durcissant ses représailles contre Ankara, Moscou a rétabli l’obligation de visas pour les Turcs à partir du 1er janvier. Cette annonce intervient au lendemain d’un appel du ministère russe des Affaires étrangères à tous les Russes se trouvant en Turquie à rentrer, en raison de « l’actuelle menace terroriste en Turquie ». Une mesure qui pourrait priver la Turquie, destina­tion favorite des Russes, de plus de trois mil­lions de touristes par an.

Sur le front populaire, la colère n’est pas moindre en Russie. Cette semaine, des cen­taines de manifestants ont jeté des pierres et brisé des vitres de l’ambassade de Turquie à Moscou, en criant des slogans hostiles à Erdogan. De jeunes militants pro-Kremlin ont déposé un cercueil avec une poupée à l’effigie du président turc près de l’ambassade de Turquie à Moscou, alors qu’une autre poupée représentant le dirigeant turc a été brûlée en Crimée.

Risquant de payer lourd son attaque contre un jet russe, Ankara joue la carte de l’apaise­ment. Samedi, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, s’est dit « attristé » par l’incident aérien, affirmant qu’il aurait « préféré que cela n’arrive pas ». « Je ne voudrais pas que ce problème nuise à nos relations », a affirmé le chef turc, assurant que l’armée turque n’avait pas « délibérément abattu l’avion russe ». Parallèlement, le premier ministre turc, Ahmet Davutoglu, a affirmé que son pays allait « tra­vailler » avec la Russie pour « apaiser les tensions ». « La Turquie ne veut pas que ses relations avec une grande puissance comme la Russie soient affectées par cet incident. Elle a intérêt à contenir la crise pour ne pas perdre économiquement et politiquement », explique Dr Hicham Ahmed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire.

Divergences entre les deux pays

Pourtant, l’incident a, bel et bien, pris de l’ampleur en raison des divergences entre les deux pays sur deux dossiers importants : le dossier syrien et la lutte contre Daech. « Les Turcs ont fait du départ de Bachar Al- Assad la condition sine qua non de toute solution au conflit, alors que les Russes constituent, avec l’Iran, son dernier soutien. C’est pourquoi Moscou est presque sûr que cet incident est délibéré de la part de la Turquie. Quant à la lutte contre Daech, la Russie a grand intérêt à en finir avec l’Etat Islamique (EI), car il y a au moins 2 000 Russes de la région du Caucase russe qui militent à côté de Daech. Si ces mili­tants reviennent en Russie, ils vont y commettre de graves troubles. C’est pourquoi Moscou frappe les djihadistes avec force. En revanche, la Turquie est laxiste dans sa guerre contre les djihadistes car elle a intérêt à se débarrasser des Kurdes, qui constituent l’ennemi de Daech. En frappant les djihadistes, Ankara rendra service aux Kurdes, ce qu’elle ne veut pas », explique Dr Ahmad.

Si l’accident a quand même pu faire craindre une menace sur la paix entre la Turquie et la Russie, les deux pays très liés économique­ment n’ont pas intérêt à rompre leurs relations. La Turquie se procure 60 % de son gaz en Russie et étant donné la situation économique du pays, Moscou peut difficilement renoncer à ce débouché. Il y a un an, Vladimir Poutine était à Ankara pour bâtir un partenariat straté­gique avec la Turquie. Les deux pays sont condamnés à s’entendre avec des intérêts éco­nomiques qui devront prévaloir aux diver­gences politiques.

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