Quel est le poids actuel des Talibans dans l’équation politique afghane ? Seraient-ils à même de reprendre le pouvoir après le retrait complet des troupes américaines fin 2016 ? L’occupation surprise par les Talibans de la ville de Kunduz, important verrou stratégique dans le nord afghan, inquiète. Même si la ville a été reconquise par les forces afghanes — soutenues par l’Otan et les Américains — au terme de combats intensifs, nul ne peut nier qu’il s’agit d’une évolution inquiétante : c’est la première fois depuis la chute des Talibans il y a 14 ans qu’ils conquièrent une telle ville. Par ailleurs, les forces afghanes n’ont pu les déloger qu’avec l’appui des Occidentaux.
Ce coup de force taliban divise les analystes quant au poids actuel des rebelles : les uns estiment que les insurgés pourraient facilement s’emparer du pouvoir à l’aube de 2017 après le départ de toutes les troupes américaines. Mais d’autres constatent que les Talibans sont de plus en plus divisés, notamment face à l’avancée de Daech qui ne cesse de recruter parmi les Talibans mécontents du successeur du mollah Omar, le mollah Akhtar Mansour.
Victoire importante quoique temporaire
Loin de ces pronostics, une chose semble sûre : même si les forces afghanes ont repris Kunduz aux Talibans après quatre jours de combats, l’occupation de cette ville stratégique « en seulement quelques heures » restera, dans tous les cas, un grave revers pour le président afghan, Ashraf Ghani, en place depuis un an, mais aussi un désastre pour les Etats-Unis qui ne sont jamais parvenus à mettre fin à la dissidence talibane.
« Il s’agit d’un important revers pour les autorités afghanes et pour Washington qui a insisté à retirer la plupart de ses troupes, laissant des forces afghanes faibles et mal formées face à des Talibans incassables », estime Walid Kazziha, professeur de sciences politiques à l’Université américaine du Caire. Qui plus est, ce coup de force des Talibans s’inscrit aussi dans une autre lutte pour le pouvoir : « celle qui oppose les Talibans et Daech qui tente de s’implanter en Afghanistan », ajoute le professeur.
Dans le même temps, la prise de Kunduz, quoique temporaire, constitue une « première grande victoire » pour le mollah Mansour, nommé cet été après l’annonce de la mort du mollah Omar, et dont l’autorité avait depuis été mise à mal par des divisions internes. Si quelques Talibans ont pu prendre Kunduz aussi facilement, qu’est-ce qui les empêchera de faire de même avec les autres villes ?
Selon les analystes, la perspective d’un retour au régime taliban s’impose désormais avec force : « Kunduz est un test, et les Talibans peuvent tout à fait reprendre le pouvoir à l’aube de 2017. Si cette fois-ci, ils se sont retirés, c’est parce que les Etats-Unis et les forces de l’Otan sont intervenus pour prêter secours aux forces afghanes. Mais ils ont tout de même prouvé leur puissance face à leurs trois ennemis : Daech, Washington et le pouvoir afghan. La facilité avec laquelle ils ont pris la ville jette la lumière sur leur puissance face à la fragilité des forces gouvernementales », poursuit Kazziha.
Face à la débâcle des troupes afghanes, des soldats allemands, américains et britanniques des forces spéciales ont été envoyés à Kunduz, et l’armée américaine a procédé pour la première fois depuis fin décembre à plusieurs frappes aériennes pour contenir la progression des insurgés. Cette intervention sans précédent de la part de l’Otan, dont les 13 000 soldats sont censés être cantonnés à un rôle de « conseil et de formation », prouve la gravité de la situation.
Selon les experts, les Etats-Unis sont intervenus pour sauver Kunduz, car cette défaite ravive le souvenir amer de la chute de Mossoul, deuxième ville d’Iraq, en juin 2014, lorsque la ville était tombée en quelques heures aux mains de Daech. « Dès 2017, l’avenir de l’Afghanistan ne va plus intéresser Barack Obama dont la nouvelle politique est de se retirer complètement de tous les points chauds qui coûtent cher à son pays. Washington veut se retirer du Moyen-Orient où il a essuyé des échecs foudroyants. Le cas de l’Iraq et de l’Afghanistan en sont les meilleures preuves. Dernière preuve de cette passivité américaine : l’Administration américaine a accepté facilement l’intervention militaire de la Russie en Syrie », reprend Kazziha.
Désormais, le pire est à craindre pour le « cimetière afghan ». Les Talibans semblent décidés à prouver leur poids sur la scène afghane : ils ont déjà lancé de féroces offensives sur les provinces de Baghlan et Takhar, voisines de Kunduz. « Notre retraite de Kunduz fait partie de notre stratégie. Notre but était de montrer notre force, et nous avons réussi. Kaboul n’est qu’à 340 km de Kunduz. Si nous avons réussi à prendre Kunduz, Kaboul ne sera pas plus difficile à prendre », a menacé un chef taliban.
Lien court: