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Le pari risqué d’Erdogan

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 24 août 2015

Le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a fixé la date du 1er novembre prochain pour des législa­tives anticipées, alors que le spectre d’un conflit national majeur se profile à l’horizon.

Le pari risqué d’ErdoganEn
En un mois, les violences entre l'armée et le PKK ont fait 53 morts parmi les soldats turcs et 800 parmi les rebelles. (Photo:Reuters)

1er novembre. Telle est la date fixée par le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pour effectuer des législatives anticipées après l’échec des négociations visant à former un gouvernement de coalition à l’issue du scrutin du 7 juin dernier. En effet, ce scrutin anticipé était le rêve d’Er­dogan, avide de pouvoir, qui ne s’est même pas pris la peine d’attendre la date butoir du 23 août pour fixer la date des nouvelles législatives où il aspire à briguer la majorité absolue. « La Turquie va revoter pour de nou­velles législatives le 1er novembre. Je compte sur la volonté du peuple pour sortir le pays de l’impasse », a affir­mé Erdogan dont la majorité parle­mentaire n’est qu’un moyen de réali­ser son vrai dessein : présidentialiser le régime. « Le président doit avoir une autorité propre. Maintenant, ce qu’il faut faire, c’est s’adapter à cette situation et l’inscrire dans le cadre de la Constitution », a déclaré Erdogan, provoquant l’ire de ses opposants.

Rejetant ce scrutin anticipé y voyant une initiative de « prise du pouvoir », l’opposition a estimé que le président avait joué sur la peur et l’instabilité croissante pour obtenir un nouveau scrutin. Dimanche, le chef du principal parti de l’opposition (CHP), Kemal Kiliçdaroglu, a accusé le président de préparer un « coup d’Etat civil », dans une allusion aux trois coups d’Etat militaires qui ont émaillé l’histoire récente de la Turquie (en 1960, 1971 et 1980). Furieux, le leader pro-kurde, Selahattin Demirtas, a estimé de sa part qu’au scrutin anticipé « ce sont encore les partis en faveur de la paix qui vont gagner », en allusion à son parti (HDP) qui a obtenu 13 % des voix en juin dernier et a privé l’AKP de majorité : « L’AKP ne va pas réus­sir à regagner les voix qu’il a récol­tées au dernier scrutin », a prédit Demirtas.

En fait, les pronostics de Demirtas ont une bonne part de crédibilité. L’AKP pourrait essuyer un nouveau revers aux urnes en novembre pro­chain, selon certains analystes. « Rien n’a changé pour le peuple turc. Erdogan reste un leader corrompu et un dictateur. Les élections anticipées pourraient être pires pour l’AKP qui est de plus en plus impopulaire à cause des dérives autoritaires de son leader, de ses faillites économiques et aussi de son offensive contre les Kurdes. En novembre, l’AKP pourrait encore perdre plus de voix », prévoit Dr Mahmoud Farag, expert politique. En revanche, d’aucuns pensent qu’Er­dogan pourrait remporter un meilleur score début novembre, car en laissant le pays sans gouvernement deux mois et demi, il a réussi à déformer l’image de l’opposition et a ravivé dans les mémoires les souvenirs des gouver­nements de coalition des années 1990 avec tous leurs échecs.

Que va-t-il donc se passer en Turquie d’ici au 1er novembre ? Selon la Constitution, un gouverne­ment transitoire doit être composé des représentants de chacun des trois par­tis qui siègent au parlement. La Turquie n’avait pas eu recours à un tel cas depuis 1971. Dans une tentative d’avorter la manoeuvre du président, les trois partis d’opposition ont balayé toute participation à ce gouverne­ment : (CHP, deuxième force au par­lement), (MHP, troisième force) et surtout (HDP, pro-kurde et bête noire de l’AKP).

Tension avec les Kurdes
Parallèlement à cette impasse poli­tique, la violence se poursuit de plus belle sur le terrain. Depuis un mois, la Turquie vit une escalade de la vio­lence entre l’armée et le PKK. Officiellement, Ankara a lancé une « guerre contre le terrorisme », contre Daech et les rebelles kurdes, mais dans les faits, l’aviation turque concentre ses frappes sur le PKK. En réponse, les rebelles kurdes ont rompu un cessez-le-feu conclu en 2013 et repris les armes, rappelant « la sale guerre » des années 1990. Ce qui ressuscite dans les mémoires le cauchemar d’un conflit kurde qui a fait plus de 40 000 morts en trois décennies. Dernier épisode de cette confrontation : deux soldats turcs et un policier ont été tués lundi dernier dans des heurts avec les Kurdes, por­tant à 53 le nombre des soldats tués en un mois, outre les 800 rebelles qui ont aussi trouvé la mort lors d’une offen­sive militaire qui risque d’enfoncer le pays dans une guerre civile. Ces évo­lutions inquiétantes imposent à l’es­prit la question la plus épineuse : quel est l’enjeu de cette opération militaire dans un pays en proie à une impasse politique et économique ? Selon les analystes, en jouant sur la fibre natio­naliste et en entraînant les Kurdes dans une guerre, Erdogan espère obtenir un effritement de la popularité du Parti démocratique du peuple (HDP, pro-kurde) accusé d’être proche du PKK, et remobiliser ainsi les nationalistes vers l’AKP. Pour se disculper aux yeux du peuple et avor­ter du même coup la manoeuvre du président, le chef du HDP a demandé aux rebelles du PKK de déposer les armes sans condition, estimant que le pays est confronté à « un risque réel et sérieux de guerre civile ».

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