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Afghanistan : Démonstration de force des Talibans

Maha Al-Cherbini avec agences, Lundi, 10 août 2015

L'Afghanistan s'enfonce dans un nouveau cycle de violence qui risque de compromettre les futures négociations de paix entre les Talibans et le pouvoir afghan.

La nouvelle vague de violence talibane étouffe l
La nouvelle vague de violence talibane étouffe l'espoir de la paix dans son berceau. (Photo: AP)

Un pas en avant, deux en arrière. Telle est la devise qui s’applique le mieux au « bourbier afghan » qui ne sort d’un gouffre que pour tomber dans un précipice plus profond depuis la chute du régime taliban en 2001. Alors qu’une lueur d’espoir se profilait à l’horizon ces dernières semaines suite aux négociations de paix engagées entre les Talibans et le gouvernement afghan, le pays s’en­lise de nouveau dans une vague de violence sanglante, une semaine après la nomination du mollah modéré Akhtar Mansour à la tête des Talibans en remplacement du mollah Omar, leader historique des insurgés.

Pas un jour, ou presque, ne passe sans attentats. Il s’agit d’une évolu­tion décevante, car les experts s’at­tendaient à ce que la nomination du mollah Mansour — connu par son pragmatisme et son ouverture au dialogue — donne un nouvel élan aux pourparlers de paix. Or, aux antipodes de tous les pronostics, le pays n’a fait que sombrer dans l’anarchie depuis sa nomination. En une semaine, la violence a atteint un chiffre record : 3 attaques san­glantes ont secoué Kaboul faisant plus de 72 morts et des centaines de blessés, le bilan le plus lourd dans la capitale afghane depuis la fin de la mission de combat de l’Otan en décembre dernier. Dimanche, au moins 21 personnes ont été tuées dans un attentat revendiqué par les Talibans dans le nord du pays. Les jours précédents, une attaque avait visé une base militaire américaine à Kaboul (9 civils employés par la mission de l’Otan tués), un attentat suicide s’était produit devant une académie de police de Kaboul, (20 morts parmi les cadets), alors qu’un autre attentat au camion piégé a dévasté un quartier résidentiel du centre de Kaboul (15 morts).

« Cette nouvelle vague d’atten­tats est une tactique utilisée par la nouvelle direction des Talibans pour montrer qu’ils sont toujours opérationnels. C’est une démons­tration de force », a jugé Abdul-Hadi Khaled, un expert afghan en sécurité. Par ces attaques, les insur­gés démontrent leur force et leur capacité à s’attaquer à l’appareil sécuritaire au coeur de la capitale afghane. Selon le groupe de réflexion International Crisis Group (ICG), les Talibans ont délaissé les tactiques de guérilleros qu’ils utilisaient lorsque l’Otan était encore en mission de combat pour s’attaquer directement aux forces afghanes. « Ils sont désor­mais beaucoup plus audacieux », relève l’ICG. De quoi expliquer l’augmentation du nombre de vic­times au sein de l’armée, de la police et aussi des civils. « Les froides statistiques concernant les victimes civiles ne traduisent pas toute l’horreur de la violence en Afghanistan, les corps déchiquetés des enfants, des mères, des filles, des fils et des pères », a déploré le chef de la mission de l’Onu en Afghanistan (Unama), Nicholas Haysom.

Les Talibans divisés ?
Or, la question qui se pose aujourd’hui est : pourquoi les Talibans — en pleines discussions avec le pouvoir — déclenchent-ils une telle vague de terreur de par le pays ? Selon les experts, la réponse à cette question semble inquiétante, car ce regain de tension ne pourrait être expliqué que par une division dans les rangs des insurgés. En fait, ces dissensions entre les rebelles étaient largement prévues après la mort du mollah Omar, d’aucuns refusant de faire allégeance au mol­lah Mansour pour sa trop grande proximité avec le Pakistan. « Le mollah Mansour est considéré comme l’homme du Pakistan, c’est ce qui explique les différends au sein du leadership des Talibans », a affirmé un cadre de la rébellion, dont certains commandants accu­sent aussi Mansour d’avoir été cou­ronné au terme d’un processus de désignation expéditif et d’avoir menti pendant deux ans sur l’état de santé du mollah Omar qui s’est éteint en 2013, préférant la nomina­tion de son fils aîné, Yacoub (26 ans). « Le mollah Omar est mort et, avec lui, l’unité des Talibans afghans », déplorent les experts. Signe de cette discorde croissante au sein de la rébellion islamiste : Tayeb Agha, chef du bureau poli­tique installé au Qatar en 2013, a annoncé cette semaine sa démis­sion. « Je ne vais plus être impliqué dans la dispute actuelle au sein des Talibans », a-t-il affirmé.

Alors que les Talibans s’entre-déchirent et que le rêve de la paix s’évanouit dans le tourbillon de la violence, quel avenir attend les pourparlers entre Talibans et pou­voir afghan ? Déjà, une bonne partie des Talibans sont opposés à ces pourparlers de paix entamés il y a un mois avec le gouvernement afghan. Selon les analystes, cette amorce de dialogue inédite semble être le dossier brûlant dont hérite le mollah Mansour. Après un premier cycle de pourparlers organisé début juillet au Pakistan, une deuxième rencontre, qui devait avoir lieu la semaine dernière, a été reportée sine die après l’annonce de la mort du mollah Omar. Un report qui peut durer longtemps tant que les Talibans n’arrivent pas à un mini­mum d’unité. Désormais, il est diffi­cile d’imaginer les Talibans retour­ner rapidement à la table des négo­ciations, de quoi étouffer le rêve de paix dans son berceau. Selon le chef de l’armée pakistanaise, le général Raheel Sharif, les pourparlers res­tent, pourtant, la « seule option cré­dible » pour ramener la paix dans la région et il faut tout faire pour rame­ner les rebelles à la table des négo­ciations.

Les victimes afghanes en chiffres


Selon le rapport semestriel de la mission de l’Onu en Afghanistan (Unama) publié cette semaine, le nombre de victimes civiles du conflit afghan a atteint un nouveau record dans la première moitié de 2015, qui marque la fin de la mission de combat de l’Otan. Entre le 1er janvier et le 30 juin, 1 592 personnes ont été tuées et 3 329 blessées dans des violences. Sans compter les victimes au sein de la police et de l’ar­mée afghanes qui doivent contenir seules une insur­rection s’étendant désormais à la quasi-totalité de l’Afghanistan. L’Unama a recensé une baisse de 6 % du nombre de tués par rapport au premier semestre 2014, mais une hausse de 4 % du nombre de per­sonnes blessées dans les combats entre les insurgés et les forces de sécurité afghanes, les attentats et les assassinats. Au total, le nombre de victimes du conflit a augmenté de 1 % par rapport à l’an dernier et s’éta­blit à 4 921 personnes tuées et blessées, soit le chiffre le plus élevé depuis 2009, année du début de la com­pilation de ces statistiques, et de la nouvelle flambée des violences en Afghanistan. Plus inquiétant encore, le nombre de femmes victimes des violences a aug­menté de 23 % et celui des enfants de 13 %. Les combats au sol entre les insurgés et les forces de sécurité afghanes sont la première cause de décès et de blessures infligés aux civils afghans, selon le docu­ment qui note que 70 % des blessures et des décès sont le fait des insurgés. Les chiffres de l’Onu reflè­tent également une propagation des combats à tout l’Afghanistan. Si le sud et l’est du pays, bastions des Talibans, sont de loin les régions les plus touchées par les violences, les attentats se sont multipliés ces der­niers mois dans le nord et le nord-est, des zones autrefois relativement stables .

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