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Des relations millénaires

Dalia Farouq , Samedi, 18 novembre 2023

L’Egypte a maintenu depuis l’antiquité des relations étroites avec la Palestine, en raison de leur proximité géographique.

Des relations millénaires
Bataille de Megiddo (XVe siècle av. J.-C.), gravée sur l’une des parois des temples de Karnak.

La relation entre l’Egypte et la Palestine est depuis l’antiquité autant complexe que variée. Elle reflète une longue histoire d’interactions politiques, économiques, culturelles et militaires. En effet, ce sont les relations commerciales qui ont amorcé ce lien ininterrompu entre les deux pays. A l’époque prédynastique, le commerce avec la Palestine était connu. Le cuivre, le bitume, les poteries étaient en tête de liste des produits qui y étaient importés. « Ces échanges avaient lieu à travers des caravanes le long de la route du nord du Sinaï, connu plus tard par la route d’Horus », explique Alaa Chahine, ancien doyen de la faculté d’archéologie de l’Université du Caire, soulignant que ce commerce est attesté sur les parois des tombes d’Abydos. Selon Chahine, ces relations se sont renforcées aux IVe et IIIe millénaires av. J.-C. et ce n’est qu’avec la chute de l’Ancien Empire que les rapports entre l’Egypte et la Palestine ont été interrompus pendant plusieurs siècles. « Ces relations ont connu une évolution plus tard dans la période du Moyen Empire lorsque les contacts égypto-palestiniens sont devenus plus réguliers surtout avec la naissance de la civilisation de Canaan, qui était le nom de la Palestine en ce temps », ajoute-t-il.

D’après Chahine, l’influence de l’Egypte sur Canaan à cette époque était bien connue, même si la région ne lui était pas soumise. Il n’y avait pas de présence palpable des Egyptiens mais seulement des expéditions qui ont régulièrement eu lieu afin de stabiliser les frontières est du pays. Une stèle de Sarabit Al-Khadim, trouvée dans le sud-ouest du Sinaï, liste les membres d’une équipe égyptienne envoyée dans la péninsule pour exploiter le cuivre et la turquoise, dont le frère du prince de Réténou, l’actuelle Palestine, ce qui révèle une relation de vassalité vis-à-vis des rois d’Egypte. Selon l’historien français André Lemaire, dans son étude « Canaan à l’ombre des Pharaons », c’est l’Egypte qui exerçait le plus souvent son influence politique, directe ou indirecte, sur Canaan. Cependant, après le Moyen Empire, lors de la 2e période intermédiaire égyptienne (XVIIIe-XIXe dynasties), les Hyksos — population ouest-sémitique venant probablement de la Palestine — réussirent à dominer politiquement le delta du Nil, spécialement durant la XVe dynastie. A cette époque, la civilisation cananéenne était à son apogée.

Au Nouvel Empire, la relation dominant-dominé entre l’Egypte et Canaan allait à nouveau s’inverser. De nombreuses campagnes menées par les pharaons leur permirent de prendre le contrôle des petites cités de Canaan. Après avoir libéré l’Egypte des Hyksos, en particulier par la prise de leur capitale Avaris, l’actuel Tell Al-Dabaa vers 1525 av. J.-C., le pharaon Ahmosis réussit, après un siège de 3 ans, à s’emparer de Sharuhen, véritable capitale des Hyksos dans le sud de la Palestine. Quelque temps après, Thoutmosis Ier et III se lancèrent dans des campagnes militaires en Asie. Thoutmosis III remporta une grande victoire dans la bataille de Megiddo et Réténou tomba sous la domination égyptienne. Désormais, Canaan est devenue une colonie féodale sous l’emprise des pharaons. Chaque roi, ou roitelet, ou maire de ville, devait faire allégeance au Pharaon et tenir compte des exigences de ce dernier qui assurait aussi son pouvoir en envoyant un certain nombre de représentants sur place. Certaines plaines fertiles, comme la plaine de Yizréel, furent directement contrôlées et exploitées par l’administration égyptienne. En plus, certaines villes, telles que Gaza et Beth-Shéan, devinrent des villes de garnison avec une très forte présence et influence égyptiennes, tandis que, ici et là, furent érigés des temples dédiés à des divinités égyptiennes. De temps à autre, le Pharaon organisait une expédition militaire soit pour « pacifier » Canaan, soit pour affronter des ennemis.

Il y a aussi plusieurs références à des campagnes asiatiques d’Amenhotep II et de Thoutmosis IV. Cependant, c’est grâce aux fameuses lettres d’Al-Amarna, datant du règne d’Amenhotep III, qu’il y a des renseignements sur la situation de Canaan. Ces lettres diplomatiques révèlent un contexte international généralement pacifique avec des relations diplomatiques entre le roi de Babylone Kadashman-Enlil et Amenhotep III. C’est en effet le roi Séthi I qui fut le plus présent en Palestine. Il réprima une rébellion cananéenne dirigée par les villes de Hanath et Pella. Son successeur Ramsès II mena également des campagnes en Palestine. Des stèles funéraires ont commémoré ces campagnes, en particulier celles qui relatent comment Merneptah affronta, vers 1207 av. J.-C., une révolte cananéenne, il y apparaît, pour la première fois, le nom d’Israël.

De même, Ramsès III s’affronta durement avec les Peleset, un des peuples de la mer, et fit graver sur son temple une scène de cette bataille. A son tour, Sheshonq Ier attaqua, entre 950 et 900 av. J.-C., les principales cités du nord, ainsi que la partie montagneuse située juste au nord de Jérusalem. L’épisode est relaté sur un mur de Karnak. Selon l’archéologue Ahmed Amer, la profondeur des relations s’est traduite aussi sur les plans religieux et culturel, donnant l’exemple de la prolifération des noms des dieux et des déesses égyptiens sur la côte nord des villes du Levant. « De nombreuses femmes égyptiennes portaient le nom de Anat, une déesse cananéenne, que les Egyptiens considéraient comme une image de la déesse Hathor », indique-t-il, ajoutant qu’un temple égyptien a été découvert dans la ville de Byblos, l’actuelle Jébeil, datant du règne du roi Pépi II de l’Ancien Empire, où de nombreux objets antiques, y compris de petites pièces de monnaie, de poterie et de scarabées, ont été mis au jour. Selon lui, l’inspiration de l’art et de l’architecture égyptiens est aussi claire dans les bâtiments publics, les tombes et les temples. La tombe trouvée à Tell Al-Faraa (près de Gaza) en est la preuve puisqu’elle ressemble à celles de la IIe dynastie.


Stèle montrant les relations égypto-palestiniennes.

En outre, le partage des traditions et des expériences ne se limitait pas aux enterrements des individus, mais évoluait pour comprendre l’habitude d’enterrer les animaux sacrés, que ce soit chez les pharaons ou chez la population de la Palestine. En somme, la relation entre l’Egypte et la Palestine dans l’antiquité était principalement caractérisée par des interactions politiques et militaires, mais aussi économiques, religieuses et culturelles, qui ont façonné l’histoire des deux pays.

De l’Empire perse à l’avènement de l’islam

Au cours de l’époque perse, qui s’étend de 587 à 333 av. J.-C., d’autres peuples commencent à s’installer à Samarie au Levant, parmi lesquels les Edomites, les Ammonites et les Moabites. La situation économique n’étant pas très favorable en Palestine, beaucoup de juifs émigrent en Egypte. Une importante communauté juive se développe à Eléphantine en Egypte. Quand Alexandre le Grand vainc les Perses, il s’empare de Tyr et de Gaza en 332 av. J.-C., avant de pénétrer en Egypte où il fonde Alexandrie en 331 av. J.-C. La Palestine semble alors connaître un temps de paix, de nombreux Grecs s’y installent et leur culture influence profondément les domaines sociaux, philosophiques mais également religieux. La communauté juive devient minoritaire d’autant plus que de nombreux juifs partent par milliers s’installer dans les nombreuses cités de l’empire, depuis la mer Noire jusqu’à la mer Egée, mais surtout dans la nouvelle capitale d’Alexandrie.

En effet, les différentes administrations en Palestine étaient directement contrôlées par le gouvernement d’Alexandrie. Sous l’Empire romain (de 27 av. J.-C. à 476), comme sous celui byzantin (de 395 à 1453), tant l’Egypte que la Palestine étaient des provinces importantes, mais avec peu d’interactions politiques directes. Les deux régions partageaient cependant des aspects culturels et religieux, notamment à cause du christianisme qui s’était étendu en Egypte et en Palestine. Avec l’avènement de l’islam, l’Egypte et la Palestine sont devenues des parties intégrantes du monde musulman. Elles ont souvent été gouvernées par les mêmes dynasties, comme les Fatimides, les Ayyoubides et les Mamelouks.

En 1516, le sultan turc Sélim Ier conquiert la Palestine qui va devenir durant 4 siècles, jusqu’à 1917, une des provinces arabes de l’Empire ottoman. La Palestine connaît au XVIe siècle un bon développement économique. Les cités et lieux de cultes sont rénovés, toutes les communautés voient leurs populations croître. Quant à Napoléon Bonaparte, il passe par la Palestine après une courte présence en Egypte (1879-1801). La région subit une forte dépression économique, mais, à la fin du XIXe siècle, la Palestine redevient l’objet de convoitises, notamment européennes, et sa population voit l’arrivée massive des Arabes de Transjordanie à la suite des émigrations juives, tandis que la minorité chrétienne s’étend également. En 1831, Mohamad Ali conquiert la Palestine. En 1834, il y a une révolte contre l’administration égyptienne mais les Ottomans reprennent le pouvoir en 1840.

Un nouveau Moyen-Orient

Plus tard, le Suisse Henri Dunant (1828-1910), fondateur de la Convention de Genève et de la Croix-Rouge, crée, en 1866, la Société nationale universelle pour le renouvellement de l’Orient ayant pour but de créer une région neutre où se trouvent les lieux saints. C’est en 1881 que la première vague d’émigration juive commence. Ils viennent de Russie, de Roumanie et du Yémen, pour s’installer en Palestine. Le baron Edmond de Rothschild se met à acheter des terres en Palestine et finance le premier établissement « sioniste ». Pendant la Première Guerre mondiale (1914-1918), le Royaume-Uni, la France et la Russie planifient, clandestinement, le partage du Proche-Orient. Ils pensent que la Palestine est un cas particulier qui doit avoir un « statut international » en raison de l’existence des lieux saints. En 1916, l’accord Sykes-Picot retrace la nouvelle carte géopolitique du Moyen-Orient. La Palestine est définie comme zone internationale.

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