Mercredi, 24 avril 2024
Dossier > Banque Centrale d’Egypte >

BCE : Vers une nouvelle politique monétaire ?

Amani Gamal El Din , Mercredi, 24 août 2022

Après la démission du patron de la Banque Centrale d’Egypte, Tarek Amer, nommé conseiller présidentiel, quelles sont les perspectives de la politique monétaire et les défis auxquels sont confrontés les secteurs-clés de l’économie égyptienne ? Eléments de réponse.

BCE : Vers une nouvelle politique monétaire ?
(Photo : Reuters)

Moins d’une semaine après sa nomination, le gouverneur par intérim de la la Banque Centrale d’Egypte (BCE), Hassan Abdallah, se réunit ce mercredi 24 août avec les PDG des banques et les membres du parlement. Une réunion cruciale. Déjà, non sans grande surprise, le comité des politiques monétaires de la BCE, dans sa réunion du 18 août 2022, avait- maintenu les taux d’intérêt directeurs à 11,25% sur les dépôts et à 12,25% sur les crédits. Pour la première fois, les avis des experts avaient divergé avant cette décision. La plupart prévoyait une hausse de 100 à 200 points, surtout avec la hausse décidée par la Banque fédérale américaine. Alors que ceux qui prévoyaient une stabilisation des taux de change étaient peu nombreux.

La réunion du comité des politiques monétaires revêtait cette fois-ci un caractère différent du fait qu’elle intervenait au lendemain de la démission du gouverneur de la BCE, Tarek Amer, et la nomination d’un nouveau gouverneur par intérim, qui est Hassan Abdallah.

Le départ de Amer, nommé à la tête de la BCE en 2015, est intervenu un an avant la fin de son mandat en 2023 et après le remaniement ministériel de la semaine dernière. De même, il intervient à un moment très important en pleine négociation avec le Fonds Monétaire International (FMI) pour obtenir un nouveau prêt. Le premier ministre égyptien, Moustapha Madbouli, a déclaré lundi que le gouvernement est dans la phase finale des négociations avec le FMI. Ce dernier a appelé la BCE à annuler toutes les initiatives à faible taux d’intérêt, comme les prêts accordés aux Petites et Moyennes Entreprises (PME) et au secteur du tourisme, soulignant la nécessité de taux d’intérêt unifiés pour le marché bancaire. La question qui se pose dans un tel contexte est de savoir si ce changement à la tête de la BCE augure d’une nouvelle politique monétaire.

Les experts estiment que les politiques monétaires sont régies par des critères fixes, quelle que soit la présidence de la BCE. Aliaa Mamdouh, analyste en chef auprès de la banque d’investissement Beltone, estime que les politiques monétaires dépendent de certains déterminants comme l’inflation, la croissance et les pressions sur la monnaie locale.

L’inflation est le défi du nouveau gouverneur de la BCE et le plus débattu dans la rue égyptienne en raison de la hausse continuelle des prix. Les analystes prévoient un certain ralentissement de l’inflation après une décélération au niveau mondial. Hussein Suleiman, macroanalyste auprès du Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, affirme que le maintien des taux d’intérêt directeurs reflète un optimisme prudent vis-à-vis de l’inflation. Les prévisions affirment que celle-ci est sur le point d’atteindre un pic actuellement. Cependant, elle prendra une courbe descendante jusqu’à la fin de l’année courante. « Ce qui consolide la décélération de l’inflation est la hausse rapide et décisive des taux d’intérêt au cours des deux derniers mois aux Etats-Unis comme en Europe. De même, des accords ont été conclus avec l’Ukraine et la Russie sur le déblocage de certaines cargaisons de nourriture comme le blé et les engrais surtout, quitte à réduire relativement leurs prix », explique Hussein Suleiman. Donc, la décélération de l’inflation et la baisse des prix des biens alimentaires au niveau mondial en plus de la hausse des taux d’intérêt pourraient ralentir l’inflation en Egypte. Le taux d’inflation urbain en Egypte a atteint 13,6% en juillet contre 13,2% en juin. La banque d’investissement Beltone a souligné que les développements récents au niveau de l’inflation indiquent qu’elle est confinée dans une même fourchette depuis trois mois, ce qui réduit la nécessité d’augmenter les taux d’intérêt à l’heure actuelle. Hussein Suleiman ajoute qu’il serait prématuré de recommencer à augmenter les taux d’intérêt étant donné les variations des taux de change. La banque d’investissement Beltone prévoit une hausse de l’inflation à son plus haut niveau (16,5%) en août, et une moyenne de 15,5% au troisième trimestre 2022. Elle s’attend également à ce que l’inflation moyenne atteigne 13,7% en 2022.

Aliaa Mamdouh pense que la politique monétaire au cours de la prochaine période doit faire l’équilibre entre l’inflation et la croissance. « Le contrôle de l’inflation même aux dépens de la croissance est plus important », explique Mamdouh.

Nommé à la tête de la BCE en 2015, Tarek Amer a adopté une politique monétaire basée sur la maîtrise de l’inflation. La BCE fixait le taux d’inflation visé sur le court terme et l’annonce au public, afin de stabiliser les prix. Pour contrer l’inflation, Amer a utilisé l’arme des taux d’intérêt en alternant politiques monétaires restrictives (hausse des taux d’intérêt) et politiques expansionnistes. C’est pourquoi le milieu d’affaires, notamment l’Union des industries, a salué le départ de Amer de la BCE en réclamant des politiques monétaires nouvelles au cours de la prochaine période.

Pour sa part, Hussein Suleiman assure qu’il est possible de réaliser les deux objectifs, c’est-à-dire contrôler l’inflation et booster la croissance. « Les Etats-Unis sont agressifs dans le contrôle de l’inflation. En même temps, ils adoptent des politiques de stimulation de la croissance en offrant des paquets de stimuli et des crédits subventionnés », explique-t-il.

Une livre égyptienne encore volatile

Le troisième déterminant de la politique monétaire est le taux de change et la valeur de la monnaie nationale. Celle-ci s’échange actuellement à 19,14 L.E. contre le billet vert après avoir perdu 20% de sa valeur en mars dernier. C’est l’un des dossiers qui préoccupe non seulement les experts et les analystes, mais également la rue égyptienne qui craint une prochaine dévaluation de la monnaie et une nouvelle vague de hausse des prix. « Il y a des pressions sur la livre égyptienne, notamment le recul des ressources en devises étrangères à cause des séquelles de la guerre en Ukraine et les politiques monétaires restrictives au niveau mondial », indique Aliaa Mamdouh. Ces pressions ont entraîné la chute des réserves en devises qui sont passées à 33,1 milliards de dollars contre 40,9 milliards de dollars en janvier avant le déclenchement de la guerre.

Pour réduire les pressions sur la monnaie nationale, Tarek Amer avait imposé des restrictions sur les importations suscitant la colère du milieu d’affaires et des importateurs. Lundi dernier, l’Union égyptienne des industries a annoncé la révision d’une liste des biens d’équipements pour les exonérer de ces contraintes.

Selon Mamdouh, les taux de change bougeront au cours de la prochaine période mais graduellement jusqu’au niveau exigé par le FMI, afin d’obtenir un prêt qui permettra de combler les lacunes du financement. « L’une des demandes du FMI est d’adopter un taux de change flexible. L’économie ne peut pas supporter cela. Il faut donc une dépréciation dans les limites de 3 à 5 L.E. additionnelles et non pas de quelques piastres ou d’une livre. Mais je ne peux pas dire exactement à combien de livres le dollar sera échangé », explique l’analyste.

Pour sa part, Mohamed Shadi, macroanalyste auprès du Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, explique qu’il existe des solutions non traditionnelles pour alléger la pression sur la monnaie locale. Selon lui, un accord sera conclu avec la Chine et la Russie pour l’échange rapide des devises. « Au lieu d’acheter les produits et les entrants de la production en dollar, il sera possible d’échanger avec ces deux partenaires en L.E. en yuan et en rouble russe », assure l’analyste.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique