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Hani Guéneina : La BCE va continuer à garder le contrôle de l’inflation comme objectif de sa politique monétaire

Gilane Magdi , Mercredi, 24 août 2022

Hani Guéneina, ex-sous-gouverneur adjoint pour le développement bancaire au sein de la BCE et professeur à l’Université américaine, indique à l’Hebdo les défis de la politique monétaire et financière dans la période à venir

La BCE va continuer à garder le contrôle de l’inflation comme objectif de sa politique mon
Diminuer les dépenses sur les investissements publics est nécessaire pour restructurer le budget.

Ahram Hebdo : Comment jugez-vous les changements intervenus au cours de la semaine dernière, allant du remaniement ministériel jusqu’à la démission du gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte (BCE), Tarek Amer ?

Hani Guéneina: Le remaniement ministériel n’a compris que deux cabinets économiques seulement (le ministère du Commerce et de l’Industrie et celui du Secteur public des affaires) pour des raisons structurelles. Je pense que le changement le plus important et surprenant est la démission du gouverneur de la BCE, Tarek Amer, qui marque vraiment une tournure dans la politique du taux de change au cours de la prochaine période. Cette démission, qui précède d’une année la fin de son mandat, intervient dans un moment très sensible dans le dossier de négociations avec le Fonds Monétaire International (FMI) et signifie qu’il n’y avait pas de consensus entre Amer et le FMI sur la politique du taux de change. Amer a gardé le prix du dollar fixe aux alentours de 15,75 L.E. au cours des 4 dernières années, et il n’a pas voulu répéter le scénario de la libéralisation du taux de change. C’est pourquoi il a quitté son poste. La preuve en est que Hassan Abdallah, nommé gouverneur de la BCE par intérim, a rencontré Mahmoud Mohieddine, le responsable de la région MENA au sein du FMI, et le premier ministre au lendemain de la démission de Amer pour discuter ensemble des modalités du prêt.

— Cela signifie-t-il qu’il y aura sans doute un changement au niveau de la politique du taux de change au cours de la période à venir ?

— Bien sûr. Le dollar pourrait passer de 19,19 L.E. à 23 L.E. au cours des prochaines semaines. Ce qui prouve que ce pas est sur le point d’être franchi, c’est que la plupart des banques ont complètement cessé d’ouvrir des crédits documentaires aux clients au cours de la semaine dernière. L’objectif est de freiner l’importation et de geler la demande des importateurs pour apaiser les pressions sur le billet vert en cas de libéralisation de la monnaie nationale. Pour apaiser les répercussions de la hausse des prix du dollar sur l’inflation qui va poursuivre sa courbe ascendante jusqu’à la fin de l’année, la BCE pourrait augmenter les intérêts bancaires de 2 à 3% en vue de diminuer la demande locale en faveur de la demande extérieure destinée à l’exportation. Donc, la BCE va continuer à garder le contrôle de l’inflation comme étant l’objectif de sa politique monétaire, non pas à travers la fixation du taux de change, mais en utilisant l’arme des taux d’intérêt pour contrôler la demande locale.

— Donc, le dossier du taux de change est le premier défi pour le gouverneur de la BCE et le nouveau gouvernement. Quels sont les autres dossiers ?

— Le dossier de diversifier les sources des Investissements Etrangers Directs (IED) vient à la seconde place à travers les transactions des acquisitions des entreprises par les fonds souverains arabes en Bourse et l’augmentation de la participation du secteur privé dans le PIB de 30 à 65% au cours des trois prochaines années. C’est pourquoi le président de la République, Abdel-Fattah Al-Sissi, a nommé le 7 août le président de la Bourse égyptienne, Mohamad Farid, à la tête de l’Autorité de réglementation financière pour prendre toutes les décisions nécessaires à raviver la Bourse égyptienne et annuler toutes les contraintes entravant l’échange en Bourse. L’objectif est d’attirer plus d’investissements étrangers en Bourse et de garder la valeur des actifs des entreprises en cas de vente après la dévaluation de la monnaie nationale. L’Egypte doit modifier la structure de son système de paiement, en particulier à la lumière des nouvelles conditions économiques, après sa dépendance passée du tourisme, des envois de fonds des travailleurs à l’étranger et des investissements étrangers à court terme, et ces sources ont été fortement affectées et sous pression directe.

— Voyez-vous d’autres alternatives que d’emprunter du FMI pour écarter une prochaine dévaluation de la monnaie ?

— Malheureusement, la réponse est négative. Nous pouvons compter sur des palliatifs temporaires comme la prise des dépôts des pays du Golfe, mais dans ce cas, il n’y aura pas d’investissement étranger à long terme. La conclusion de l’accord donne le feu vert aux investisseurs étrangers de revenir dans le pays. Sous l’effet de la guerre en Ukraine, les réserves en devises ont diminué, pour atteindre 33,1 milliards de dollars en juillet contre 40,9 milliards de dollars en janvier avant le déclenchement de la guerre. Cette baisse revient à la hausse des prix des biens alimentaires tels que le blé et le pétrole, le paiement des services des dettes et la chute des investissements des étrangers dans les titres d’endettement gouvernemental. Cette baisse s’arrêtera après la libéralisation du taux de change et il y aura un changement dans la position extérieure de l’Egypte, en dépendant de plus des IED à la place de l’argent chaud (Hot Money) et les dettes. Les IED vont dépasser les 10 milliards de dollars pendant l’année financière 2022-2023 alors qu’ils ont atteint 7 milliards de dollars au cours des 9 premiers mois de 2021-2022. En raison de la livre faible face au dollar, il y aura une hausse dans les exportations non pétrolières.

— Comment peut-on limiter les répercussions de la réforme prévue sur les classes moyenne et défavorisée ?

— Il serait nécessaire d’augmenter de plus les dépenses gouvernementales sur les subventions et les programmes de protection sociale. Le premier ministre, Moustapha Madbouli, a déjà approuvé ce mois-ci un paquet exceptionnel de protection sociale pour les couches à faible revenu. Il s’agit d’inclure plus de 900 000 nouvelles familles au programme Takafol wa Karama (solidarité et dignité) et de distribuer 2 millions de cartons d’aide alimentaire à moitié prix aux familles défavorisées. L’augmentation des dépenses sur la protection sociale exige un changement au niveau de la politique financière visant à restructurer les dépenses budgétaires en vue de freiner la hausse du déficit budgétaire. Une restructuration qui se base en premier lieu sur la baisse des dépenses sur les investissements publics au cours de l’exercice en cours.

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