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Tant que l’impunité persistera …

Abir Taleb , (avec Agences) , Mercredi, 18 mai 2022

Le meurtre de la journaliste palestinienne Shireen Abu Akleh et les violences qui ont émaillé ses funérailles ont profondément ébranlé l’opinion publique. Alors que la communauté internationale réclame une enquête transparente, Israël tergiverse.

Tant que l’impunité persistera …

Emoi. tristesse. colère. rage. Deux chocs plutôt qu’un. Un assassinat puis un cortège funéraire attaqué. Deux scènes aussi inouïes qu’effroyables. D’abord, celle du corps inanimé de la journaliste palestinienne d’Al-Jazeera Shireen Abu Akleh, tuée par une balle, mercredi 11 mai, alors qu’elle couvrait une incursion israélienne à Jénine, en Cisjordanie, et qu’elle portait un casque et un gilet pare-balles siglé « presse » ; et à côté de ce corps, une autre journaliste accroupie, cachée derrière un arbre, apeurée, tremblante et terrifiée. Ensuite, celle des funérailles, vendredi 13 mai. Une charge de la police israélienne sur une foule portant le cercueil de Shireen, à la sortie de l’hôpital. Un dispositif policier important avec des barrières, des chevaux, des véhicules mais également un hélicoptère. A 14h, à la sortie de l’hôpital Saint-Joseph dans le quartier palestinien de Beit Hanina, la police israélienne fait irruption dans l’enceinte de l’hôpital et charge la foule, fait usage de gaz lacrymogènes et matraque les porteurs du cercueil, qui manque de tomber au sol, avant d’être rattrapé in extremis. Puis elle empêche la foule de transporter le cercueil jusqu’au cimetière à pied et exige qu’il soit transporté en voiture en prenant soin d’ôter les drapeaux palestiniens qui le couvraient. « Si vous n’arrêtez pas ces chants nationalistes, nous devrons vous disperser en utilisant la force et nous empêcherons les funérailles d’avoir lieu », lance tout simplement, dans un mégaphone, un policier israélien en direction de la foule.

Les images du corps sans vie comme celles, en direct, des obsèques inondent sur les chaînes de télévision et sur les réseaux sociaux. L’Etat hébreu est pointé du doigt. Sa responsabilité, prouvée, dans les violences qui ont accompagné le cortège funéraire scandalisent, même auprès des alliés d’Israël. « Nous avons été profondément troublés par les images de l’intrusion de la police israélienne au sein du cortège funéraire », dit le secrétaire d’Etat américain, Antony Blinken. L’Union européenne condamne « l’usage disproportionné de la force et le comportement irrespectueux de la police israélienne ». Le chef de l’Onu, Antonio Guterres, se dit « profondément troublé » …

La responsabilité d’Israël dans les violences lors des funérailles, diffusées en direct, dérange. Celle, pas encore prouvée, du meurtre de la journaliste, indigne, mais n’étonne pas. Israël a une longue histoire d’assassinats ciblés (voir article page 5). Et à chaque fois, ses actes passent tout simplement sans conséquences, sans que les responsables soient jugés ou en paient le prix.

Une enquête transparente, c’est possible ?

Le Conseil de sécurité de l’Onu, qui a condamné à l’unanimité le meurtre de la journaliste — celle-ci avait aussi la nationalité américaine — a réclamé « une enquête transparente et impartiale ». Mais est-ce plausible ? Tout porte à croire, à l’heure qu’il est, que l’enquête s’annonce difficile. L’Autorité palestinienne, Al-Jazeera et le gouvernement du Qatar ont accusé l’armée israélienne d’avoir tué la journaliste. Selon « les premiers résultats » de l’enquête du procureur palestinien à Ramallah, « la seule origine du tir contre Shireen est les forces d’occupation ». Israël tergiverse comme d’habitude. Comble de la provocation, l’Etat hébreu a d’abord prétendu qu’elle avait « probablement » succombé à un tir palestinien et qu’il n’était pas possible de déterminer dans l’immédiat l’origine du tir, mais il a ensuite dit ne pas écarter que la balle ait été tirée par ses soldats. Israël a réclamé que lui soit remise la balle en vue d’un examen balistique, et proposé que des experts palestiniens et américains soient présents lors de cet examen. Mais le président palestinien, Mahmoud Abbas, a refusé une enquête conjointe avec Israël. « Les autorités israéliennes ont commis ce crime, et nous ne leur faisons pas confiance ». Côté international, les Etats-Unis ont appelé à une enquête « transparente », de préférence conjointe entre Israéliens et Palestiniens, tandis que l’Union européenne a exhorté à une investigation « indépendante ».

Nakba, une commémoration au goût amer

Mais malgré tous ces appels, aucune avancée n’est significative dans l’enquête. Au lendemain du meurtre de la journaliste, l’enquête est même passée au second plan devant la violence symbolique des images de la police israélienne frappant les porteurs du cercueil.

Les jours suivant ont vu la commémoration de la « Nakba », la « catastrophe » qu’était, pour les Palestiniens et les Arabes, la création de l’Etat d’Israël, un certain 15 mai 1948. Cette année, dans les villes palestiniennes occupées, des Palestiniens sont descendus dans les rues portant des drapeaux palestiniens, des keffiehs, réclamant le droit au retour, aujourd’hui presque impossible ; réclamant un Etat indépendant que le monde entier leur promet mais ne fait rien pour. Et, en plus des slogans habituels, des pancartes avec l’inscription « votre silence est complice », en référence aux « deux poids, deux mesures » de la communauté internationale. Et la photo de Shireen Abu Akleh, devenue une icône, un symbole d’une cause vieille de 74 ans, et qui a encore de longs jours devant elle.

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