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Les élections de tous les espoirs et de tous les risques

Racha Darwich , Mercredi, 13 avril 2022

Face aux tensions politiques persistantes doublées de la crise économique écrasante, les législatives libanaises de mai prochain sont plus que jamais cruciales. Leur résultat sera déterminant pour l’avenir du pays.

La rue libanaise aspire toujours à un changement radical de la scène politique. Une option
La rue libanaise aspire toujours à un changement radical de la scène politique. Une option peu probable.

Les pancartes publicitaires inondent les rues libanaises avec leurs couleurs vives et leurs slogans ambitieux. La course a commencé. Plus de 1 043 personnes ont présenté leurs candidatures aux élections législatives prévues le 15 mai prochain pour disputer les 128 sièges du parlement. Le plus grand nombre de candidats dans l’histoire des élections législatives libanaises avec 155 femmes en lice. « Ces élections surviennent dans des circonstances exceptionnelles. Outre la crise économique écrasante, les tendances populaires ont changé alors que la communauté internationale attend avec impatience les résultats des élections », explique Mohamed Abdel-Razeq, chercheur spécialisé dans les affaires libanaises au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques (ECSS). Il s’agit, en effet, du premier scrutin depuis le mouvement de contestation d’octobre 2019, qui revendiquait des réformes radicales et la récusation de toute la classe politique au pouvoir.

Depuis, la situation n’a fait que se détériorer, notamment avec l’explosion du port de Beyrouth en août 2020 et la chute de l’économie. « Cette scène impose de grands défis aux différentes forces politiques libanaises dont la popularité a été gravement ébranlée après ces deux grands événements. Ces élections devront refléter ce changement dans les tendances populaires envers les forces populaires et leurs candidats », ajoute Abdel- Razeq. De plus, les élections surviennent dans un contexte économique difficile avec une dévaluation de la lire libanaise et une hausse des taux d’inflation, de chômage et de pauvreté faisant craindre une forte abstention populaire.

Aux niveaux régional et international, les élections jouissent d’un vaste intérêt, car leurs résultats auront un large impact sur plusieurs dossiers régionaux, surtout ceux relatifs à l’influence iranienne dans la région d’autant plus que les résultats des élections iraqiennes ont abouti à un changement relatif de la carte des forces au parlement iraqien, réduisant le pouvoir des forces pro-iraniennes. Les Occidentaux voient aussi en ces élections un dernier espoir de changement, afin d’opérer les réformes politiques et économiques nécessaires pour sortir le Liban de sa crise.

Vide sunnite et alliances de circonstance

Le système électoral libanais est un système de quotas. Les sièges des députés sont distribués selon des quotas communautaires, mais les listes ellesmêmes sont multiconfessionnelles. 34 sièges pour les Maronites, 27 pour les Sunnites, 27 pour les Chiites, 14 pour les Grecs orthodoxes, 8 pour les Catholiques romains, 8 pour les Druzes, 5 pour les Arméniens orthodoxes, 2 pour les Alaouites et un pour les Evangéliques, un pour les Catholiques arméniens et un pour les autres minorités. C’est ainsi que les 1 043 candidats se sont répartis sur plus de 100 listes. Les listes remises le 4 avril dernier ont dévoilé de nombreuses alliances, mais aussi des compromis, surtout après le vide créé par l’absence des grands leaders sunnites. En effet, le Courant du Futur, la plus grande force sunnite du pays, a décidé de boycotter les élections, obligeant ses membres à ne pas entrer en lice ou à démissionner.

De plus, le premier ministre actuel, Najib Mikati, et les ex-premiers ministres Saad Hariri, Fouad Siniora et Tammam Salam ont décidé de ne pas présenter leurs candidatures. « Ce vide sunnite fait craindre une large abstention des électeurs sunnites malgré la présence de plusieurs candidats qui ont démissionné du Courant du Futur, dont le plus éminent est Moustafa Allouch, viceprésident du mouvement. Mais il se peut que de nombreux électeurs sunnites choisissent de voter pour les candidats des forces du changement ou des formations alternatives nées du mouvement de contestation populaire d’octobre 2019. Ce qui avance la probabilité de l’éminence d’une représentation sunnite différente dans le prochain parlement », explique Mohamed Abdel-Razeq.

Cependant, le vide sunnite dépasse la communauté sunnite pour influencer la scène druze, notamment le Parti socialiste progressiste dirigé par Walid Joumblatt, qui a toujours compté sur sa coalition avec le Courant du Futur pour gagner des voix qui lui permettent d’obtenir des sièges parlementaires. « Dans ce cas, les partis en coalition avec le Hezbollah auront l’occasion de remporter les sièges druzes. Ce qui augmentera les sièges de la coalition du Hezbollah et de ses alliés », commente Abdel-Razeq.

Le Hezbollah exploite aussi ce vide sunnite en présentant des candidats sunnites qui lui sont proches ou en soutenant certaines listes électorales dans les cercles sunnites, pour augmenter le bloc parlementaire du parti et de ses alliés au sein du parlement et réduire le poids de ses opposants. Par ailleurs, le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a déclaré que l’objectif du parti dans ces élections n’était pas seulement de réaliser une victoire pour son parti, mais aussi d’assurer la victoire de ses alliés dans les différentes circonscriptions. Raison pour laquelle le Hezbollah a oeuvré à résoudre les différends dans les rangs de ses alliés, notamment entre le mouvement Amal et le Courant patriotique libre, afin de former des listes électorales unifiées dans la majorité des circonscriptions électorales.

Malgré des donnes nouvelles, le scrutin ne risque pas d’apporter des surprises. « Un changement radical dans la scène politique libanaise est peu probable à cause de l’influence de la classe politique au pouvoir sur les scènes populaire et électorale, la détermination de l’Iran de ne pas perdre son influence au Liban et aussi de la faiblesse des forces d’opposition et des formations alternatives », conclut Abdel-Razeq.

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