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A chacun sa Ligue

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 24 mars 2015

Guerres civiles, agressions israéliennes, litiges interarabes ou révolutions, face à ces événements majeurs, la Ligue arabe, en 70 années d'existence, a été incapable de parler d'une seule voix.

A chacun sa ligue
La Ligue arabe est incappable de régler la question palestinienne. (Photos : Reuters)

« Il est temps de cristalliser une position arabe unifiée et que les paroles et les actes de la volonté politique des Arabes soient en conformité les uns avec les autres. Il est nécessaire que la Ligue devienne plus efficace face aux défis croissants auxquels est confronté le monde arabe », a martelé Nabil Al-Arabi, secrétaire général de la Ligue arabe, lors de la réunion de la session ordinaire des ministres arabes des Affaires étrangères, tenue le 9 mars.

Pourtant, selon beaucoup d’analystes, depuis le premier sommet arabe, en mai 1946 à Anchass, en Egypte, les leaders arabes ont passé plus de 70 ans à se réunir sans être pour autant capables de jouer un rôle efficace dans la plupart des crises du monde arabe. Cette inaptitude de la Ligue est particulièrement flagrante lorsqu’il s’agit de régler des litiges interarabes.

Pour Malek Aouny, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, l’efficacité de la Ligue arabe à résoudre les conflits entre ses Etats membres est entravée par les rivalités politiques, idéologiques et parfois personnelles des grandes puissances arabes, qui se disputent le contrôle du pouvoir au sein de la Ligue. « Ces désaccords ont poussé La Ligue arabe à donner parfois son aval à des forces étrangères afin d’intervenir pour régler les différends interarabes », dit Aouny.

Le politologue avance le cas de l’invasion du Koweït par l’Iraq en 1990. La libération du Koweït a dû attendre l’intervention d’une force multinationale conduite par les Etats-Unis. En 2003, l’invasion américaine de l’Iraq a davantage creusé le fossé entre les Etats membres. Si les 22 pays arabes ont proclamé leur refus de participer à une action militaire contre l’Iraq, au sommet annuel de la Ligue arabe, ils ont passé sous silence l’utilisation de bases américaines dans les pays du Golfe pour appuyer l’attaque.

« La Ligue n’a pas su prendre une position efficace contre l’occupation des forces anglo-américaines de l’Iraq. Elle n’a même pas posé de stratégie de gestion après la chute de Bagdad, laissant librement les Américains dessiner le nouvel Iraq selon leurs propres intérêts », explique Aouny.

L’immobilisme de l’organisation s’est manifesté lors de nombreux conflits arabes. Citons par exemple la guerre civile au Liban qui a duré 15 ans, et celle au Soudan qui s’est terminée en 2006 après la scission du sud. La dispute territoriale autour du Sahara occidental, qui oppose l’Algérie au Maroc depuis 40 ans, s’ajoute à la liste.

Cette inaction est aussi due aux principes adoptés par la Ligue : « la prévalence de la souveraineté étatique sur l’intérêt panarabe et la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres ».

Le dossier palestinien

La Palestine est, quant à elle, à l’ordre du jour de tous les sommets arabes. Mais la Ligue n’a jamais été efficace dans le dossier. Les initiatives et résolutions arabes concernant la Palestine ne sont que lettre morte. « Le rôle de la Ligue se limite à soutenir les décisions du Conseil de sécurité de l’Onu et, au mieux, à offrir des aides humanitaires », reprend Aouny.

L’unique point positif a été d’élaborer, en 2002, l’Initiative arabe de paix pour une résolution définitive du conflit israélo-palestinien proposée par l’Arabie saoudite. Ce document demeure une base de négociation considérée comme crédible par les Américains et l’Union européenne. Toutefois, la Ligue, en théorie première concernée, n’a pas su s’imposer en tant qu’acteur majeur : elle ne figure pas dans le panel en charge du dossier israélopalestinien, ledit quartette composé de l’Onu, de l’Union européenne, des Etats-Unis et de la Russie.

Les Printemps arabes

Les soulèvements arabes, en 2011, ont représenté un grand défi pour la Ligue, car ils étaient menés contre les régimes qui ont constitué la base de cette organisation, explique Moustapha Menchawy, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. « La Ligue arabe a été profondément ébranlée par ces vagues de soulèvements, ce qui a été clair dans les positions des Etats membres », a-t-il ajouté.

Au début, la Ligue est restée muette durant les révolutions en Egypte et en Tunisie, se contentant de publier des déclarations officielles appelant à « cesser la violence » et à conserver « le consensus national ». Ensuite, pour le cas de Bahreïn et du Yémen, elle a laissé faire le Conseil de Coopération du Golfe (CCG). Ainsi, le soulèvement à Bahreïn a pris fin après l’intervention de la force « Bouclier de la péninsule ». Quant au Yémen, le plan de transition élaboré par les pays du Golfe a mené au départ de Ali Abdallah Saleh et à la formation par l’opposition d’un gouvernement de réconciliation.

« Ce mutisme de la Ligue arabe a terni profondément son image et prouvé qu’elle représente seulement les régimes et non pas les aspirations des peuples arabes », explique Menchawy, avant d’ajouter que « la Ligue, consciente de cette impasse, est passée à l’action au début des crises libyenne et syrienne, laissant croire qu’elle aurait pu se libérer de ses principes inefficaces ».

Elle a décidé de suspendre la participation des délégations du régime de Kadhafi lors de ses réunions, tout en confirmant la légitimité des revendications de l’opposition, demandant au Conseil de sécurité de l’Onu d’imposer une zone d’exclusion aérienne en Libye.

Pour la Syrie, la position de la Ligue a été plus forte : gel du siège de la Syrie, sanctions économiques puis envoi d’une mission d’observateurs. Mais selon Menchawy, ses interventions dans ces deux pays dévoilent son dysfonctionnement opérationnel. Après la chute de l’ancien régime en Libye, elle n’a pas souhaité aider le peuple libyen ni à reconstruire ses institutions ni à sécuriser ses frontières.

A Damas, elle a suspendu la mission de ses 165 observateurs arabes, accusée à l’époque par l’opposition syrienne de « nonneutralité ». Pour l’heure, rien ne laisse supposer d’éventuels changements dans les prises de position à venir.

Des résolutions sans effet

1946, Anchass : Premier sommet arabe consacré à la fondation de la Ligue arabe, tenu sous le titre « Congrès d’Anchass pour les rois et les présidents arabes ». Ce sommet a témoigné de la présence des rois et présidents d’Egypte, Arabie saoudite, Jordanie, Liban, Iraq et Yémen, qui ont confirmé que la cause palestinienne est celle de tous les pays arabes.

1964, Le Caire : L’Egypte accueille le premier sommet arabe ordinaire en réponse immédiate au projet israélien, visant à dévier le cours du Jourdain. Elle a également proposé la fondation de l’Organisation de la Libération Palestinienne (OLP) en tant que représentant légitime du peuple palestinien dans les instances internationales.

1967, Khartoum : Le « Sommet des trois non », consacré au rejet de tout type de relation avec Israël : non à la paix avec Israël, non à la reconnaissance d’Israël, non à toute négociation avec Israël.

1974, Rabat : Lors du 7e Sommet arabe, l’OLP est reconnue par les Etats arabes comme seul porte-parole légitime du peuple palestinien.

1990, Le Caire : Suite à l’invasion iraqienne du Koweït, le sommet exige le retrait iraqien immédiat.

2002, Beyrouth : Proposition de l’« Initiative de paix arabe ».

2003, Charm Al-Cheikh : La Ligue déclare son « refus absolu d’une frappe contre l’Iraq, ainsi que le refus de participer à une action militaire contre ce pays ».

2006, Khartoum : Décision de financer pendant 6 mois la force de l’Union Africaine (UA) au Darfour.

2009, Doha : La Ligue rejette le mandat d’arrêt de la Cour Pénale Internationale (CPI) contre Omar Al-Béchir, président soudanais.

2011, Egypte : Décision d’appeler le Conseil de sécurité de l’Onu « à prendre les mesures nécessaires pour l’instauration immédiate d’une zone d’exclusion aérienne visant le trafic militaire libyen ».

2012, Bagdad : Appel à un « dialogue national sérieux » en Syrie et à l'adoption d'une « attitude positive » à l’égard du plan de l’envoyé spécial de l’Onu et de la Ligue arabe Kofi Anan.

2014, Koweït : Les dirigeants arabes plaident pour un règlement politique du conflit en Syrie et refusent de reconnaître Israël comme un Etat juif.

La Ligue arabe en quelques dates

25 septembre 1944 : La conférence d’Alexandrie s’achève avec la signature du protocole d’Alexandrie qui établit les bases de la future Ligue arabe.

22 mars 1945 : La charte qui fonde la Ligue arabe est signée par les Etats fondateurs.

1964 : Premier sommet arabe au Caire après qu’Israël eut dévié le cours du Jourdain.

1976-1983 : Une force arabe de dissuasion est établie pour jouer un rôle dans la guerre du Liban.

1950 : Signature du traité de défense commune et de coopération économique.

1964 : Décision d’établir un marché arabe commun.

1979 : L’Egypte est suspendue de la Ligue pour 10 ans après la signature des accords de paix de Camp David avec Israël en 1978, et le siège de la Ligue est déplacé du Caire à Tunis.

1990 : Le siège retourne au Caire.

2000 : Décision d’avoir un sommet arabe annuel, suite à la première Intifada palestinienne en septembre 2000.

2001 : Sommet de Amman intitulé Sommet économique où l’on a décidé de tenir le premier sommet économique arabe au Caire en 2001.

La Ligue arabe comprend 5 organismes

Le secrétariat général (actuellement représenté par Nabil Al-Arabi), les conseils de ministres (conseil de défense et conseil économique), comités permanents spécialisés (comme les comités économique, politique et culturel), agences spécialisées autonomes (comme l’Organisation arabe de travail) et les sommets des chefs d’Etat.

La Ligue arabe est composée de 22 Etats membres

L’Egypte, l’Iraq, le Liban, l’Arabie saoudite, la Syrie, la Transjordanie et le Yémen du Nord (membres fondateurs), la Libye (1953), le Soudan (1956), le Maroc et la Tunisie (1958), le Koweït (1961), l’Algérie (1962), le Yémen du Sud (1967), Bahreïn, le Qatar, les Emirats arabes unis et Oman (1971), la Mauritanie (1973), la Somalie (1974), l’Autorité palestinienne (1976), Djibouti (1977) et les Comores (1993).

Ces pays représentent une population de 378 millions d’habitants en 2014, et une superficie de 13 500 000 km2.

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