Jeudi, 25 avril 2024
Dossier > Dossier >

Derrière les Américains, un nouveau partenaire émerge

Amira Samir, Lundi, 02 février 2015

Progressivement, l'Egypte se rapproche de la Russie. Si ces nouvelles relations ne signifient pas une rupture avec l’allié américain, elles laissent percevoir une volonté de ne plus compter uniquement sur Washington.

Derriere les Americains
(Photo : Reuters)

En août dernier, Abdel-Fattah Al-Sissi faisait sa première visite à l’étranger en tant que chef d’Etat. Il avait choisi la Russie comme première destination. Les analystes y percevaient un réchauffement des relations égypto-russes.

Six mois auparavant, le 12 février 2014, Al-Sissi était aussi à Moscou, cette fois en tant que ministre de la Défense, mais dirigeant de facto le pays durant la période transitoire qui a suivi la chute des Frères.

Lors des deux visites, il s’est entretenu avec le président russe Vladimir Poutine. La semaine prochaine, les 9 et 10 février, c’est Poutine qui se rendra au Caire. L’objectif annoncé de sa venue est l’intensification des relations commerciales russo-égyptiennes. Selon des déclarations semi-officielles seront abordés les moyens de renforcer la coopération économique entre les deux pays, notamment les investissements, ainsi que le lancement de négociations pour la mise en place d’une zone de libre-échange entre l’Egypte et l’Union douanière Russie-Biélorussie-Kazakhstan. Les questions régionales et internationales devraient également être au centre des discussions.

A Moscou, l’émissaire spécial du président russe au Proche-Orient et en Afrique a fait état de préparatifs pour la visite de Poutine. Mais, officiellement, personne n’a précisé de date. C’est le quotidien moscovite Kommersant qui a annoncé la visite de Poutine, confirmée par l’ambassadeur d’Egypte a Moscou qui s’est contenté de déclarer que la « visite se tiendra à la date prévue ».

Les responsables égyptiens ne cachent pas leur enthousiasme. En effet, la Russie devient de plus en plus un acteur incontournable de l’échiquier proche-oriental, notamment après le refroidissement de ses relations avec l’Union européenne dû à la crise ukrainienne. Dans ce contexte, Moscou cherche de nouveaux alliés.

« La Russie a perdu un de ses grands alliés dans la région avec la mort de Kadhafi. Elle cherche un port de substitution dans la région pour ne pas compter seulement sur le port de Tartous en Syrie au cas où le régime de Bachar Al-Assad s’effondrerait », explique Fathi Nour, membre au Conseil égyptien pour les affaires étrangères.

Dans les faits, la Russie a apporté son soutien à Al-Sissi avant même son élection. Vladimir Poutine avait alors qualifié de « choix responsable » la décision du maréchal de se présenter à l’élection présidentielle. « Pour la Russie, un retour au calme en Egypte est essentiel pour une stabilisation de ses intérêts au Moyen-Orient », ajoute Fathi Nour.

D’autre part, Moscou, qui soutient les efforts de Bachar Al-Assad dans son combat contre le terrorisme, veut s’appuyer sur Le Caire dans ce dossier régional. Selon certains analystes, il existerait une médiation de l’Egypte dans le dossier syrien cherchant à faire dialoguer une partie de l’opposition syrienne avec le régime de Bachar Al-Assad.

Entre deux chaises

Pour l’Egypte, le rapprochement avec la Russie semble se faire en parallèle d’un refroidissement avec les Etats-Unis, son principal bailleur de fonds. Washington a gelé une partie de son aide de 1,3 milliard de dollars par an, depuis le 10 octobre 2013, suite à la répression des manifestations des partisans de Mohamad Morsi.

Sur le plan politique, l’Egypte chercherait à prendre ses distances avec les Américains en se rapprochant de la Russie, pays qui était le principal allié de l’Egypte dans les années 1960.

« La visite de Poutine intervient sur fond de froid entre Washington et son allié égyptien. Le Caire se dit désormais déterminé à coopérer avec d’autres pays sur le volet militaire. L’Egypte a besoin de relations équilibrées. Le renforcement des relations égypto-russes s’inscrit dans ce sens », estime Moustapha Kamel Al-Sayed, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. D’autant plus que Poutine ne parle pas de démocratie ni de droits de l’homme.

Pourtant, il ne faut pas y voir un retour aux relations qui primaient au temps de Nasser. « La Russie passe par des crises économiques et politiques et ne pourra pas offrir d’aides généreuses à l’Egypte comme elle le faisait dans les années 1950 et 1960. La Russie n’est pas l’Union soviétique. Et l’Egypte d’aujourd’hui n’est pas celle de Nasser qui se basait sur le secteur public et excluait les investissements étrangers », explique Al-Sayed. Les Américains restent, pour le professeur, un partenaire indispensable pour l’Egypte.

L’ancien ambassadeur, Mohamad Chaker, partage le même avis, estimant « qu’il ne s’agit pas d’un divorce égypto-américain et d’un mariage égypto-russe ». « L’Egypte cherche à rééquilibrer ses relations internationales qui, pendant des décennies, étaient totalement alignées sur les Etats-Unis. Le Caire ne va pas tourner le dos à Washington, car il existe des intérêts mutuels entre l’Egypte et les Etats-Unis. Le Caire ne pourra jamais se passer des Etats-Unis, premier pourvoyeur de l’armée égyptienne. Et Washington est obligé d’éviter toute rupture avec Le Caire pour sauvegarder ses intérêts régionaux », explicite Al-Sayed.

Deux alliés au lieu d’un

Mais il semble évident que Le Caire cherche à ne plus compter uniquement sur les Américains. Lors de la visite d’Al-Sissi en Russie en février 2014, la coopération militaire était au coeur des discussions entre les ministres de la Défense des deux pays. D’après la presse russe, le montant des contrats signés lors de cette visite, atteindrait deux milliards de dollars (lire page 4).

Le point de départ de ces nouvelles relations entre l’Egypte et la Russie remonte à septembre 2013, lorsque les deux pays avaient signé un contrat pour la fourniture d’armements d’un montant de 3,5 milliards de dollars. En novembre 2013, le croiseur lance-missiles russe Varyag a fait escale au port militaire d’Alexandrie : une première depuis l’expulsion des experts soviétiques d’Egypte, en 1972.

Le même mois, Sergueï Choïgou et Sergei Lavrov, respectivement ministre russe de la Défense et des Affaires étrangères, s’étaient rendu au Caire pour lancer des accords qui prévoient des réunions annuelles entre les ministres de la Défense et des Affaires étrangers.

La coopération militaire, avec au centre la lutte contre le terrorisme, subit bel est bien une nouvelle impulsion de la part des deux pays.

Les accords commerciaux ne sont pas en reste: en 2014, ils ont presque doublé (lire page 4). Le tourisme est en tête de liste, tout comme le blé. L’Egypte importe environ 40% de son blé de Russie. Moscou cherche aussi à s’investir dans les projets d’infrastructures: Poutine a déclaré que l’Egypte et la Russie s’étaient entendues, en principe, sur la création d’une zone de libre-échange aux abords du nouveau Canal de Suez et que les deux pays allaient accroître leurs échanges dans le secteur énergétique: gaz et pétrole.

Autant d’échanges qui, s’ils ne signifient pas une rupture avec les Etats-Unis, laissent penser que l’Egypte cherche progressivement à ne plus compter uniquement sur son allié américain.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique