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Khartoum refait ses calculs

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 23 décembre 2014

L'attitude du Soudan, qui sert de machine de propagande en faveur du barrage éthiopien de la Renaissance, affaiblit la position de l'Egypte dans les négociations avec l'Ethiopie.

Khartoum
Le président soudanais Omar Al-Béchir lors de sa visite en Ethiopie. (Photo : Reuters)

« Le barrage de la Renaissance réalisera le rêve des pauvres en Afrique et leur permettra d’être autosuffisants en électricité », a déclaré Al-Fatteh Ezz Al-Din, président du Parlement soudanais, en visitant, fin septembre, le chantier du barrage de la Renaissance. Cette visite avait pour objectif, comme l’a affirmé Ezz Al-Din, de « partager la joie des Ethiopiens pour cette réalisation ». Un mois après, le Parlement soudanais témoignait d’une séance houleuse consacrée au plan hydraulique du ministère de l’Irrigation soudanais. Au cours de cette séance, les députés se sont fortement insurgés contre la position « floue » du Soudan envers l’Egypte. Ainsi le ministre soudanais des Ressources hydriques est allé jusqu’à qualifier l’accord de 1959 sur le partage des eaux du Nil « d’injuste puisqu’il donne au Soudan 18,5 milliards de litres cubes » contre 55 milliards pour l’Egypte, avant d’ajouter que « le barrage éthiopien sera dans l’intérêt du Soudan ».

« Le Soudan sert actuellement de machine de propagande en faveur du barrage. C’est une situation dangereuse », déclare Abbas Chéraki, expert hydriques au Centre des recherches et des études africaines de l’Université du Caire. Selon lui, la position du Soudan vis-à-vis du barrage au cours des trois dernières années a beaucoup évolué et est passée par plusieurs étapes. « Le Soudan était le partenaire de l’Egypte et défendait les parts historiques des deux pays dans les eaux du Nil à la fin de l’époque de Moubarak. Ensuite, il a joué le rôle de médiateur partial dans le litige sur le barrage. Après la révolution du 25 janvier, Khartoum a commencé à se positionner du côté éthiopien et a affiché son soutien à la construction du barrage, avant de s’aligner complètement sur Addis-Abeba après la révolution du 30 juin, notamment en décembre 2013 quand le président soudanais Al-Béchir a annoncé officiellement son soutien à la construction du barrage », affirme Chéraki. Et d’ajouter: « Aujourd’hui, non seulement le Soudan soutient le barrage éthiopien, mais aussi il en fait la propagande. Et les médias soudanais font aujourd’hui campagne contre l’injustice du partage des eaux du Nil dans les anciens accords ».

Pour Khaled Hanafy, spécialiste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, bien que Khartoum essaye de se présenter comme un médiateur dans les négociations en cours entre Le Caire et Addis-Abeba, il est difficile de le croire. En réalité, Khartoum pourrait être un grand bénéficiaire du barrage de la Renaissance plus que l’Ethiopie elle-même. La presse soudanaise décrit le barrage comme « le haut barrage soudanais ». Pour le Soudan et du point de vue économique, la construction de ce barrage devrait aider à prévenir les inondations qui frappent le pays toute l’année, l’obligeant à cultiver ses terres une seule fois par an. Il pourrait ainsi grâce à ce barrage cultiver toute l’année.

Des considérations politiques

En retenant le limon dans son réservoir, ce barrage va permettre d’augmenter la production d’énergie électrique dans les barrages soudanais et combler un déficit d’électricité évalué à 40%. Etant donné que le limon empêche les turbines d’électricité de travailler de manière optimale. Le Soudan souhaite aussi pouvoir importer le surplus d’énergie de l’Ethiopie.

Toutefois selon Abbas Chéraki, tous ces profits pourraient s’évaporer en un clin d’oeil. « Le Soudan deviendrait alors le grand perdant puisque les risques d’un échec du projet restent énormes, avec l’absence jusqu’à présent d’une étude qui prouve sa viabilité. Le Soudan pourrait ainsi faire face à un tsunami qui provoquerait des inondations dans toutes les villes », explique-t-il. Mais les avantages techniques n’expliquent pas, à eux seuls, le soutien soudanais au barrage.

Des considérations politiques entrent en ligne de compte. « L’Ethiopie est actuellement présente politiquement au Soudan tandis que l’Egypte est absente depuis de longues années », affirme Ayman Chabana, directeur adjoint du centre des études soudanaises à l’Université du Caire. Et d’ajouter: « Malgré le recul de la tension entre Le Caire et Khartoum après que le président Sissi eut fait de la capitale soudanaise l’une de ses premières destinations à l’étranger, l’attitude du Soudan au sujet du barrage n’a pas changé », ajoute Chabana.

Il considère l’Ethiopie comme un acteur incontournable dans les crises internes au Soudan. « Citons par exemple la présence des casques bleus éthiopiens dans la région d’Abyei, pour sécuriser cette zone tampon entre le nord et le sud, l’accueil par Addis-Abeba d’une série de négociations sur le conflit au Darfour ». Pour attirer le Soudan dans son camp, l’Ethiopie a essayé de renforcer ses relations avec Khartoum, inaugurant ainsi l’âge d’or de la coopération entre les deux pays avec surtout un accord sur un réseau électrique transfrontalier de 321 kilomètres qui lie l’Etat éthiopien d’Amhara à la centrale électrique de Gedaref dans l’est du Soudan, d’un coût de 35 millions de dollars. « Ce détachement du Soudan du camp de l’Egypte va affaiblir la position égyptienne. Aujourd’hui, l’Egypte est seule pour protéger sa sécurité hydraulique », conclut Abbas Chéraki.

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