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Mohamad Zaki: « Le pouvoir absolu ne fera que ramener une corruption généralisée »

Propos recueillis par Chaïmaa Abdel-Hamid , Lundi, 26 novembre 2012

Mohamad Zaki, vice-président du Conseil d’Etat, estime qu’il faut donner au président une chance de réétudier ses décisions. Il juge la nouvelle déclaration constitutionnelle particulièrement dangereuse.

Al-Ahram Hebdo : Comment évaluez-vous la situation actuelle suite à la nouvelle déclaration constitutionnelle promulguée par le président de la République ?

Mohamad Zaki : Le pays traverse actuellement une grande crise qui risque de dégénérer si elle n’est pas résolue. Sans aucun doute, cette nouvelle déclaration constitutionnelle est catastrophique, car elle a mené à plusieurs divisions importantes dans la société. Les citoyens, d’une part, forment deux camps opposés qui s’entretuent, alors que les juges sont eux aussi divisés, d'une autre part. Un scénario qu’on aurait voulu éviter après la révolution du 25 janvier.

— Cette déclaration constitutionnelle comporte-t-elle vraiment des lacunes juridiques ?

— Bien sûr que oui. Cette déclaration comporte plusieurs lacunes. Avant tout, le président de la République, qui a juré de respecter la loi et la Constitution est, à travers cette déclaration, revenu sur ses promesses. Comment peut-il aujourd’hui venir annoncer que ses décisions sont « indiscutables » ? Nous devons vivre en fonction de ce qu’on appelle les principes supraconstitutionnels — sur lesquels se basent toutes les Constitutions de par le monde, principes qui soulignent notamment l’indépendance de la justice.

Le président a malheureusement, par sa déclaration, écarté tous ces principes de la vie politique égyptienne. Il n’a même pas pris en considération la nature fautive des Hommes. En ce qui concerne la réouverture des procès et des enquêtes, cela ne peut être fait qu’en cas d’apport de nouvelles preuves. Sinon, aucun juge n’aura le droit de rouvrir ces dossiers.

— Donc, êtes-vous contre la déclaration du président ?

— Il ne faut pas que l’on s’en prenne tous au président, et je suis contre toute tentative d’humiliation envers lui. Il faut plutôt plaindre ceux qui ont travaillé sur cette déclaration bourrée d’erreurs. Je crois que Morsi peut toujours calmer la situation non pas seulement en annulant cette déclaration, mais aussi en jugeant ceux qui l’ont impliqué dans cette crise. Si j’étais à sa place, je le ferais. S’il sort aujourd’hui devant son peuple et annonce qu’il annule les articles qui ont causé ces dégâts, notamment la protection de ses décisions et l’impossibilité de dissoudre le Conseil consultatif et l’assemblée constituante, tout le monde respectera sa décision. Et il mettra ainsi fin à cette impasse.

— Comment percevez-vous la position des juges qui ont décidé de suspendre leur travail jusqu’à l’annulation de la déclaration ?

— La déclaration constitutionnelle est une atteinte à l’indépendance de la justice. Je les comprends très bien. Pour eux, c’est comme si on les avaitfrappés dans le dos.Le président vient leur dire de ne pas travailler, puisque leur travail ne vaut rien. Ils ont raison d’agir ainsi.

— Et en ce qui concerne le procureur général ? Parle-t-on aujourd’hui du nouveau Parquet comme étant celui de la révolution ?

— Il ne faut pas croire que je défends Abdel-Méguid Mahmoud. Au contraire, c’est peut-être l’un des points de cette déclaration sur lesquels toutes les forces politiques ne sont pas divisées. Eloigner Abdel-Méguid Mahmoud était l’une des revendications de la rue depuis la chute du régime. Mais la manière avec laquelle il a été écarté n’est pas constitutionnelle. Je ne défends pas la personne, mais le principe.

— Certaines forces politiques ont décidé de former un front de salut national ...

— Il faut calmer la situation actuelle et non l’envenimer. Refuser de rencontrer le président avant l’annulation de la déclaration constitutionnelle aggrave les choses. Je le redis : il faut respecter le président de la République et lui donner une chance de réétudier ses décisions. On a l’impression qu’il a mal évalué les choses dès le départ.

— A quel verdict vous attendez-vous dans les procès intentés devant le Conseil d’Etat ? Cette déclaration peut-elle être annulée ?

— Je ne peux pas vous répondre, car cela serait considéré comme une intervention dans le travail des juges qui vont se charger de l’affaire. Ils vont tenir leurs investigations loin de toute pression et jugeront cette déclaration valide ou pas. Dans ce dernier cas, elle sera automatiquement annulée.

— Si la déclaration n’est pas annulée, qu’est-ce qui garantit que le président ne l’utilisera pas pour ses propres intérêts ?

— Il faut être franc, rien ne peut le garantir. Le pouvoir absolu ne fera que ramener une corruption généralisée sous toutes ses formes. Je ne veux pas dire que le président est un corrupteur, mais se mettre entre les mains tous les pouvoirs exécutif, législatif et juridique ne mènera qu’à l’établissement d’une nouvelle autorité corrompue.

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