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Le « nouveau pharaon » déchaîne la colère de Tahrir

May Al-Maghrabi, Lundi, 26 novembre 2012

La place Tahrir a vécu des scènes dignes de la révolution de 2011 après le décret de Morsi. Outrés, les manifestants ont appelé à la chute du régime armés d'une détermination que rien ne semble pouvoir freiner.

Nouveau Pharaon
La déclaration constitutionnelle et la violence policière ont appelé de nouveau les Egyptiens à la place Tahrir. (Photo: May Chahine )

« le peuple veut la chute du régime ! » : un slogan qui est revenu en force place Tahrir lors du « vendredi de la colère et de l’avertissement ». Des milliers d’Egyptiens venus dénoncer les récentes décisions du président Morsi, « dictatoriales et lui permettant de s’arroger tous les pouvoirs » sont descendus dans la rue. Et le phénomène pourrait s’amplifier, les manifestants semblent, en effet, déterminés à ne rien lâcher.

Déjà, une dizaine de tentes de différents mouvements révolutionnaires ont été installées. Leurs occupants affirment vouloir y rester jusqu’à l’annulation du décret constitutionnel. « L’Egypte est kidnappée. Depuis la chute de Moubarak, c’est la première fois que je ressens une telle inquiétude. On est descendu aujourd’hui pour dire haut et fort : Non à tous ceux qui s’imaginent qu’ils pourront s’approprier l’Egypte », lance Samir Ahmad, du mouvement du 6 Avril.

Dès le matin du vendredi 23 novembre, tous les accès à la place Tahrir avaient été fermés à la circulation. Les forces libérales, rejointes par des citoyens non politisés, se sont regroupées pour dénoncer les décisions potentiellement dangereuses du président. Des drapeaux égyptiens flottaient comme d’habitude au milieu de la foule, en plus de ceux montrant le portrait du jeune Gaber, ou « Jika ». Gaber, âgé de 16 ans, a été atteint il y a quelques jours par un tir de la police lors des accrochages rue Mohamad Mahmoud. Sa mort clinique a été annoncée.

Plusieurs figures de l’opposition, dont Mohamad ElBaradei ainsi que les ex-candidats à la présidentielle, Amr Moussa et le leader nassérien Hamdine Sabbahi, se sont aussi rendues place Tahrir.

D’autres cortèges dirigés par le mouvement du 6 Avril et arrivant de la mosquée d’Al-Sayéda Zeinab brandissaient des drapeaux noirs à l’effigie des martyrs, appelant les Egyptiens à la solidarité face à l’hégémonie des Frères musulmans. « Rejoignez-nous ! Morsi n’est rien d’autre qu’un Moubarak ! », « Morsi, rase-toi la barbe et nous verrons Moubarak ! », scandaient les manifestants. Le rapprochement entre Morsi et Moubarak était au centre des protestations.

Contre les violences policières

A Abdine, où habitait « Jika », des centaines de jeunes sont venus conspuer la poursuite de la brutalité de la police contre les manifestants. Vêtus de t-shirts blancs sur lesquels était imprimée la photo de « Jika », ils scandaient : « Si Jikan’est pas vengé, ce sera sang contre sang, nous ne serons plus pacifiques ! ». A cette marche participaient femmes, hommes et enfants, souvent non politisés.

Samia, une femme au foyer dans la soixantaine, est venue dénoncer « la passivité de la majorité silencieuse qui nous a réduits à cet état. Notre pays est en danger et nous sommes tous responsables face à ceux qui veulent l’usurper et nous dominer par le fer et le feu », dit-elle les larmes aux yeux.

Ahmad Abdallah, un autre manifestant, se demande de quelle justice le président parle alors que d’autres martyrs continuent de tomber sous les balles de la police. « Depuis une semaine, les forces de sécurité ne cessent de lancer des gaz lacrymogènes, des pierres et de tirer sur les manifestants. Et le président ne dit rien ! Le président élu au nom de la révolution utilise la police pour protéger son régime comme s’il n’avait pas retenu la leçon. Le seul soutien d’un régime c’est la légitimité qu’il tire de la satisfaction de son peuple », lance Ahmad.

« Notre lutte se poursuit contre le despotisme et les Frères musulmans qui veulent anéantir notre révolution », s’insurge à son tour un jeune membre du parti des Egyptiens libres.

Jets de pierres

Une fois sur la place, les marches de différentes provenances s’unissent. Ni les gaz lacrymogènes, ni les jets de pierres entre la police et les manifestants rues Qasr Al-Eïni et Mohamad Mahmoud ne dissuadent les manifestants. « Je ne suis pas un lâche et je suis revenu ! Jetez du gaz, tirez des balles : on a appris à dire Non ! », scandait la foule en passant devant les forces de sécurité qui assiégeaient les alentours de la place.

« Nous descendrons à nouveau dans la rue pour défendre notre liberté. Mohamad Morsi se prend pour un dieu et place ses décisions au-dessus de tout. Mais on ne permettra plus à quiconque de nous ôter notre liberté et notre dignité », s’indigne Dalia Fathi, du parti Al-Dostour.

Mohamad, un jeune manifestant, se dit lui aussi prêt à mourir pour défendre les idéaux de la révolution. « Morsi, depuis son arrivée au pouvoir, nous qualifie de voyous comme le faisait Moubarak. Il oublie qu’il est arrivé à son poste grâce à notre sang. On protégera la révolution coûte que coûte », jure-t-il.

De l’autre côté de la place, certains ne croyant plus au caractère pacifique des manifestations, s’accrochent avec les forces de l’ordre à grands renforts de jets de pierres. « Le pacifisme a ses limites. La police n’a pas changé et ne changera pas. Si elle ne connaît que la force, nous lui prouverons que nous sommes, nous aussi, capables de l’utiliser », prévient un jeune homme masqué à l’entrée de la rue Mohamad Mahmoud. La situation pourrait s’aggraver.

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