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Palestine : L’échéance de l’Onu se rapproche

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 02 décembre 2014

La ligue arabe va présenter un projet de résolution au Conseil de sécurité pour la reconnaissance de l’Etat palestinien. Objectif : recueillir l’unanimité et obliger Washington à apposer son veto. Mais toutes les conditions ne sont pas encore remplies.

Palestine
(Photo : Reuters)

« Nous ne sommes plus en mesure de vivre dans le statu quo … Il n’y a plus de partenaire pour nous en Israël. Il n’y a plus rien d’autre à faire que d’internationaliser la question », déclare Mahmoud Abbas, président de l’Autorité palestinienne, lors de l’ouverture de la réunion extraordinaire des ministres des Affaires étrangères des pays de la Ligue arabe, au Caire. Cette réunion était consacrée à discuter un plan d’action arabe avant de présenter un projet de résolution à l’Onu. Celuici devrait appeler à mettre fin à l’occupation israélienne sur les territoires palestiniens à travers un retour aux frontières d’avant 1967, en plus d’un vote à l’Assemblée générale sur une reconnaissance de l’Etat palestinien. Deux souhaits qui restent pour le moment plus qu’hypothétiques. Symboliquement, la réunion des pays a eu lieu le 29 novembre, soit deux ans exactement après l’obtention par la Palestine du statut d’Etat observateur non membre à l’Onu en 2012 et 67 ans après le découpage de la Palestine en deux territoires en 1947. Découpage qui, jusqu’à ce jour, n’a mené seulement qu’à la reconnaissance internationale de l’Etat israélien. Il ne reste aujourd’hui à la Palestine que 11 % de ses territoires historiques.

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(Photo : Reuters)

S’adresser au Conseil de sécurité restait une menace que le côté palestinien brandissait comme « une option alternative en cas d’échec des négociations de paix », explique Sobhi Eissela, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Mais les négociations sont au point mort depuis février, la colonisation s’accélère sur le terrain et récemment plusieurs tentatives de judaïsation et d’exclusion ont vu le jour, excédant la colère des Palestiniens (lire page 8).

Cet état lamentable de la situation sur le terrain a enfin poussé Abou- Mazen « à faire le premier pas vers l’alternative de l’Onu, abandonnant ainsi la trajectoire des négociations bilatérales, depuis longtemps infructueuses. L’objectif est désormais de trouver un mécanisme international qui puisse régler et sanctionner l’occupation israélienne et les crimes qui en résultent », estime le chercheur.

Former un à l’Onu

Selon le plan d’action arabe, la Jordanie, qui siège actuellement au Conseil de sécurité, doit soumettre formellement le projet de résolution à l’Onu. Les ministres ont aussi décidé de créer un comité de suivi chargé d’entreprendre les contacts nécessaires à mobiliser le soutien international nécessaire à faire passer la résolution. « S’activer dans les coulisses des Nations-Unies et former un intense lobbying diplomatique pour gagner plus de voix en faveur de ce projet dans l’organisation onusienne, sont le principal rôle que les pays arabes sont censés jouer dans les jours à venir », dit Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire. La Palestine est actuellement reconnue par 135 pays dans le monde.

Le projet de résolution est désormais présenté comme une « proposition arabe » et pas seulement palestinienne. Mais Eissela nuance, estimant qu’il existe un risque que « la plupart des acteurs arabes perdent vite vite leur élan et laissent tomber le projet dans l’oubli ».

Malgré ce risque, force est de constater que l’atmosphère internationale est aujourd’hui plus favorable que jamais à la reconnaissance de l’Etat palestinien. En témoigne la série de reconnaissances de la Palestine par plusieurs pays européens, notamment sous la pression de leurs populations chez qui la guerre meurtrière menée par Israël à Gaza passe mal.

La Suède a été le premier de la série à reconnaître l’Etat palestinien. Les Parlements britannique, irlandais et espagnol ont suivi le pas, recommandant à leurs gouvernements de changer de politiques envers la Palestine. La France, dont l’Assemblée et le Sénat s’apprêtent à voter, dans quelques jours, sur la reconnaissance de l’Etat de Palestine, émet des signaux positifs qui pourraient influencer d’autres pays européens.

Réunir le quorum requis

Mais le grand défi reste une reconnaissance à l’ONU. Pour valider la création d’un nouvel Etat, il faut que la candidature obtienne au moins 9 voix sur 15 au Conseil et sans aucun veto de l’un des 5 membres permanents du Conseil de sécurité. « Nous sommes optimistes quant à obtenir 9 voix au Conseil de sécurité », dit Aymane Al-Rakb, responsable au Fatah, qui n’exclut pas qu’« Israël tentera dans les jours à venir de nous empêcher d’obtenir ces neuf voix et d’avorter notre projet lors de vote préliminaire » (lire entretien). Enfin, même si Israël est contré lors de cette première étape, le grand inconnu reste le veto américain. Les Etats-Unis ont utilisé leur veto à 43 reprises pour protéger Israël des sanctions onusiennes pour Aymane Salama, professeur de droit international et membre du conseil égyptien pour les affaires étrangères.


Washington prétend toujours que la reconnaissance de l’Etat de Palestine doit intervenir dans le cadre d’un règlement global et définitif du conflit, négocié par les deux parties. « Jouant depuis les accords d’Oslo le rôle de médiateur exclusif du processus de paix, Washington a toujours essayé de garder la mainmise sur le dossier et d’écarter toute intervention directe ou indirecte de l’Onu pour exercer librement ses pressions sur le côté palestinien ».

Toutefois, l’usage de ce veto mettrait Washington dans une situation embarrassante face à ses alliés arabes, notamment dans sa guerre contre Daech. Idem pour la grande majorité de la communauté internationale, depuis longtemps en faveur d’une reconnaissance. Un veto américain mettrait Washington en porte-à-faux avec le reste du monde, si les Etats- Unis sont toutefois le seul Etat à adopter une telle position.

Attendre le moment propice

Pour l’heure, la Ligue arabe n’a pas dévoilé la date à laquelle il est prévu de contacter le Conseil de sécurité à ce sujet. Mais pour beaucoup d’analystes, le jour sera déterminé seulement après que les Etats arabes seront rassurés sur l’absence de veto (hors veto américain) ainsi que sur un vote positif de l’ensemble des membres non permanents du Conseil.

Pour Eissela du CEPS, ce jour pourrait être reporté en janvier, c’est-à-dire après le renouvellement partiel du Conseil. Des pays connus pour être hostiles aux politiques expansionnistes d’Israël vont faire leur entrée au Conseil de sécurité en 2015, comme la Malaisie et le Venezuela. « L’Etat hébreu jouissait toujours de deux circuits de protection au Conseil de sécurité. Premièrement, l’absence d’une majorité en faveur de la Palestine et deuxièmement, le veto américain. Il risque de perdre le premier circuit », prévient Eissela.

Plans B

Mais pour le professeur de droit Ayman Salama, l’Autorité palestinienne attendra avant de passer par l’Onu. Abou-Mazen cherche en effet depuis plusieurs années à multiplier les reconnaissances de l’Etat palestinien dans diverses organisations satellites de l’Onu, à commencer par l’Unicef.

La Cour Pénale Internationale (CPI) est une deuxième étape, afin de réclamer des poursuites judiciaires contre des responsables israéliens, notamment suite à la dernière guerre meurtrière à Gaza. « Il suffit d’accepter la compétence de la Cour et pas nécessairement d’être signataire du traité de Rome pour incriminer Israël », a récemment dévoilé le procureur général de la CPI dans un communiqué. Le pas pourrait être franchi prochainement. Enfin, si les Palestiniens choisissent de commencer par l’Onu, ils peuvent toujours faire appel à la résolution 377 dite « Union pour le maintien de la paix ». Celle-ci prévoit la convocation d’une réunion extraordinaire d’urgence si le Conseil de sécurité ne parvient pas à adopter de décision, suite par exemple au veto de l’un de ses membres, et que la situation constitue « une menace pour la paix et la sécurité ».

Une option lourde en procédures et dont les conséquences diplomatiques pourraient être lourdes pour les Palestiniens qui tourneraient ainsi un peu plus le dos au soi-disant « médiateur » américain.

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