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Terrorisme  : Ces nouvelles nébuleuses insaisissables

Samar Al-Gamal, Mardi, 19 août 2014

Avec Daech en Iraq, le front Al-Nosra en Syrie, Ansar Al-Charia au Maghreb, l’organisation d'Al-Qaëda apparaît comme dépassée dans ses méthodes comme dans son fonctionnement. Mais elle reste à la base de l’inspiration de ces nouveaux groupes terroristes aux exactions barbares.

Terrorisme
(Photo : Reuters)

Les services de Sécurité saoudiens ont réussi à démanteler la première organisation terroriste d’Arabie saoudite liée à l’Etat islamique en Iraq et au Levant (Daech). L’annonce est venue du ministère saoudien de l’Intérieur, qui parle de connexions entre des Saoudiens et le groupe au Yémen, avec des pairs en Syrie. Les membres du groupe, selon le même communiqué, ont prêté serment d’allégeance à l’émir déjà arrêté, poursuivi et emprisonné pour ses liens avec Al-Qaëda, avant d’être libéré après avoir purgé sa peine.

Au Yémen, des organisations affiliées à Al-Qaëda se rassemblent pour former le « Daech Yémen », dans l’objectif de répondre aux victoires des Houthis, qui ont déjà pris le contrôle de plusieurs provinces du Yémen. Alors qu’en Iraq, l’armée américaine a procédé aux premiers bombardements contre les forces de Daech. Les révolutions arabes, croyait-on, conduiraient à une diminution de la vague de terrorisme dans la région, en permettant à l’islam politique de prendre part au pouvoir dans un certain nombre de pays. Mais la carte des mouvements terroristes ne cesse de s’étendre avec la naissance de nouveaux groupes qui dépassent leur organisation d’inspiration Al-Qaëda.

« La complexité des transitions politiques dans un certain nombre de pays, la continuité de la crise en Syrie, la division sectaire en Iraq, le vide étatique en Libye et la chute des Frères musulmans en Egypte ont plus que jamais alimenté ces groupes radicaux », indique la chercheuse au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Imane Ragab. Cette « nouvelle génération » abandonne désormais les terres traditionnelles du djihad en Afghanistan et au Pakistan, a reporté son combat contre l’Occident apostat et cible les pays arabes, l’Orient en particulier, en avançant vers le Maghreb tout en passant par l’Egypte.

« Il s’agit d’un réseau d’Al-Qaëda qui prend différentes formes en fonction de chaque pays. Il y a Ansar Al-Charia en Libye et en Tunisie, Boko Haram au Nigeria, et sa plus récente émanation est Daech en Iraq », explique le spécialiste en mouvements terroristes, Ahmad Ban. Tous sont classés sous l’étiquette du « djihad salafiste » et inspirés du djihad afghan, même s’ils ne suivent pas nécessairement la même structure organisationnelle et ne reçoivent pas de directives du chef Ayman Al-Zawahri. « Ils adoptent toutefois une structure similaire dans le financement, le recrutement et sur le champ de bataille », précise Ragab. Les experts notent quelques différences entre cette nouvelle génération pour laquelle le 11 septembre 2001 est une histoire assez lointaine — 13 ans déjà — et la vieille organisation Al-Qaëda. Le plus souvent, ces nouveaux mouvements sont nés à l’intérieur du pays, et leur terrain de combat reste ce même pays. « C’est ce que l’on appelle le Homegrown terrorism, le terrorisme fait maison, et qui s’inspire d’Al-Qaëda sans lui prêter allégeance », précise la chercheuse. Comme par exemple Daech. Un grand nombre de membres de ces groupes sont des Syriens qui faisaient partie du réseau islamiste d’Abou-Moussab Al-Zarqaoui, qui luttait contre les forces américaines en Iraq. Beaucoup de ses membres sont des Syriens restés en Iraq après le retrait des forces américaines, mais avec le déclenchement de la révolution en Syrie en 2011, ils ont été dépêchés pour combattre aux côtés des rebelles.

Le mouvement a été pourtant accusé d’avoir « dévié de la ligne tracée par Ossama ben Laden ». Ainsi, en avril 2013, Abou-Bakr Al-Baghdadi, chef de Daech, a élargi son groupe en Syrie et a tenté de subordonner la branche locale d’Al-Qaëda, le front Al-Nosra, à son propre autorité. Al-Nosra a rejeté le leadership de Bagdad, et Ayman Al-Zawahri, chef d’Al-Qaëda, a tenté de calmer le conflit en annonçant qu’Al-Nosra resterait responsable du djihad en Syrie, et que Daech s’occuperait de l’Iraq. Ce que Baghdadi a refusé, poussant Zawahri à renier le groupe en 2014. « Cela ne change rien. Le différend est sur les moyens et non pas sur les objectifs », précise Ahmad Ban. Il expose que la priorité chez Al-Qaëda est la guerre contre l’Occident et les régimes musulmans affilés, alors que pour Daech, le combat se situe d’abord contre les chiites: « Les ambitions de Baghdadi le poussent à vouloir être nommé Emir des fidèles, soit de surpasser Zawahri ».

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(Photo : AFP)

Israël est ainsi absent de la rhétorique de Daech et le mouvement est beaucoup plus brutal, surtout à l’égard des minorités musulmanes et chrétiennes. Contrairement à Al-Qaëda aussi, ces nouveaux mouvements recrutent beaucoup d’Occidentaux. Un rapport publié en juin par Soufan, le groupe de renseignements spécialisé dans le djihad décrit une région transformée en un « incubateur pour une nouvelle génération de terroristes », avec plus de 12 000 combattants étrangers dans la seule Syrie, dont environ 2500 sont des pays occidentaux.

Ils envahissent les réseaux sociaux

L’une des différences les plus notoires de ces nouvelles organisations terroristes est l’utilisation des réseaux sociaux dans la mise en place de leur stratégie de communiquer. Daech et d’autres groupes modernes envahissent les réseaux sociaux, combinant Instagram, Twitter, Facebook ainsi que des images parfois surréalistes mêlant chats et fusils (lire article page 5). Les membres de ces groupes ne vivent pas nécessairement dans des camps d’entraînement isolés à la Tora Bora, en Afghanistan. « Au contraire, ils se mêlent à la population, ce qui rend difficile leur traque », croit Imane Ragab. C’est le cas d’Ansar Beit Al-Maqdès (Egypte) ou Ansar Al-Charia (Libye), avec ce qui est appelé le Leaderless Terrorism. Ces groupuscules inconnus de 5 à 6 personnes oeuvrent sans chef et apprennent à mener des opérations terroristes sur Internet. En Egypte, Ajnad Misr qui a revendiqué une attaque contre les forces de sécurité en janvier 2014 ou les Brigades de Hélouan, viennent d’annoncer leur naissance par une vidéo sur Internet. Des groupuscules similaires sont repérés dans les pays du Golfe, au Maroc et en Tunisie. « Et même les noms de chefs annoncés ne sont pas réels », estime Ban. Une nouvelle génération qui se développe d’autant plus que « l’Etat national » se fragilise, alors qu’une stratégie élaborée est nécessaire pour la combattre.

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