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Comment arrêter la machine de guerre israélienne ?

Aliaa Al-Korachi, Mardi, 22 juillet 2014

L'initiative d'un cessez-le-feu à Gaza replace l'Egypte au centre de la scène régionale. Malgré des relations tendues avec le Hamas et une percée du Qatar dans le dossier, Le Caire demeure l’interlocuteur incontournable de l’ensemble des parties.

Le sort de Gaza se joue au Caire
Photo: Reuters

Après les premiers échanges de tirs sur la bande de Gaza, les yeux du monde sont tournés vers l’Egypte, le médiateur historique lors des crises précédentes entre Israël et le Hamas. L’appel au cessez-le-feu partait à chaque fois du Caire. Une semaine après le début de l’offensive, l’Egypte pose sur la table une « proposition de trêve », négociée avec Israël, Mahmoud Abbas et les factions palestiniennes. Cette proposition a été vite rejetée par le Hamas qui dit avoir pris connaissance de cette initiative dans les médias. Au cours des deux dernières semaines, Le Caire est devenu la destination d’un nombre de responsables internationaux et régionaux venus apporter leur soutien à l’initiative égyptienne sur Gaza. Le secrétaire d’Etat américain John Kerry était au Caire dans la nuit de lundi à mardi, où il a multiplié les rencontres pour parvenir à un cessez-le-feu. Il s’est notamment entretenu avec Ban Ki-moon, secrétaire général de l'Onu, lui aussi de passage dans la capitale égyptienne. John Kerry a promis 47 millions d’aide à Gaza.

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Le secrétaire d'Etat américain, John Kerry et le secrétaire général de l'Onu Ban Ki-moon, lors d'une conférence de presse au Caire.

Quelques jours plus tôt, c’était le tour du chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, et de la chef de la diplomatie italienne, Federica Mogherini, d'arriver dans la capitale égyptienne. « L’initiative égyptienne sur un cessez-le-feu à Gaza reste tout de même une proposition envisageableLa France soutient totalement les efforts de l’Egypte », a déclaré Laurent Fabius. Quant à Federica Mogherini, elle a salué le « rôle primordial » joué par l’Egypte dans la région. Les appels téléphoniques n’ont pas cessé non plus. Au téléphone, le ministre canadien des Affaires étrangères, John Baird, a discuté avec son homologue égyptien Sameh Shoukri du rôle que pourrait jouer l’Egypte dans la crise. Selon lui, l’Egypte est le pays le mieux placé dans la région pour contribuer à la fin des hostilités.

Selon Shoukri, ces visites successives des responsables européens sont le signe que Le Caire a « retrouvé son rôle régional ».

L’initiative égyptienne s’inscrit dans une diplomatie active qui vise à jouer un rôle régional plus accru. C’est ce qu’explique Ahmad Youssef, politologue au Centre des études arabes et africaines, qui pense que la proposition du cessez-le-feu du Caire a repositionné l’Egypte sur l’échiquier international, après une période d’isolement diplomatique, qui lui a été imposée après la révolution du 30 juin. Ce statut a été renforcé, selon le politologue, car l’Egypte détient le monopole du dossier de médiation dans le processus de paix depuis les accords de Camp David en 1979. L’Egypte a bien joué le rôle de médiateur durant les trois affrontements qui ont opposé Israël au Hamas en 2006, 2008 et 2012. Le rejet rapide par le Hamas de la proposition du Caire, « une première dans l’histoire de la médiation égyptienne », est perçu par beaucoup d’analystes comme une tentative de la part du Hamas d’embarrasser le nouveau régime égyptien et de remettre en cause son rôle de médiateur.

Relation conflictuelle

Moubarak, bien qu’il n’ait pas caché sa méfiance envers le Hamas à cause de son affiliation aux Frères musulmans en Egypte, et qu’il ait soutenu ouvertement son rival, le Fatah de Mahmoud Abbas, a pu garder un certain équilibre dans sa médiation entre le Hamas et Israël. Sa fameuse phrase était: « Je ne suis avec ni celui-ci ni celui-là, je suis un médiateur ». Sous Morsi, un cessez-le-feu a été conclu entre Israël et le Hamas, en novembre 2012, après huit jours d’affrontements. Cette médiation réussie avait renforcé le président Morsi sur le plan international.

Le sort de Gaza se joue au Caire
Ban Ki-moon et le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius au Caire. (Photo:AP)

La donne est différente aujourd’hui, même si le bilan de l’offensive est plus lourd. Au moins, 502 Palestiniens ont été tués depuis le début du conflit à Gaza, le 8 juillet. Selon Moustapha Kamel Al-Sayed, politologue, l’Egypte perd son influence sur le Hamas à cause du manque de confiance qui règne entre les deux parties depuis la chute du régime des Frères musulmans. Pour le Hamas, le nouveau régime a détruit une grande partie d’un réseau de tunnels qui lui permettait de se ravitailler en armes et en argent. D’autre part, l’Egypte accuse ce mouvement islamiste de prêter main forte aux djhadistes du Sinaï. Selon Mohamad Gomaa, spécialiste des affaires palestiniennes au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, le Hamas est passé du stade d’entiténon alliée à celui d’entité semi-hostile dans la politique égyptienne. C’est pourquoi l’Egypte a choisi cette fois-ci de mener directement ces négociations avec l’Autorité palestinienne qui, selon l’accord de réconciliation avec le Hamas, devrait reprendre le contrôle de la bande de Gaza.

Mahmoud Abbas, lui-même, se dit étonné du rejet par le Hamas de la proposition égyptienne qui selon lui, ne diffère pas de l’accord parrainé par l’Egypte en 2012. La phrase contestée par le Hamas dans l’initiative égyptienne « cesser les hostilités réciproques entre les deux parties » figurait aussi dans l’initiative de 2012 proposée par le régime des Frères, mais à l’époque, le Hamas l’a acceptée de bon gré. Autre preuve avancée par Kamal Al-Sayed : le Hamas a accepté sans conditions un cessez-le-feu temporaire, d’une durée de 5 heures, demandé par l’Onu pour des raisons humanitaires.

Le Hamas veut remettre en cause le rôle de l’Egypte

Rejetant la proposition égyptienne, le mouvement islamiste a exigé la présence dans toute initiative des deux rivaux régionaux de l’Egypte, la Turquie et le Qatar.

Le ministre des Affaires étrangères, Choukri, a accusé ouvertement alors le mouvement islamiste d’avoir « comploté avec le Qatar et la Turquie pour mettre en échec le rôle régional de l’Egypte ». En fait, ces deux pays avec qui le Hamas entretient des relations les plus étroites, présentent un énorme soutien politique et financier à ce mouvement. Le premier ministre turc, Tayyip Erdogan, en pleine campagne présidentielle, fait de Gaza son sujet principal. Le Qatar, qui abrite le chef du Hamas Khaled Mechaal, promet de financer la réhabilitation de la bande de Gaza et d’assurer les salaires des 44000 fonctionnaires du Hamas.

Deux propositions en compétition

Le Qatar propose « un plan reprenant l’essentiel des exigences du Hamas », comme une alternative à l’initiative égyptienne et à laquelle les brigades d’Al-Qassam, bras armé du Hamas, et d’Al-Djihad ont déclaré leur soutien. La levée du blocus maritime, la construction d’un port et d’un aéroport dans la bande de Gaza, l’ouverture permanente du terminal de Rafah figurent parmi les 13 points de ce plan. Parmi les conditions aussi : écarter toute intervention égyptienne dans la médiation. Le Qatar dit servir seulement de « canal de communication » entre le Hamas et la communauté internationale. Les efforts diplomatiques commencent à dévier vers Doha. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations-Unies, décide de faire du Qatar la première destination de sa tournée au Proche-Orient avant le Koweït puis Le Caire, Jérusalem, Ramallah et Amman en Jordanie.

Selon Tareq Fahmi, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, les tentatives du Qatar et de la Turquie de saborder l’initiative égyptienne n’aboutiront à rien. Ces deux pays ne possèdent ni l’histoire ni le poids politique et diplomatique pour jouer ce rôle, ni les garanties pour l’application de ce plan. Par contre, ils agissent contre l’intérêt du peuple palestinien. Ces deux pays ne font que perdre du temps. Et le sang continue de couler. « La proposition du Qatar ne sera pas une carte de pression sur l’Egypte pour l’obliger à modifier son initiative ou à la fusionner avec celle de Doha, puisque Le Caire a été bien clair en disant qu’aucune modification ne sera faite sur l’initiative égyptienne », affirme Tareq Fahmi. Selon le politologue, « Si la rencontre entre Khaled Machaal et Abou-Mazen à Doha peut avoir lieu, ils ne pourront pas agir hors de l’initiative égyptienne qui jouit d’un grand consensus international et arabe. La géopolitique impose toujours le Caire comme un acteur-clé dans tout règlement concernant la bande de Gaza ».

Par ailleurs, Israël refuse jusqu’à présent l’idée d’une médiation qatari. Pour l’Etat hébreu, le Qatar est le pourvoyeur de fonds du Hamas. Toutefois, selon certains observateurs, si l’initiative égyptienne échoue, Israël sera obligé de trouver un médiateur. Malgré sa suprématie militaire, il ne possède pas « de stratégie de sortie » de ce conflit. Il y affronte deux défis principaux: d’une part, l’absence d’une visée bien définie, et d’autre part, le refus du Hamas, de baisser les armes qui sont cette fois-ci assez sophistiquées par rapport à celles utilisées lors des affrontements précédents. Renoncer alors à son médiateur « préféré » au profit d’un autre intermédiaire qui pourrait avoir plus d’influence idéologique et politique sur le Hamas reste peu probable.

Les Etats-Unis, quant à eux, semblent être à mi-chemin entre Le Caire et Doha. Contrairement aux Européens qui se rangent du côté égyptien, la position de Washington est jugée confuse. Selon les déclarations du ministre Sameh Shoukri, Washington n’était pas au courant de l’initiative égyptienne. Cela a irrité les Etats-Unis, comme l’explique Choukri. Ainsi, John Kerry a annulé sa visite en Egypte. « La maison Blanche dit soutenir l’initiative égyptienne. Mais Washington voit toujours d’un oeil méfiant toute démarche régionale de l’Egypte loin de la tutelle américaine », conclut Gomaa.

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